Angleterre 11

Darras tome 22 p. 398


§ II. Grégoire VII et Guillaume le Conquérant.


   11. La lettre destinée par les schismatiques de Brixen au puissant roi d'Angleterre avait été écrite par le cardinal apostat Hugues le Blanc. Un envoyé spécial partit avec ordre de se mettre d'abord en relation avec l'illustre archevêque de Cantorbéry Lanfranc, primat de la Grande-Bretagne et véritable premier ministre de Guillaume. « Durant les fréquents séjours que le glorieux roi faisait en Normandie, Lanfranc était, dit l'hagiographe, le régent et le gardien de l'Angleterre ; tous les princes étaient subordonnés à son pouvoir, ils devaient lui prêter leur concours pour l'expédition des affaires, la défense du royaume, le maintien de la paix, l'administration de la justice1. » La faction de l'antipape attachait le plus haut intérêt à se concilier la faveur d'un archevêque qui était à la fois un puissant ministre et un célèbre docteur. Hugues le Blanc se mettait à sa disposition et s'offrait à faire le voyage d'Angleterre pour avoir avec lui une conférence intime. Il est probable qu'au moment où l'envoyé du cardinal apostat débarqua sur la côte anglaise, le roi Guillaume était dans son duché de Normandie, cette terre de prédilection « qu'il aimait moult à revoir, » disent les vieux chroniqueurs. La réponse de Lanfranc semble en effet indiquer une autorité qui ne pouvait appartenir qu'au régent du royaume. Voici ce curieux et laconique document : « Lanfranc à Hugues. — Votre envoyé m'a remis vos lettres, je les ai lues et y ai trouvé beaucoup do choses qui me déplaisent. Je n'approuve point vos injures contre

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1 Lanfranc. Vit., cap. sv. — Patr. Lat., tom. CL, col. 55. En présence d'un témoignage si formel laissé par un biographe contemporain, il y a lieu de s'étonner des réserves faites à ce sujet par M. de Rémusat. « Lanfranc, dit-il, était presque premier ministre du roi Guillaume, au moins pour les affaires ecclésiastiques. Comme il avait su plaire à ce prince il devait quelquefois recevoir une confidence, donner un avis qui intéressait l'Eglise et le gouvernement. » [Saint Anselme de Cantorbéi-y, p. 110.)

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le pape Grégoire, vous affectez de ne plus le nommer qu'Hildebrand, vous appelez ses légats des fagots d'épines, spinosulos, au contraire vous exaltez Clément III outre mesure, vous lui prodiguez les éloges fort prématurément. Il est écrit : « Ne louez nul homme durant sa vie1; » et encore : « Gardez-vous de déchirer la réputation du prochain2, » parce que des hommes encore vivants le genre humain ne connaît que l'extérieur, il ne sait ce qu'ils sont réellement aux yeux de Dieu. Je veux croire pourtant que l'empereur Henri ne s'est pas déterminé sans de puissants motifs à une entreprise si grave, et que la victoire signalée dont vous m'annoncez la nouvelle est une marque de la protection divine sur ses armes3. Je n'approuve point votre projet de venir en Angleterre tant que vous n'en aurez pas obtenu l'autorisation du roi des Anglais. Notre île n'a point rompu l'obédience avec le premier pape et jusqu'ici ne s'est point décidée à reconnaître celle du second. S'il y a lieu, quand les deux causes auront été entendues, et que le jour sera fait dans les esprits, nous saurons prendre le parti de la justice4. »

 

   12. Cette sévère réplique dut médiocrement satisfaire l'antipape et son entourage de simoniaques courtisans. La déception fut d'au- tant plus vive que dans les circonstances où elle se produisait Hugues le Blanc avait pu espérer pour son message un plus favorable accueil. Depuis l'an 1071, date de la promotion de Lanfranc à l'église primatiale de Cantorbéry, plus d'un nuage s'était élevé entre le roi d'Angleterre et le saint-siége. Durant les premières années qui suivirent la conquête, Guillaume sentant le besoin d'une étroite alliance avec la chaire apostolique pour consacrer sa domination  aux yeux de  ses nouveaux sujets,

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1. Eccli. xi, 30.

2. Jao. iv, 11.

3. Le titre d'empereur donné ici par Lanfranc au roi Henri était sans doute celui que Hugues le Blanc avait employé le premier dans sa lettre, et que le régent accepte par courtoisie officielle. Quant à la victoire signalée dont il est aussi question, elle n'existait que pour les besoins de la cause et dans l'imagination du cardinal apostat.

4.Lanfranc, Epist. lix ; Patr.Lat., tom. CL, col. 548.

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loin d'entraver les communications entre Rome et ses évêques, en prenait au contraire l'initiative et les provoquait lui-même. Nous avons vu combien étaient fréquents depuis la conversion de la Grande-Bretagne les pèlerinages des Anglais ad limina. La tradition ecclésiastique de ce pays n'avait pas varié depuis le pontificat de saint Grégoire le Grand. Chaque métropolitain allait en personne dans l'année même qui suivait son sacre, recevoir le pallium des mains du successeur de saint Pierre. Ainsi en 1071 Lanfranc était venu avec une somptueuse escorte demander ce symbole de juridiction au pape Alexandre II. Le roi Guillaume l'avait fait accompagner de Thomas archevêque d'York et de Rémi évêque de Lincoln, deux titulaires compromis par leur attachement au parti vaincu. L'intention du Conquérant était de les faire juger et déposer par le pape. «Lorsque Lanfranc parut à l'audience pontificale, dit l'annaliste anglo-saxon Eadmer, les Romains eurent lieu de s'émerveiller en voyant, sans égard pour le cérémonial ni l'étiquette, Alexandre II quitter le trône où il était assis, venir à sa rencontre et le saluer en disant : Ce n'est point à l'archevêque de Cantorbéry que je rends cet hommage, c'est au maître fameux dont je fus le disciple et de la bouche duquel j'ai recueilli tout ce que je possède de science. « Puis le pape ajouta : « J'ai fait ce que je devais, c'est à vous maintenant de rendre au bienheureux Pierre en la personne de son indigne successeur le témoignage de votre obéissance.» Le pape s'assit alors sur son trône et Lanfranc s'agenouilla pour lui baiser les pieds. Mais Alexandre II le releva et l'embrassa tendrement. Le lendemain l'affaire des deux évêques inculpés fut mise en délibération. Soit culpabilité réelle, soit crainte d'encourir la colère de Guillaume, ils remirent leur anneau et leur bâton pastoral entre les mains du pape, le suppliant d'accepter leur démission. Alexandre II s'adressant alors à Lanfranc : « C'est à vous, lui dit-il, de régler cette affaire; vous êtes le père de la nation anglaise; votre prudence saura discerner ce qui est expédient. Prenez le bâton pastoral volontairement déposé par ces deux évêques; vous choisirez ceux qui vous paraîtront les plus dignes de travailler sous votre direction au bien spirituel de l’Angleterre et le leur remettrez. »

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Usant aussitôt de l'autorité dont l'investissait le pape, Lanfranc prit ces emblèmes du pouvoir épiscopal, les rendit aux deux évêques pénitents et avec l'assentiment du pontife les rétablit dans leur dignité1. »

 

13. Avec le pallium, Lanfranc rapporta d'Italie une nouvelle autorité morale, et la sanction de sa suprématie sur l'épiscopat anglican. Un concile tenu à Londres en 1073 reconnut solennellement la primauté du siège de Cantorbéry jusque-là revendiquée par l'archevêché d'York2. La prééminence désormais incontestée de Lanfranc lui permit de travailler au rétablissement de la discipline cléricale et monastique. Il fit renaître avec la régularité des moeurs le goût de l'étude et de la science. En arrivant en Angleterre il avait trouvé les églises incendiées, les monastères au pillage, les ornements détruits, les biens saccagés ; et il avait aussitôt commencé l'œuvre de la restauration. Il rebâtit la cathédrale de Cantorbéry, le monastère de Saint-Alban, l'église de Ruf, dotant chacun de ces établissements d'hôpitaux et d'écoles pour les deux sexes. Sa maison archiépiscopale était elle-même tenue par des religieux et on y observait la règle monastique ; ce qui faisait dire à Guillaume de Malmesbury, appliquant au grand archevêque une citation de Juvénal : « Un troisième Caton nous est tombé du ciel3.» Le roi Guillaume s'applaudissait d'avoir dans ses états un homme d'une pareille sainteté et d'un tel mérite4. Le conquérant était en effet attaché du fond des entrailles à la foi chrétienne et à la pratique des œuvres de piété. « Il était, dit le chroniqueur anglo-saxon, aussi pieux qu'un laïque le peut être. Chaque jour il assistait à la messe ; chaque jour il entendait les vêpres et les matines5. » Témoin de cette royale dévotion qui étonnera sans doute

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1. Eadmer. Histor. novorum, lib. I. — Patr. Lat., tom. CLIX, col. 353.

2. Labbe. Concil., tom. IX, p.

3. Willelm. Malm. Gest.reg., lib. III, cap. cclxvii.—Patr. Lat., tom. CLXXIX, col. 1Î47.

4. Prie aliis erat régi Willelmo acceptas. (Eadmer, Hist. Novor., lib. I. — Patr. Lat., tom. CLIX, col. 353).

5. Willelm., Malm. loc. cit.

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nos modernes rationalistes accoutumés dans leurs ouvrages d'histoire à supprimer tous les traits de ce genre, Lanfranc était plus disposé à l'indulgence pour les défauts de caractère, l'emportement, la violence même d'une nature qui sans le frein religieux eût été indomptable. « Priez Dieu qu'il vive, écrivait-il à Alexandre II, car lui vivant, nous avons une paix quelconque. Après sa mort, nous ne devons espérer aucune paix, aucun bien1.» Cette «paix quelconque» était loin en effet de réaliser l'idéal qu'aurait souhaité l'illustre archevêque de Cantorbéry. La ferveur religieuse de Guillaume s'alliait à une ignorance profonde de la théologie et à un sentiment exagéré de sa puissance royale. Il en donna la preuve dans les trois décrets suivants, promulgués en l'année 1078 : —I.«Dans tous les états de notre domination nul ne pourra sans notre ordre royal reconnaître un pontife de Rome pour seigneur apostolique, le visiter sans notre autorisation, ni recevoir ses lettres avant qu'elles nous aient été préalablement communiquées. —II. L'archevêque de Cantorbéry primat de notre royaume lorsqu'il présidera un concile national ne pourra promulguer aucun statut qui ne nous ait été soumis d'avance et revêtu de notre approbation. — III. Nul évêque ne pourra fulminer ni excommunication ni autre censure ecclésiastique contre nos barons ou les officiers de notre couronne pour inceste, pour adultère ou pour quelque crime jque ce soit même capital, tant que nous n'en aurons pas donné l'ordre 2

 

14. Comme oppression et tyrannie, ce code religieux égalait les prétentions de Henri IV lui-même, et le Néron de l'Allemagne aurait pu le signer. Mais entre les mains d'un prince foncièrement pieux comme le conquérant d'Angleterre, il restait à l'état de menace et sans cesser d'être le comble de l'injustice il perdait singulièrement en pratique de sa redoutable gravité. « Le Conquérant était un grand prince, dit M. de Rémusat. Fier, impérieux, emporté, son pouvoir était excessif, mais régulier. En homme supérieur il voulait l'ordre, et ses rigueurs mêmes n'étaient point

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1 Lanfranc. Epist. m. Patr. Lai., tom. CL, col. 515.

2. Eadmer, loc. cit., col. 352.

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des fantaisies désordonnées. Il voulait la paix intérieure et l'unité de gouvernement ; il pensait servir ainsi la cause de la discipline, de la morale et de la foi ; il aimait et respectait la religion ; il tenait à la gouverner comme tout le reste, mais à la maintenir florissante et honorée 1. » Cette appréciation du récent historien est complètement juste; nous sommes heureux de le constater. Grégoire VII lui-même, juge supérieur et d'une compétence éminente, le reconnaissait sans difficulté. Dans une lettre à son légat Hugues de Die, il s'exprimait en ces termes : « Le roi des Anglais ne se conduit pas en certaines choses aussi religieusement que nous le pourrions souhaiter. Cependant il ne détruit point les églises de Dieu, il ne les vend pas, il se préoccupe sincèrement de maintenir parmi ses sujets la paix et la justice. Sollicité par les ennemis de la croix du Christ d'entrer dans la ligue organisée contre le siège apostolique, il a refusé son concours. Sa fermeté vis-à-vis des clérogames est inexorable , il les a tous contraints de renvoyer leurs femmes. A l'égard des laïques qui s'arrogeaient dans ses états le droit de retenir les dîmes ecclésiastiques il a montré la même vigueur, exigeant d'eux le serment de ne plus renouveler leurs injustes revendications. Par cette conduite il s'est vraiment placé, comme honorabilité, au-dessus de tous les souverains actuellement vivants. Dès lors il y a lieu de le traiter avec plus d'indulgence et de supporter dans une certaine mesure les écarts auxquels il peut quelquefois se livrer lui-même ou entraîner ses subordonnés. C'est ainsi que le bienheureux pape Léon en usait envers les néophytes ; c'est ainsi que saint Grégoire le Grand prit la défense du patrice Venantius contre les rigueurs justes mais intempestives de son évêque ; enfin le Seigneur notre Dieu voulut lui-même nous donner l'exemple de cette miséricordieuse économie, lorsqu'il daigna couvrir de sa clémence la faute commise par le pieux roi Josaphat compromis dans une alliance avec l'impie Achab 2. »

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1 De Rémusat, Saint Anselme de Cantorbèry, p. 120-121.

2. S. Greg. VII. Epist. v, lib. IX — Pair   lai., tom. CKLVIII, col.

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   15. Telle fut la miséricordieuse pensée qui inspira la politique de Grégoire VII dans ses rapports avec Guillaume le Conquérant. La plupart des modernes historiens, soit parti pris de dénigrement vis-à-vis de la papauté en général et du grand pape en particulier, soit ignorance des sources, ont complètement dénaturé le véritable caractère de la correspondance échangée en cette occasion entre le souverain pontife et le puissant roi d'Angleterre. Les uns imaginent que le conflit eut pour cause « un simple retard dans le paiement du denier de saint Pierre, 1» ce qui fournit un prétexte à leur vertueuse indignation contre la cupidité des papes. Les autres se persuadent que le génie de Grégoire VII surfait, on ne sait trop pourquoi, par l'admiration rétrospective, était en réalité un composé de faiblesse, de simplicité puérile et de naïves illusions. « Grégoire, disent-ils, était l'homme qui savait le moins se défier. Il avait pris naïvement Henri IV d'Allemagne pour un croisé, et Guillaume le Conquérant pour un gonfalonier de saint Pierre. Certes, nul ne mit une plus robuste persévérance à poursuivre l'alliance de César : Henri comptait déjà quinze ans d'attentats inouïs contre la pudeur, contre l'humanité, contre la religion, qu'on affectait encore de les ignorer. Tant de condescendances sont inutiles, mais alors, chose étrange ! une illusion manquant, on en ressaisit une autre; au défaut de Henri, on va se reprendre à Guillaume. Grégoire tenait toujours à ses rêves dorés ; après le réveil il les rappelait encore 2. » A cette appréciation de pure fantaisie où l'irrévérence touche au scandale, on préférerait les brutales injures de l'école rationaliste. La vérité est que Grégoire VII ne prit nullement « Henri IV d'Allemagne pour un croisé, » nos lecteurs en ont eu sous les yeux des preuves surabondantes ; il ne prit pas davantage «Guillaume le Conquérant pour un gonfalonier de saint Pierre, » il vient de nous le dire lui-même. Enfin le conflit entre Guillaume d'Angleterre et Grégoire VII n'eut point pour  cause  « le retard  dans le  paiement  du  denier de Saint

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1. Aug. Tierry, Hist. de la conq. de VAnglet., tom. II, p. 214. 2. Cours comf1, d'hist. ecd., tom. XIX, col. 1259.

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Pierre 1, » mais les lois oppressives que le  Conquérant venait de promulguer dans ses Etats.

 

16. A moins de trahir son devoir de chef de l'Eglise, Grégoire VII ne pouvait point ne pas protester contre une législation à despotique qui élevait une barrière entre le saint-siége et l'épiscopat anglais. Mais avec un admirable tempérament dont il expliquait la secrète économie à son légat, il voulut d'abord faire agir un intermédiaire à la fois autorisé et agréable au monarque. Ce fut donc à Lanfranc qu'il s'adressa en premier lieu. La lettre est datée du VIII des calendes d'avril (25 mars 1079), quelques jours après la tenue du concile quadragésimal où aucun évêque d'Angleterre n'avait eu la permission de se rendre. Grégoire VII y parle avec une fermeté et une tendresse vraiment apostoliques. «Depuis l'époque où malgré mon indignité il m'a fallu, dit-il, accepter le fardeau du pontificat, votre fraternité ne s'est guère préoccupée de venir à nous. Cette négligence nous surprend d'autant plus que nous devions moins nous y attendre de la part de votre dilection. Si la mansuétude apostolique et les souvenirs de l'antique amitié ne nous avaient retenu, vous sauriez depuis longtemps combien cet oubli nous est pénible. J'ai maintenant acquis la triste certitude que vous avez été retenu par la crainte du roi, de ce roi qu'entre tous

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1 Dès le début de l'organisation de la conquête, Guillaume avait promulgué un code législatif dont l'article 18 intitulé : De denariis sancti Pétri est ainsi conçu : Liber homo qui habuerit averia campestria XXX denariis œstimanda. dabit denarium sancti Pétri. Pro IV denariis quos denaverit dominus, quieti erunt bordarii ejus et ejus boner et ejus servienfes. Burgensis qui de propriis catallis habet id quod dimidia marca sestimandum est, det donarium sancti Pétri. Qui in lege Danorum est liber homo et habet averia campestria quss dimidia marca in argento sestimantur, débet dare denarium sancto Petro. Et per denarium quem donaverit dominus, erunt quieti ii qui manentAn suo dominico. Voici la traduction de cet article en vieux français du temps de la Conquête : « Franc homme qui a d'aver champester trente deniers vailaunt, deit doner le dener saint Père. Le seignur pur IV den. que il donrad, si seront quites ses bordiers, e ses boner, e ses serianz. Li burgeis qui ad en son propre chatel demi-marc vailant, deit dener seint Père. E per le dener qui li seignur donrat, si erent quiètes ceals qui meinent en son demainer. i (Willelm. Conquest. Leges. Pair. Lat., tom. CXLIX, col. 1303.)

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les autres souverains nous  avons toujours   aimé d'une prédilection spéciale. Mais il n'y en  a pas  moins de votre part une grande faute. S'il vous restait au cœur un souvenirde notre vieille amitié ou un vif sentiment  de  l'affection  filiale due à la sainte église romaine votre mère, y aurait-il au monde une puissance si formidable, ou une personne si chère, qui pût soit par terreur soit par attachement vous séparer de nous ? Si quelque emportement nouveau de présomption et d'arrogance, quelque passion soudaine, quelque caprice imprévu soulève aujourd'hui contre le siège apostolique un puissant personnage, nous y serons d'autant plus sensible que notre affection pour lui est plus  vive. Mais votre religion saura prévenir ce malheur par de sages avis et de prudents conseils. Avertissez-le de ne faire aucune entreprise injuste contre l'église romaine mère commune des chrétiens ; de ne point empiéter audacieusement sur la juridiction  ecclésiastique; de n'empêcher ni votre fraternité ni aucun autre évêque de faire sa visite canonique au saint-siége1. »


   17. La réponse de Lanfranc, ne se fit point attendre. Elle était pleine de déférence, mais  elle ne laissait aucun espoir d'amener pour le moment par la voie de la douceur l'esprit du fier monarque à aucune concession.  « Au révérend et suprême pasteur de l'Eglise universelle Grégoire, Lanfranc pécheur et évêque indigne hommage et soumission. — Les lettres de votre excellence m'ont été remises par Hubert sous-diacre du sacré palais et je les ai reçues en toute humilité. Avec une paternelle mansuétude vous me reprochez de me montrer depuis mon élévation à l'épiscopat moins affectionné qu'autrefois  à votre  personne  sacrée  et à la  sainte église romaine. Et pourtant moins  que  personne je ne saurais douter que si je suis parvenu à ce comble d'honneur j'en suis redevable à l'autorité du siège apostolique. Je ne veux ni ne dois, vénérable père, discuter votre parole, mais en interrogeant ma conscience, j'y trouve le témoignage que ni l'absence corporelle, ni la distance qui nous sépare, ni surtout le changement de for-

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1. S. Greg. VII, Epist. xxx, lib. VI, col. 536.

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tune, ne sauraient altérer la soumission absolue et complète que je professe selon l'esprit des canons pour votre autorité. Plût à Dieu qu'il me fût donné de pouvoir jouir de votre présence et de vos entretiens ! vous verriez à mes paroles et à mes actes que mon amour pour vous n'a fait que s'accroître et que c'est le vôtre, si j'ose hasarder cette présomption, qui a quelque peu diminué à mon égard. De concert avec votre légat, j'ai présenté du mieux que j'ai pu vos observations au roi mon seigneur; j'ai conseillé, mais je n'ai pu persuader, suasi sed non persuasi. Le roi lui-même vous notifie par un message spécial les motifs qui l'ont empêché de vous donner complète satisfaction1. »

 

   18. Le sous-diacre de l'église romaine Hubert avait été en effet chargé de cette délicate négociation, et d'après le témoignage de Lanfranc lui-même s'en était acquitté de son mieux. Mais ses efforts et ceux de l'illustre métropolitain de Cantorbéry avaient échoué devant la fougueuse résistance du Conquérant. Il dut rappeler à Guillaume les promesses spontanées que simple duc de Normandie, avant de traverser le détroit pour son expédition victorieuse, il avait faites au pape Alexandre II, lorsque, selon l'expression même des chroniqueurs « il requéroit licence de conquerre son droit en soy soumettant, si Dieu lui donnoit grâce d'y parvenir, de tenir le royaume d'Angleterre de Dieu et du saint père comme son vicaire, et non d'autre. » Comment concilier les engagements passés avec la prétention de n'admettre en Angleterre les lettres apostoliques et les rescrits pontificaux qu'après un contrôle du bon plaisir royal ? Le légat dut aussi faire remarquer une autre contradiction non moins étrange. Chaque année, depuis sa conversion au christianisme sous le pontificat de saint Grégoire le Grand, l'Angleterre envoyait à Rome sous le nom de denier de Saint-Pierre le tribut de sa piété filiale, et maintenant le roi prétendait interdire à tous lesévêques de ses états le pèlerinage au tombeau des apôtres et la

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1. Lanfranc. Epist. ad Greg. VII; Pair. Lat, tom. CXLVIII, col. 735. 2. Chron. de Normandie, ep. D. Bouquet : Recueil des hist. franc., tom. XIII, p. 227.

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visite canonique au saint-siége. A ces représentations verbales Guillaume répondit par une lettre dont voici la teneur : «Au très-excellent pasteur de la sainte Eglise Grégoire, Guillaume par la grâce de Dieu glorieux roi des Anglais et duc des Normands salut et amitié. — Le légat Hubert envoyé par vous, religieux père, m'est venu trouver de votre part ; il m'a invité d'abord à rendre foi et hommage à vous et à vos successeurs, puis à me souvenir du tribut que mes prédécesseurs avaient coutume d'envoyer à l'église romaine. J'ai admis l'un de ces points, non l'autre. Je n'ai pas voulu et ne veux pas prêter serment de fidélité, parce que je ne l'ai point promis et que nulle part je ne trouve que mes prédécesseurs l'aient fait aux vôtres. Quant au tribut, la collecte en a été faite avec négligence pendant ces trois dernières années où les affaires m'ont retenu dans les Gaules. Maintenant que par la miséricorde divine je suis de retour dans mon royaume, je remets au légat Hubert les sommes déjà recueillies. Le surplus sera transmis dans l'occasion par les soins de l'archevêque Lanfranc notre féal. Priez pour nous et pour la stabilité de notre règne, car si nous avons aimé vos prédécesseurs, nous vous chérissons vous-même au-dessus de tous les autres et nous désirons sincèrement pouvoir vous montrer notre obéissance 1. »

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