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60. On ne s'aurait s’étonner d’ailleurs de la sollicitude toute spéciale du Vicaire de Jésus-Christ pour l’Espagne, à cette épo-
que : le mouvement de la croisade contre les Maures y donnait les plus consolantes espérances. C’est en 1123 qu’on voit Alphonse VII d’Aragon, avec Gaston vicomte de Béarn, Pierre de Librana évêque de Saragosse, Étienne évêque d’Osca, et d’autres grands, faire irruption dans le royraume de Calence et renverser tout ce qui leur résiste. L’armée chrétienne, se portant en avant, passe le Xucar, porte la terreur dans le territoire de Dianum, place forte située entre l’embouchure du Xucar et le promontoire d’Artémise,
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1. Falc. Beaev. Chron. ad annum 1122.
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et taille en pièces les infidèles sur plusieurs points du royaume de Murcie. Cela ne lui suffit point : elle pénètre dans le royaume de Grenade, poursuit jusqu’en Andalousie, et met le siège devant Cordoue, la ville royale des Maures. Dans ce pressant danger, le puissant émir de Cordoue réunit toutes les forces des Infidèles, et présente la bataille aux Chrétiens, en un lieu que les Aragonais appellent Arincol et les Castillans Aranscuel. La déroute des Maures fut complète ; ils perdirent dans la bataille onze de leurs émirs1. D’autre part, Alphonse VIII, roi de Castille, le jeune fils de la trop fameuse Utraque, étant parti pour Burgos, capitale de la Vieille-Castille, les habitants le reçurent et le château seul entreprit de défendre la cause d’Alphonse d’Aragon. Les soldats Castillans, soutenus par la population urbaine, et surtout par les Juifs, mirent tant d’ardeur à combattre, que les Aragonais de la citadelle ayant eu leur chef mortellement blessé, rendirent la place. Dans une charte de ce temps-là, conservée à la cathédrale de cette ville, on lit ces mots : «Quand Dieu donna le château de Burgos au roi d’Espagne. » A la nouvelle de cet événement, le roi d’Aragon mit en état les forteresses qu’il possédait tant dans le royaume de Castille que dans celui de Léon, et fit ensuite irruption avec son armée dans les terres des Castillans. Le roi de Castille courut à la rencontre de son beau-père ; les deux armées se trouvèrent en présence près de Tamara, prêtes à vider par les armes la querelle de leurs princes. Les évêques de l’un et de l’autre parti intervinrent ; l’on ouvrit des négociations pour la paix sur cette base, que le roi d’Aragon rendrait à son fils adoptif, dans les quarante jours, les places qui lui appartenaient. Ces préliminaires n’aboutirent pas : le Castillan revendiquait toutes les places qu’avait eues son aïeul, et l’Aragonais prétendait garder toutes celles qu’avaient possédées les anciens rois de Navarre. Les hostilités furent donc reprises en 1124, et la paix ne fut enfin conclue que par l’entremise de Pierre le Vénérable, alors à Majora, qui avait un des principaux monastères de l’ordre de Cluny : le roi d’Ara-
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1 Surit. Annal. I, 47. — Saxdov. fol. 131, 132.
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gon se réserva Rioja et les domaines des anciens rois de Navarre, avec le Titre de roi de Castille, mais honoraire seulement.
61. Cette même année 1125, Alphonse VIII de Castille s’unit en mariage à Bérengère, fille de Raymond Bérenger III, comte de Barcelone et de Provence, et de la comtesse Dulcia. Ce mariage était contracté antérieurement au 12 juillet, jour où les deux époux firent une importante donation à la cathédrale de Burgos. Sancia, sœur d’Alphonse VIII, par conséquent fille d’Urraque, fit également une riche donation à Pierre, abbé de Cluny, négociateur de la paix entre l’Aragon et la Castille. L’acte porte : « Sous le règne de la reine Urraque et de son fils le seigneur Alphonse roi d’Espagne. » Or en 1122, Urraque avait été dépouillée du pouvoir par son fils Alphonse Raymond, que tous les grands du royaume avaient reconnu pour leur prince légitime ; mais l’année suivante, la paix s’était faite entre la mère et le fils, et les actes publics leur donnent alors conjointement à l’un et à l’autre le titre de rois de “ Léon et de Tolède, bien que l’autorité fût demeurée aux mains d’Alponse seul. C’est au même mois de juillet 1124, époque du mariage d’Alphonse VIII de Castille, qu’Alphonse d’Aragon prit une première fois Médina-Cœli, qui devait retomber au pouvoir des Maures après sa mort. Orderic, sous la date de 1125, écrit au sujet d’Alphonse d’Aragon : « II parcourut les régions éloignées jusqu'à Cordoue, y passa six semaines avec son armée, frappant de terreur les musulmans, qui crurent à la présence des Francs avec les Espagnols. Les Sarrasins de leur coté se cachaient dans leurs forteresses, abandonnant de tous côtés dans la campagne leur bétail et leurs troupeaux. Nul ne sortait des châteaux-forts contre les Chrétiens, dont l’armée livrait au pillage tout ce qui se trouvait hors des citadelles, et condamnait les provinces à la plus désastreuse dépopulation.
62. Alors se réunirent environ dix mille Mozarabes, qui allèrent trouver Alphonse en suppliants. « Nos pères et nous, disaient-ils, élevés jusqu’ici parmi les Gentils, nous avons été baptisés et nous gardons volontiers la loi chrétienne ; mais nous n’avons pu jamais apprendre le dogme parfait de la Religion divine. Maintenant, ni
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nous, à cause de notre assujettissement
aux Infidèles, dont le joug pèse sur nous depuis longtemps, nous n’avons osé
demander des docteurs Romains ou Français1; ni eux-mêmes ne sont
venus à nous, à cause de la barbarie des païens à qui nous nous sommes
autrefois soumis. Mais en ce moment votre venue nous apporte une joie bien
grande ; notre désir est d’abandonner le sol natal, et d’émigrer dans votre
pays avec nos femmes et nos biens. » Le roi fit un favorable accueil à cette
demande ; les Mozarabes en grand nombre, se confiant à sa loyauté, quittèrent
leurs demeures, par amour de notre sainte loi : ils préférèrent l’exil à la
disette, aux maux qui les accablaient2. Lorsque les Aragonais se
furent retirés, les habitants des contrées qu’ils avaient parcourues les
trouvèrent dépouillées de toutes ressources ; il leur fallut endurer les
tortures de la faim, avant de s’être établis de nouveau dans leurs demeures.
Les Cordouans et les autres peuples Sarrasins furent profondément irrités,
quand ils virent qu’un grand nombre de Mozarabes avaient quitté le pays avec
leurs familles et leurs biens. D'un commun accord, ils se livrèrent contre les
restes de cette population malheureuse : ils les dépouillèrent cruellement de
tout ce qu’ils possédaient; ils les frappèrent de verges, les jetèrent dans les
fers et leur firent subir toutes sortes de mauvais traitements. Un grand nombre
périrent dans les plus affreux supplices, et tous les autres furent transportés
en Afrique au-delà de l’Océan et condamnés au plus dur exil, en haine des
Chrétiens, qu’une grande partie des leurs avait suivis. » Il n’est pas
admissible, comme le veut Orderic, que tous les Mozarabes qui échappèrent à la
mort, aient alors été relégués en Afrique ; beaucoup demeurèrent en Espagne, on
ne saurait en douter, jusqu’à la venue des Almohades, qui exterminèrent tous
les Chré-
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1 On remarque cette confiance que les étrangers avaient dans la pure doctrine et l'ardente charité de nos pères. Sous ce rapport, aux yeux des Mozarabes, les Francs étaient sur la même ligne que les Romains, c'était chose indifférente d'être enseignée par les uns ou par les autres.
2 Orderic. Vital. Hist. eccl. 111 part, xnt, 1 ; Patr. lut. tom. CLXXXVI1I, col. 928.
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tiens des pays Maures de la Péninsule. Il est probable toutefois qu'ils furent expulsés dès lors de Valence, Murcie, Cuença, de tous les pays, en un mot, où ils auraient pu s’unir aux Chrétiens, et surtout au roi d’Aragon1.
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15. Les monuments, plus fidèles que les cœurs, sont donc restés dans cette Eglise de Paris, les témoins immuables de l'apostolicité de nos origines chrétiennes. Pendant que saint Denys consommait son martyre, Eugène, évêque de Tolède, son disciple, se rendait à Lutèce pour y saluer encore une fois le vénérable vieillard. En approchant de la cité des Parisii, à une distance de quatre milles,
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chapelle du martyre de monsieur sainct Denys et ses compagnons, vulgairement dicte la chapelle des saincts martyrs, auroient trouvé au delà du bout et chef de la dicte chapelle, qui regarde du côté du levant, uue voulte sous laquelle il y a des degrez pour descendre soubs terre en une cave... en laquelle... serions descendu... trente-sept degrez... et aurions trouvé une cave ou caverne prise dans un roc de piastre... laquelle a de longueur trente-deux pieds... huit pieds de largeur, etc.. Dans laquelle cave, du côté de l'orient, il y a une pierre de piastre bicornue, qui a quatre pieds de long, et deux pieds et demy de large, prise par son milieu, ayant six poulses d'espoisseur, au-dessus de laquelle au milieu il y a une croix gravée avec un sizeau, qui a six poulses en quarré de longueur, et demy poulse de largeur. Icelle pierre est élevée sur deux pierres de chacun costé, de moillon de pierre dure, de trois pieds de hault, appuyée contre la roche de piastre, en forme de table ou autel: et est distant de ladicte montée de cinq pieds. Vers le bout de laquelle cave, à la main droicte de l'entrée, il y a dans la dicte roche de pierre une croix, imprimée avec un poinson ou cousteau, ou autre ferrement; et y sont ensuite ces lettres MAR. Il y a apparence d'autres qui suivoient, mais on ne les peut discerner. Au même costé, un peu distant de la susdicte croix, au bout de la dicte cave, en entrant, à la distance de vingt-quatre pieds dès l'entrée s'est trouvé ce mot escrit de pierre noire sur le roc, CLEMIN, et au costé dudict mot y auroit eu quelque forme de lettres imprimées dans la pierre avec la pointe d'un cousteau ou autre ferrement ou il y a DIO, avec autres lettres suivantes qui ne se peuvent distinguer. » (Cf. Dubreul, Le Théâtre des antiquités de Paris, pag. 865 ; Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, pag. 273 ; Représentation d'une chapelle souterraine qui s'est trouvée à Montmartre près Pans, le mardy, 12e jour de juillet 1611, comme on faisait les fondements pour agrandir le chapelle des martyrs, Paris, 1611, in-folio.) Cette pièce se trouve à la Bibliothèque impériale, dépôt des estampes, Histoire de France par estampes, tom. XV, année 1611. Elle a été gravée par Jean de Halbeeck.
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p477 CHAP. VII. — PONTIFICAT DE SAINT ANACLET.
dans une villa nommée Diogilum 1, il apprit, de la bouche des chrétiens, la
mort de son pasteur et de son père. Eugène fit entendre alors des chants
d'allégresse, et proclama hautement la gloire du saint martyr. Des satellites
du préfet Sisinnius, mêlés aux fidèles qui entouraient Eugène, se précipitent
sur lui. — Quel Dieu adores-tu donc? lui demandent-ils. —Je suis chrétien,
répond Eugène. Le Christ est mon Dieu, c'est lui seul que j'adore. A ces mots,
les sicaires égorgent le saint évêque et vont jeter son corps dans le lac de
Mercasium 2. Ses précieuses reliques y demeurèrent longtemps
enfouies, jusqu'à ce que, la persécution ayant cessé, les chrétiens furent
libres de les rechercher et de les environner de leurs hommages 3 »