Monothélisme 4

Darras tome 16 p. 88


   6. L'empressement de Clovis II à se prêter aux vues du pape, en lui accordant pour une mission glorieuse mais  délicate et pleine de périls les deux plus grandes lumières de l'église des Gaules, nous révèle à la cour de Neustrie la pieuse influence d'une jeune reine qui rappelait sur le trône les vertus de sainte Clotilde et de sainte Radegonde. La Providence avait conduit, comme par la main, une captive anglo-saxonne pour la faire régner sur les Francs. Bathilde, c'était son nom, avait été enlevée au foyer paternel à la suite d'une de ces guerres locales, si fréquentes alors dans la Grande-Bretagne. La noblesse de son origine ne la sauva point de la servitude. Transportée dans les Gaules avec d'autres prisonniers de guerre, elle fut vendue comme eux par ses ravisseurs, qui trafiquaient en pirates des victimes de leurs exploits militaires. Un leude neustrien Erchinoald l'acheta. La modestie de la jeune esclave, sa rare beauté, ses malheurs tou-

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1 S. Martin., Epist. ad Amandum; Patr. lai., tom. cit., col. 138. 2. Audoen., Vit. S.Eligii, lib. I, cap. xxxm-xxxiv ; Patr. lat., tom. LXXXVII, col. 505.

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chèrent le cœur de son maître. Il l'éleva avec une affection paternelle. A la mort du maire du palais Éga, Erchinoald lui fut donné pour successeur. Bathilde le suivit au palais mérovingien, où le jeune roi Glovis II couronna la captive, et la fit monter en 649 sur le trône des Francs. Bathilde ne fit servir son pouvoir qu'au soulagement des malheureux. Saint Éloi, saint Ouen, saint Landéric de Paris, le premier surtout, devinrent ses conseillers habituels : ils lui donnèrent en qualité d'aumônier un clerc nommé Genesius (saint Genès), qui devait plus tard illustrer le siège métropolitain de Lyon et faire revivre les grands exemples des Pothin et des Irénée. On comprend dès lors le favorable accueil fait par la cour de Neustrie aux propositions de saint Martin Ier. En Austrasie, où régnait le bienheureux Sigebert III et où l'influence de saint Amand était considérable, on aurait cru pouvoir compter sur un pareil résultat. Mais Pépin de Landen avait, dans l'an 639, terminé sa glorieuse carrière. Son fils Grimoald lui avait succédé au pouvoir sans hériter de ses vertus. Jamais contraste ne fut plus marqué dans l'histoire. Nous aurons bientôt l'occasion d'en donner la preuve en racontant les tragédies que l'ambition de Grimoald suscita dans le palais austrasien. Pour le moment il dissimulait, sous un prince jeune et pieux, la perfidie de son caractère. Toutefois, par échappées, il laissait déjà pressentir les mauvaises inspirations de son génie. Ainsi, pendant qu'en Neustrie deux conciles se réunissaient librement, l'un à Nantes, l'autre à Châlons-sur-Saône (650)1, pour souscrire aux décisions de celui de Latran, Grimoald, abusant de l'autorité et du nom de Sigebert, opposa les plus dures et les plus injustes défenses à la tenue du concile austrasien dont Wulfolède, métropolitain de Bourges, peut-être en vertu d'une commission spéciale du pape, avait pris l'initiative et déjà fixé l'époque 2. Saint Amand, seul de tous les évêques des

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1 Nous n'avons plus les actes de ces conciles.

2.  « Nous avons encore, dit le cardinal Pitra, conservée dans la correspondance de Desiderius de Cahors [Pair, lat., tom. LXXXVII, col. 264), la circulaire ministérielle envoyée dans cette circonstance aux évêques, par Grimoald. Elle ferait honneur au génie retors et chicanier de nos légistes

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Gaules, partit pour Rome. Il arriva encore à temps pour recevoir la bénédiction du pape saint Martin et lui faire agréer avec sa démission du siège de Maëstricht le choix de Remaclius (saint Remacle), auquel il voulait confier cet évêché pour demeurer lui-même plus libre de se vouer au ministère apostolique. Il n'était déjà plus question alors d'une ambassade solennelle à Constantinople. Le pape s'était borné simplement à transmettre à l'empereur les actes du concile romain, en les accompagnant d'une lettre respectueuse mais ferme, dans laquelle il exposait la vérité et rappelait que la foi est le plus sûr boulevard des empires 1.

   7. Pour maintenir dans l'orthodoxie les chrétientés désolées de Palestine, de Syrie et d'Egypte, il crut nécessaire de conférer le titre et l'autorité de vicaire apostolique en Orient à l'évêque Jean de Philadelphie (l'ancienne Rabbath-Ammon), avec ordre de pourvoir incessamment les églises d'évêques, de prêtres et de diacres sincèrement attachés à la vraie doctrine. Ceux des hérétiques qui voudraient abjurer l'erreur devraient le faire par une profession de foi écrite et signée de leur main; ils pourraient ensuite être rétablis dans leur ministère, pourvu qu'il ne se trouvât point d'autre empêchement canonique. « Nous sommes en effet, dit saint Martin, les défenseurs, les gardiens, et non les prévaricateurs des canons. » La correspondance pontificale adressée aux églises de Jérusalem et d'Antioche témoigne du lamentable état où les conquêtes musulmanes avaient réduit la Palestine et la

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parlementaires. Dès le premier mot, le maire du palais traite de fable le bruit d'un prochain concile. Comment pourrait-il en ignorer le lieu et les membres? Assurément il respecte les canons de l'Église, comme on les a toujours respectés au palais ; mais qu'on tienne concile, à telle époque, sans en prévenir le roi, ni le roi ni les grands ne sauraient le tolérer. Que si plus tard, en temps opportun, après avis préalable, on veut s'assembler pour le bien de l'Eglise ou de l'État, ou pour tout autre cause raisonnable, soit ; mais toutefois, on le répète, après information du roi. Bref, point de concile pour leur sainteté épiscopale, jusqu'à nouvel avis du bon plaisir royal. » (D. Pitra, Hist. de S. Léger, pag. 84, note.) 

1. S. Martin, Epist. ad Constant, imper.; Pair, lat., tom. LXXXVII, col. 138.

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Syrie. Outre les ruines matérielles amoncelées par l'invasion, les fils de l'Islam, reprenant la politique de Chosroès, se déclaraient partout les alliés du schisme et de l'hérésie contre la foi catholique. Ils installaient de force des monothélites sur les sièges épiscopaux ; les nestoriens, les eutychéens recommençaient à infester la Syrie et l'Egypte. Le manichéisme auquel le pape faisait allusion, dans sa lettre à saint Amand, sortait des ténèbres dont les sévérités légales l'avaient depuis deux siècles contraint à s'envelopper. Il reparut au grand jour et s'annonça, dans sa nouvelle transformation, comme le frère aîné du monothélisme. De Samosate où il s'était perpétué dans quelques familles à l'état de société secrète, un de ses adeptes, du nom de Paul, le propagea en Orient et l'établit surtout en Arménie. Les sectaires, abandonnant la dénomination compromettante de manichéens, prétendirent que leur nouvel apôtre était réellement saint Paul descendu du ciel pour les instruire : ils s'appelèrent Pauliciens. Par une sorte de logique dans la démence, Constantin, l'un des plus ardents disciples du nouveau Paul, se donna lui-même pour le vrai Sylvanus des épîtres du grand apôtre. « Le démon, selon le mot du chroniqueur Pierre de Sicile, soufflait manifestement l'illusion dans le monde. » Les pauliciens ne voulaient plus qu'on prononçât même le nom de leurs véritables ancêtres Basilide, Valentin, Térébinthe, Manès. Ils jetaient hautement l'anathème à la mémoire et aux écrits de ces vieux gnostiques décrédités. Pour eux, l'unique autorité était celle des Ecritures ; ils prétendaient y trouver les deux principes du bien et du mal coexistants et coéternels avec leurs conséquences nécessaires, le fatalisme et l'immoralité. L'institution de l'Église, la présence réelle, le culte de la croix, l'invocation de la vierge Marie et des saints, étaient à leurs yeux autant de formes prises par le génie du mal pour enchaîner les âmes simples et ignorantes. Ainsi le manichéisme, société occulte, et le mahométisme, société guerrière et conquérante, se donnaient la main au VIIe siècle pour renverser le grand édifice de l'Église et replonger les états chrétiens dans la barbarie. Aujourd'hui le croissant de Mahomet n'est plus redoutable, mais les ténébreuses affiliations de

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l'esprit du mal, sous des noms différents, poursuivent encore l'œuvre de Manès et des pauliciens. 


   8. En luttant avec une vigueur apostolique contre ces ennemis de la foi, c'était la civilisation et l'ordre public que le pape Martin Ier défendait, pendant que l'empereur monothélite Constant II désertait honteusement cette grande cause. Le dernier acte du courageux pontife, dans cette guerre qui devait lui coûter la vie, fut la déposition de l'évêque récemment élu de Thessalonique. Dans une lettre synodique adressée selon la coutume au saint siège, le nouveau titulaire, nommé Paul, faisait une profession de foi vague et embarrassée, où l'œil exercé de saint Martin n'eut pas de peine à découvrir la tendance monothélite. Les députés de Thessalonique assurèrent que leur évêque avait failli uniquement par inadvertance; que, soumis d'esprit et de cœur à la doctrine catholique, il s'empresserait de rectifier les inexactitudes, et d'éclaircir dans un sens orthodoxe les ambiguïtés de sa lettre. Le pape manda aussitôt à ses légats en Orient de signaler à Paul les points défectueux de sa profession de foi. Afin d'éviter toute méprise ultérieure, il leur transmit, rédigée d'avance, la formule qu'ils auraient à lui faire souscrire sans altération ni retranchement quelconques. Malgré ces précautions, Paul réussit à tromper ou peut-être à séduire les apocrisiaires. Au lieu de souscrire purement et simplement la formule envoyée de Rome, il demanda à la transcrire de sa main et à la signer sur sa propre copie. En consentant à cette demande, les légats commettaient une première faute et violaient le texte de leurs instructions ; mais ils en firent une seconde bien plus grave, en ne réclamant pas contre l'omission calculée de l'adjectif naturelles, fusicai, que la formule pontificale ajoutait aux termes deux volontés et deux opérations en Jésus-Christ. Ainsi que nous l'avons dit précédemment, le terminus technicus de l'orthodoxie était précisément deux volontés naturelles, deux opérations naturelles en Jésus-Christ. La suppression du mot fusicai rejetait donc la profession de foi de l'évêque de Thessalonique dans les équivoques et les embûches où Sergius, au début de la controverse, avait voulu emprisonner la question. En

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présence d'une telle mauvaise foi, saint Martin comprit la nécessité de sévir rigoureusement. Les légats durent expier leur faiblesse par la pénitence canonique sous le sac et la cendre : l'évêque Paul fut déposé.

§ II. Exil et martyre.


  1.  Autant le pontife déployait de zèle pour la foi catholique, autant l'empereur de Constantinople montrait d'obstination dans la fausse route où il s'était engagé. La lutte sortit bientôt du caractère d'une discussion dogmatique pour prendre celui de la persécution. Constant ne pouvait empêcher la grande voix qui s'élevait du siège de Rome pour défendre intrépidement la vérité orthodoxe, de retentir jusqu'aux extrémités du monde. Il crut qu'en tuant le pontife il étoufferait d'un même coup la doctrine, et ce fut là le but vers lequel il dirigea sa politique. Le chambellan Olympius fut envoyé comme exarque en Italie, avec ordre précis de faire assassiner le souverain pontife. Digne ministre de la fureur impériale, Olympius prépara tout pour la réussite du complot. Le jour et le moment furent fixés. Un écuyer (spatkarius) devait profiter de l'instant où le pape se baisserait pour donner la communion aux fidèles et le tuer. Le Liber Pontificalis nous a décrit la scène émouvante qui eut lieu dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure, la cécité soudaine et miraculeuse dont fut frappé le spathaire Olympius, reconnaissant l'intervention divine, ne persista pas davantage dans ses intentions criminelles; il alla se jeter aux pieds du pape, lui fit l'aveu de tout ce qui s'était passé, sollicita son pardon, l'obtint, et passa en Sicile pour combattre les musulmans qui la dévastaient. 
  2.  L'empereur Constant ne se laissa point désarmer par la mauvaise issue d'une première tentative. Il voulait que cette fois sa vengeance fût certaine, et résolut de faire enlever le souverain pontife. Il confia cette mission à Théodore Calliopas, qu'il investit de l'exarchat d'Italie après la destitution d'Olympius. Les prétextes

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dont Constant cherchait à colorer ses violences se fondaient sur divers griefs qu'il imputait à saint Martin I. Il l'accusait d'hérésie et lui reprochait de ne pas honorer la vierge Marie comme mère de Dieu. Cette accusation de nestorianisme était constamment reproduite contre les catholiques par les monothélites et les eutychéens. Enfin il le chargeait du crime de trahison, prétendant que le pape avait fourni de l'argent aux sarrasins. Cette calomnie avait trait à un acte de libéralité du saint pontife qui, en apprenant les ravages des musulmans en Sicile, avait envoyé des sommes d'argent pour racheter les prisonniers tombés entre leurs mains. La malignité des courtisans dénatura ce fait si simple de charité apostolique : on prétendait à Constantinople que le saint pontife distribuait les trésors de l'église romaine aux sarrasins pour les aider dans la guerre désastreuse qu'ils faisaient à l'empire. Saint Martin I, en apprenant ce qui se tramait contre lui, se retira avec son clergé dans la basilique du Latran. Il y était enfermé, lorsque l'exarque Théodore Calliopas et son chambellan Péliure arrivèrent à Rome. Le pape était malade et ne put aller à leur rencontre comme cela se pratiquait alors. Il se contenta d'y envoyer quelques personnages éminents de son clergé. L'exarque usa d'abord de ruse : il craignait que le pape ne voulût se défendre. S'étant assuré du contraire par une perquisition faite dans l'intérieur du Latran, il s'y rendit avec des soldats. Le pape infirme était couché à la porte de l'église. Les soldats entrèrent tout armés, sans aucun respect pour le saint lieu. Calliopas présenta aux prêtres et aux diacres un rescrit impérial leur enjoignant de procéder à la déposition canonique de Martin, dont les doctrines hétérodoxes scandalisaient l'univers. Il devait être ensuite transféré à Constantinople et amené au prince qui statuerait sur son sort. Le clergé déclara unanimement que «la foi de Martin était la seule orthodoxe. » Calliopas, feignant de remplir à regret sa mission, protesta qu'il n'avait pas lui-même une croyance différente. « Mais, s'écria-t-il, je dois obéir aux ordres de l'empereur. » Le pape n'opposa aucune résistance malgré les conseils et les supplications des clercs, qui eussent

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voulu faire appel au peuple de Rome. «J'aimerais mieux, dit le saint pontife, mourir dix fois que de causer la mort d'une seule personne. » Il demanda pour toute grâce de pouvoir emmener avec lui quelques-uns de ses clercs. Cette requête lui fut ostensiblement accordée, mais Calliopas se réservait d'en éluder l'effet. Il fit embarquer secrètement le pape sur le Tibre pendant la nuit, et lorsque la flottille eut quitté Rome, les portes de la ville furent fermées au dévouement des fidèles serviteurs qui voulaient aller rejoindre leur maître.


11. Arrivés à l'île de Naxos, les gardiens du saint pontife y relâchèrent et le pape y resta un an. Pendant la traversée, il avait horriblement souffert, sans qu'il lui fût une seule fois permis, dans les divers ports où l'on avait fait halte, de sortir du vaisseau qui était sa prison. A Naxos, les évêques et les habitants du pays l'accueillirent avec la plus grande vénération; ils le comblèrent de présents et n'épargnèrent rien pour soulager sa détresse. La cruauté de ses gardiens rendit leurs soins inutiles. Les soldats pillaient tout ce qui lui venait de la charité des fidèles et l'accablaient d'insultes : plusieurs fois ils maltraitèrent ceux qui avaient assez de courage pour venir visiter l'auguste prisonnier. «Quiconque aime cet homme, disaient-ils, est l'ennemi de l'état ! » Enfin le pape quitta Naxos et arriva à Constantinople (17 septembre 654). Depuis quatre heures du matin jusqu'à quatre heures du soir, il fut laissé dans le port, couché sur un grabat, livré aux outrages d'une populace égarée. On le traîna ensuite à la prison publique de Pandearia, où il resta enfermé trois mois. Du fond de son cachot, il écrivit deux lettres à l'exarque pour se justifier des accusations dont on le chargeait. « Je n'ai jamais, dit-il, envoyé aux sarrasins ni argent, ni lettres, ni subsides. Les secours que j'ai remis à des serviteurs de Dieu pour les malheureux siciliens, étaient destinés au rachat des captifs. Il n'est pas moins faux que j'aie refusé jamais les honneurs dus à la glorieuse vierge Marie mère de Dieu. Anathème en ce monde et en l'autre à quiconque ne lui rend pas un culte supérieur à celui de tous les saints, un culte qui ne le cède qu'à l'adoration réservée à son Fils Notre-

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Seigneur et notre Dieu 1. » Ailleurs il fait le récit de ses propres souffrances, des cruautés exercées sur sa personne, et il termine par ce mot d'une mansuétude admirable : « Mais j'espère en Dieu qui voit tout. Quand il m'aura retiré de cette vie, il daignera se souvenir de ceux qui me persécutent et les amènera à la pénitence2, » Après trois mois de la plus rigoureuse détention, il fut transporté par les soldats (car la maladie ne lui laissait plus la force de marcher) dans l'appartement du sacellaire Troïlus, et interrogé par le patrice Bucoléon. Le sénat était réuni pour procéder à l'interrogatoire du saint pontife ; on voulait encore conserver quelques formes extérieures de régularité, dans une cause où les droits les plus sacrés étaient indignement foulés aux pieds. Le sacellaire ordonna au pape de se tenir debout. Martin ne le pouvant à cause de ses infirmités, fut soutenu par deux soldats ; et dans cette attitude il subit l'interrogatoire le plus brutal.
Premier


   12. Bucoléon adressa le premier la parole à l'héroïque martyr : « Réponds, misérable, dit-il, quel mal t'a fait l'empereur? A-t-il confisqué tes biens? Peux-tu lui reprocher un seul acte de violence?» Martin ne répondit pas un mot; les faits parlaient assez éloquemment. Le sacellaire reprit alors avec colère : « Tu ne réponds rien? Tes accusateurs vont entrer. » Ils étaient au nombre de vingt, la plupart soldats, les autres appartenant à la lie du peuple. A leur vue, le pape dit en souriant : « Sont-ce là les témoins? Est-ce là votre procédure? » Puis, comme on les faisait jurer sur le livre des évangiles, il se tourna vers les magistrats en disant : « Je vous supplie, au nom de Dieu, de les dispenser d'un serment sacrilège ; qu'ils disent ce qu'ils voudront. Faites vous-mêmes ce qui vous est ordonné. Mais ne les exposez point à perdre leur âme. » Le premier des faux témoins, désignant le pape du doigt, s'écria : « S'il avait cinquante têtes, il mériterait de les perdre toutes pour avoir conspiré en Occident contre l'empereur, de concert avec Olympius, l'ancien exarque. » A cette accusation formulée d'une manière aussi

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1. S. Martin, Epist. xiv ; Pair, lai., tom. LXXXVII, col. 199. — 2 S. Martin, Episl. xv ; tom. cit., col. 202.

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énergique, Martin répondit que jamais il n'avait trahi les intérêts de l'empereur en matière politique, mais qu'il ne pouvait lui obéir quand la cause de la foi était en péril. «Ne nous parlez point de l foi, reprit le calomniateur; il n'est ici question que du crime de lèse-majesté. Nous sommes tous chrétiens et orthodoxes, les Romains et nous. — Plût à Dieu ! répondit le pape. Toutefois au jour terrible du jugement je rendrai témoignage contre vous au sujet de cette foi. — Pourquoi, lui demanda-t-on alors, quand Olympius trahissait l'empereur, ne l'en détourniez-vous pas ? — Comment, dit le pape, aurais-je pu résister à Olympius qui disposait de toutes les forces de l'Italie ? Est-ce moi qui l'ai fait exarque? Mais je vous conjure, au nom de Dieu, achevez au plus tôt la mission dont vous êtes chargés. Dieu sait que vous me procurez une belle récompense1. » 

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