Darras tome 42 p. 448
90. Les noms de la sœur Rosalie et de Dufriche Desgnenettes en particulier, rappellent deux œuvres qu'il faut mentionner ici : les Conférences de saint Vincent de Paul et les Petites sœurs des pauvres. En 1830, vivait, dans la capitale de la France, un brave chrétien, nommé Bailly. Pour obliger les jeunes étudiants et les soustraire à la corruption de la Babylone moderne, il avait établi une pension et ouvert une société des bonnes études. Quand la révolution eut emporté ces créations charitables, il se forma une petite société d'histoire où les jeunes gens discutaient entre eux et où l'abbé Gerbet donnait, sur la philosphie de l'hisloire, des conférences. Au cours de leur discussion, les jeunes rationalistes entendaient prouver, aux jeunes catholiques, la mort du Christianisme, et, en preuve, ils opposaient, à ces étudiants, leur inertie. C'était les prendre à la gorge. Ceux-ci, piqués au jeu, se décidèrent, pour repousser l'argument, à former une société charitable. A Paris, avant 1830, il avail existé quelque chose d'analogue, mais tout avait disparu dans le naufrage de la congrégation; sur ce terrain rasé, qu'établir et comment s'y prendre? Ces jeunes gens, et parmi eux se trouvaient Ozanam, Lallier et Paul Lamarche, prirent en 1853, conseils du père Bailly, qui les engagea à se constituer en conférence de charité, complément de la conférence d'histoire. Les jeunes gens se réunirent, sous la présidence de Bailly et se décidèrent à visiter les pauvres à domicile. On devait se réunir à jour fixe, ouvrir et terminer la séance par une prière, s'enquérir des besoins des pauvres et faire entre soi une quête pour subvenir aux frais des visites. Chaque membre, en attendant la réunion pro-
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chaîne,
devait visiter trois ou quatre familles et l'assister de ses conseils aussi
bien que de son argent. On était primitivement huit; le chiffre monta, la
première année, à plus de cent. De la conférence primitive sortirent bientôt les conférences de Saint- Etienne du
Mont, de Saint-Sulpice et de Bonne-Nouvelle;
de Paris, les conférences passèrent en province et à l'étranger. Les étudiants
qui, dans la capitale, avaient visité les pauvres, devenus magistrats, médecins, administrateurs, voyageurs, formaient comme
autant de souches à conférences nouvelles. Les bourses d'étudiants ne sont pas
comme le portefeuille de Rotschild; elles n'ont avec lui qu'une chose commune, c'est qu'elles sont souvent
plates. A l'origine donc le budget annuel des conférences n'était pas très
élevé; avec les années il s'accrut. A la mort de Pie IX, il existait dans les deux mondes, plus de trois mille conférences;
à cette date, elles dépensaient, par
an, plus de sept millions; et depuis leur fondation, elles avaient versé, dans
le sein des pauvres, plus de 106 millions. Grégoire XVI et
Pie IX, les avaient approuvées et enrichies
d'indulgence; plus de cent évêques avaient célébré leurs bienfaits. On
trouverait, en effet, difficilement une bonne œuvre à laquelle ne s’intéresse pas la Conférence de Saint Vincent de Paul. Un bon chrétien qui visite une
famille pauvre et qui la visite régulièrement, est au courant de toutes ses
affaires, de tous ses intérêts et de tous les incidents de son existence. Une
misère à soulager, un incrédule à convertir, une jeune fille à préserver, un
apprenti à surveiller sont autant de
choses qui sollicitent son attention. La conférence en est saisie, elle en
délibère et se prononce avec maturité dans ses conseils. On ne saurait dire la
quantité énorme de misères soulagées par ce total: 106,000,000, représentent
peut-être un milliard de visites faites, à de pauvres malheureux, par des
frères en habits noirs. L'œuvre d'ailleurs est essentiellement laïque; elle
est soumise à l'Église, mais elle ne s'y rattache pas comme à une dépendance
hiérarchique; elle est libre aussi envers l'État dont elle ne veut pas porter
l'estampille. Son premier objet est la charité matérielle, l'aumône sonnante,
mais
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la clef d'or ouvre aisément les cœurs, surtout les cœurs malheureux et l'aumône spirituelle est plutôt sollicitée qu'imposée. En s'étendant les conférences durent avoir des conseils centraux et un conseil général, pour mieux s'entendre, résoudre les difficultés et garder l'esprit de la fondation. Après Bailly, la présidence échut à Gossin, puis à Adolphe Baudoin. Cette œuvre admirable particulièrement précieuse pour assurer la fusion des classes et prévenir les conflits sociaux, tout en procurant le salut personnel des membres de la conférence, eut du, ce semble, n'obtenir que des sympathies. Un valet de l'Empire, avec la fatuité étourdie qui caractérise les valets, prit cependant ombrage de cette association charitable et voulut, en la décapitant, la réduire au rôle de société secrète, juste au moment où il appelait la franc-maçonnerie à l'honneur et aux avantages de la vie publique. Ce crime eut sa recompense et sa récompense fut un châtiment. On sait quel rôle la joué la franc-maçonnerie dans la ruine de l'Empire. Mais ce que Dieu bénit est bien gardé. La société de saint Vincent de Paul est sortie victorieuse de ces épreuves et dans un monde, rongé jusqu'aux os par un monstrueux égoïsme, elle ne cesse de remplir, par la parole et l'exemple, son ministère de charité. C'est une pierre d'attente pour les œuvres vraiment sociales de restauration.
91. A peine née, la conférence de Saint Vincent de Paul enfanta une congrégation des petits Frères de Saint Vincent. On ne sait pas trop comment cela se fit, mais il est certain que c'est arrivé. Parmi les membres des premières conférences se trouvait, un chef de bureau au ministère des cultes, Jean-Léon Le Prévost, né en 1796. D'une piété et d'un zèle éminent, il avait l'intelligence du pauvre et s'était dévoué à l'œuvre des apprentis. Lorsque le ciel lui eut enlevé la compagne de sa vie, Le Prévost renonça à sa position et entra dans les ordres pour se consacrer entièrement à son œuvre favorite. Désormais il ne se contenta plus de recevoir tous les dimanches les apprentis placés par ses soins chez de bons maîtres, et de leur procurer avec la sanctification du dimanche les secours et les agréments
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qu'il pouvait leur offrir; il voulut que ces enfants eussent leur maison, un asile où ils pussent se retirer lorsque les circonstances le demanderaient. Là il leur donnait le vêtement, la nourriture, les divertissements honnêtes, l'instruction primaire et religieuse, un état et les suivait jusqu'à leur mariage. La première de ces maisons reçut le nom de Nazareth. Le Prévost fut l'un des plus actifs et des plus heureux organisateurs des œuvres de charité en France. C'est en se livrant à l'apostolat des classes ouvrières sous toutes les formes, c'est en appelant à son aide des coopérateurs, qu'il se trouva conduit à instituer une nouvelle congrégation de prêtres et de laïques, qui porte le nom de Petits-Frères de Saint Vincent de Paul. Ce dernier né dans l'Eglise reçut les bénédictions de plusieurs évêques et le fondateur eut la joie de voir l'Institut approuvé par le Souverain Pontife. Le Prévost fut ainsi un généreux serviteur des pauvres, un fondateur d'Institut et un grand homme de bien. Avec une sagesse, une maturité, une suavité singulière, il arrosa et développa son œuvre de bénédiction; il y prodigua tous ses soins, toute sa charité, toute son âme. Tout en multipliant les inventions et les entreprises, il portait dans les réunions, une éloquence gracieuse, pénétrante, qui ouvrait les cœurs. Dans ses relations particulières avec ses chers amis, les pauvres, il déployait une politesse et une affabilité charmante. Ce n'était pas seulement un aumônier généreux, c'était un homme d'encouragement et de consolation. Pour tous il était sensible qu'il ne soulageait pas les pauvres seulement de sa bourse, mais bien aussi et réellement de son cœur, d'où débordait dans toutes ses grâces et ses forces la charité de Jésus-Christ. Le Prévost mourut en 1874; il avait vu, en 1871, sa jeune congrégation recevoir le baptême du sang dans la fusillade de la rue Haxo.