St Ambroise 4

Darras tome 10 p. 501

 

   28. Saint Ambroise était désigné ainsi  par le suffrage public pour être le secrétaire du concile : mais il vint à tomber malade. L'embarras était grand dans l'asspmblée, lorsque le pape Damase prit par la main le moine Jérôme, et, le présentant aux pères, le désigna pour suppléer l'évêque de Milan. Un saint remplaçait un autre saint; les deux grands docteurs étaient dignes l'un de l'autre. Ce n'était cependant pas une tâche facile à remplir que celle dont Jérôme venait d'être subitement investi. Il ne tarda point à s'en apercevoir. Les Apollinaristes, après leur condamnation récente à Constantinople, avaient interjeté appel au saint siège. Leur cause allait être examinée. Ils la soutinrent, pendant plusieurs séances, avec une ténacité et une ardeur qui firent désespérer un instant de ramener ces esprits opiniâtres. La logique inflexible de saint Jérôme ne faisait que les irriter sans les convaincre. Saint Epiphane intervint dans la discussion. Plus familiarisé que son ami avec les subtilités et les distinctions habituelles aux Orientaux, l'évêque de Salamine, le docteur pentaglètos (aux cinq langues), comme on l'appelait, réussit à faire triompher le dogme catholique. Successivement les Apollinaristes abandonnèrent toutes leurs erreurs. On convint de leur faire signer un formulaire de foi dont la rédaction fut confiée à saint Jérôme, et de les réhabiliter ensuite dans la communion orthodoxe. Mais les choses n'étaient point aussi avancées qu'elles pouvaient le paraître. Au jour fixé, saint Jérôme lut devant le concile le symbole ou formulaire. C'était un exposé net et lucide du dogme de la Trinité et du mystère de l'Incarnation. Parmi les diverses qualifica-

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l'Église et i'Emp. fom.3 loin. VI, pag. 39-41.

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p502 PONTIFICAT  DE  SAINT  DAJIASE   (3G6-38Ï).

 

tions données à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Jérôme inscrivait, à l'exemple de saint Athanase et de plusieurs autres pères, celle de Homo Dominicus, qui exprimait à la fois la réalité de l'homme et celle de Dieu, ou les deux natures distinctes, réunies dans la personne unique du Verbe incarné. A ce mot. les Apollinaristes se récrièrent que l'expression était nouvelle, téméraire et scandaleuse ; que jamais aucun docteur faisant autorité ne l'avait employée, et qu'ils ne la ratifieraient point. Saint Jérôme avait sous la main un exemplaire de l’Exposition de la Foi par saint Athanase. Il déroula le parchemin et montra un passage de l'illustre patriarche renfermant l'expression contestée : anthropos xuriaxos. « Emportez ce livre, dit-il aux Apollinaristes. Examinez-le à loisir. Son auteur, vous le savez, fut l'âme du concile de Nicée. Nous ne saurions nous égarer, en lui empruntant un terme qui figure dans son exposition théologique de la foi. » Le lendemain, les Apollinaristes rapportèrent l'exemplaire qui leur avait été confié. L'expression anthropos xuriaxos; y était toujours ; mais ils firent observer qu'elle occupait dans le manuscrit la place d'une surcharge recouvrant des mots antérieurement grattés. «Evidemment, disaient-ils, la rédaction primitive d'Athanase n'était point celle-ci. Quelle était-elle? Nous ne le savons pas. Mais le manuscrit a été altéré pour les besoins de la cause. » Cette insinuation faisait peser sur Jérôme une accusation que tout le concile indigné repoussa unanimement. Rien n'était plus facile que de se procurer d'autres exemplaires du traité de saint Athanase et de se convaincre de la vérité. Secrétaire d'un concile, Jérôme n'aurait pu, sans une véritable folie, recourir à un stratagème aussi indigne de sa conscience que puéril dans le résultat. Les Apollinaristes n'insistèrent pas; ils signèrent le symbole proposé et se soumirent. Nous verrons plus tard les ennemis de saint Jérôme réveiller le souvenir de cet incident, et s'en faire une arme de guerre contre lui. Apollinaire de Laodicée, abandonné par ses adhérents, persista seul dans son erreur. La décision du concile de Rome, aussi bien que celle de Constantinople, le trouva

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1 Labbe, Concil., ton). Il, pag. Î013.

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p503 CHAP. IV.   —  CONCILE  DE   ROME.

 

inflexible.  Il mourut dans l'impénitence  finale. Triste exemple d'obstination, d'entêtement et d'orgueil !

 

29. Les anathèmes prononcés contre l'erreur des Apollinaristes furent suivis de la condamnation formelle des Ariens, semi-Ariens, Macédoniens, Donatistes, et des schismatiques adhérents d’Ursicicus. Sous le rapport doctrinal, les pères ratifièrent, en les sanctionnant de leur autorité, les décisions prises l'année précédente par le concile de Constantinople, auquel ils reconnurent ainsi le caractère d'œcuménicité en matière de foi. Au point de vue disciplinaire, les élections de saint Nectaire de Constantinople et de Timothée, le nouveau patriarche d'Alexandrie, furent maintenues. II n'en fut pas de même de celle de Flavien, donné pour successeur à saint Mélèce d'Antioche. On stipula que cet acte avait été commis trop légèrement ; qu'il était contraire aux règles canoniques non moins qu'aux avis précédemment donnés par le saint siège et aux engagements amiables souscrits par Melèce et Paulin. Cependant on s'abstint de séparer Flavien et ses partisans de la communion orthodoxe. Le concile estima qu'il fallait d'une part ménager pour l'avenir la pacification de l'église d'Antioche, en prévenant le scandale d'une double élection à la mort des deux nouveaux compétiteurs ; de l'autre, qu'il valait mieux tolérer l'état de choses actuel que d'exposer tout l'Orient à un schisme : Ne totus oriens ab unitute Ecclesiœ se prœscinderet, ab excommunicatione Flaviani cessatum est, et schisma Antiochenœ ecclesiœ ad tempus certum toleratum fuit. Ces paroles formelles nous dispensent d'insister sur l'erreur de M. Amédée Thierry, qui a cru devoir écrire : « Un décret synodique confirma Paulin dans la possession du siège d'Antioche et excommunia Flavien : c'était le moins qu'on pût faire 1. » L'illustre historien n'a sans doute pas réfléchi à la gravité de son assertion. Le fait de l'élection de Flavien est l'un des lieux éclaircis de l'histoire de l'Église, parce qu'il se rattache de fort près à l'ordination sacerdotale de saint Jean Chrysostome, lequel reçut l'imposition des mains de ce pontife. Or l'Église romaine, qui a

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1 M. Amëd. Thierry, S. Jérôme, tom. I, p. 131.

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p504 POSTIFICAT  DE  SAINT  DAMASE   (366-3SI).

 

canonisé saint Jean Chrysostome, n'a jamais élevé le moindre soupçon sur la régularité de son ordination sacerdotale. Par conséquent, l'Église romaine n'avait point excommunié Flavien.

   30. Après cet ensemble de mesures dogmatiques et disciplinaires, le concile termina ses travaux. Un incident considérable se produisit alors et mit de nouveau en relief la prudence et la fermeté de saint Ambroise. Soit que la récolte eût été insuffisante, soit que les convois de blé venant d'Egypte et de Sicile eussent été fortuitement interrompus, une véritable disette s'était déclarée à Rome. Les efforts des évêques, la charité des riches chrétiens s'unirent vainement pour combattre le fléau. Il atteignit bientôt des proportions formidables. Une émeute éclata. Le peuple affamé criait qu'il fallait chasser tous les étrangers de la ville, se débarrasser de tant de parasites qui absorbaient tous les vivres, et réduire les rations officielles, distribuées quotidiennement par le préfet de l’annona, aux seuls romains de naissance. Les esprits s'échauffaient par ces clameurs. On put craindre d'effroyables désastres. Saint Ambroise s'était rendu chez le préfet de Rome, son ami, et lui dicta le langage qu'il devait tenir à la foule exaspérée. Quand le flot populaire eut envahi tous les abords du palais, le préfet, « vénérable vieillard et très-fervent serviteur de Jésus-Christ, dit saint Ambroise, parut à une fenêtre et fit signe qu'il voulait prendre la parole. Quoi ! s'écria-t-il, nous ne laissons pas les chiens tourner autour de nos tables sans leur donner quelques miettes de notre pain, et nous aurions la barbarie de chasser de nos murs des femmes, des vieillards, des enfants affamés! Ils ne sont pas nés à Rome, dites-vous, mais ne servent-ils pas Rome et l'empire par leur travail, leur industrie, leur commerce et les impôts qu'ils paient à la curie? Ne sont-ils pas vos portefaix, vos marchands, vos domestiques? Ce sont eux qui vous nourrissent. Les laisserons-nous mourir de faim, quand ils nous ont fait vivre tant d'années? Cela augmente la famine, dit-on. Je vous réponds, moi, que cela ne doit accroître qu'une seule chose, notre charité. Personne ne s'est jamais ruiné en oeuvres de miséricorde. Si l'on craint d'épuiser les ressources de l'annona, c'est à chacun de nous, dans la mesure

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p505 CHAP.   IV.   —  L USURPATEUR  MAXIME.

 

de ses facultés, d'y subvenir généreusement! — Cette chaleureuse allocution eut un effet irrésistible. Des cris de joie saluèrent le vieillard, et la foule se dispersa spontanément. Ambroise félicita son noble ami. Quel service vous venez de rendre à votre patrie ! lui dit-il. Vous pourrez un jour montrer à l'empereur toute cette multitude, arrachée par vous à la mort, et lui dire : C'est moi qui vous ai conservé tant de sujets 1 ! » Dans la réalité, ces éloges revenaient à Ambroise lui-même dont la courageuse inspiration avait été couronnée d'un tel succès. Mais l'empereur Gratien ne devait jamais le savoir.


IV. L'asurpateur Maxme.


   31. La réaction païenne ne fut point étrangère à l'événement qui allait enlever à Gratien le trône et la vie. On ne pouvait reprocher à ce jeune prince de vingt-quatre ans qu'un goût peut-être trop vif pour la chasse. En vérité, c'était là un plaisir fort innocent, après tant de sanglants caprices dont les Césars avaient donné l'exemple au monde. On trouvait cependant un autre grief contre lui. On disait qu'il affectait en campagne de porter de préférence le costume militaire des Gaulois. Il le trouvait plus commode et plus simple que le manteau de pourpre. Il avait raison et Constantin le Grand en avait usé de même. Tels étaient les deux chefs d'accusation que la malveillance cherchait ostensiblement à exploiter contre lui. Le troisième ne se disait pas tout haut, bien qu'il fût le seul sérieux. Le jour où Gratien, après la mort de Valentinien I son père, avait reçu l'investiture de l'empire, le sénat lui avait fait offrir le titre et les insignes païens de Pontifex Maximus. « Je suis empereur, répondit le jeune prince. Je ne connais d'autre souverain pontife que l'évêque de Rome. » Cette parole fut immédiatement relevée par le chef de la députation. Celui-ci dit à demi-voix à ses collègues :  « Le prince ne veut pas du titre de

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1. S. Ambros., De offic. min., 111, 7.

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p506 POXTIFICAT   DE  SAINT  DAMASE   (JGG-Col).

 

Pontifex Maximus, bientôt Maximus (Maxime) sera pontife. »
Maxime était donc dès lors désigné comme le futur restaurateur
du paganisme. Général distingué, formé à l'école du père de
Théodose et espagnol comme lui, Maxime avait le commandement
des légions de la Grande-Bretagne. Ses succès contre les Pictes et
les Scots attiraient l'attention sur sa personne. L'avènement du fils
de son ancien général à l'empire d'Orient lui fit concevoir pour lui-même des espérances sans bornes. La récente décision de Gratien
relative à l'autel de la Victoire servit à propos ses projets ambitieux. Il sut à la fois caresser le ressentiment des sénateurs païens,
et entretenir dans l'armée les préventions déjà répandues contre
l'empereur. Gratien aimait à se reposer du commandement militaire sur la fidélité éprouvée du comte Balio et du général franc
Mérobaude. Ces deux hommes méritaient à tous égards la faveur
dont ils étaient l'objet; mais ils avaient le tort d'être nés l'un dans
les Gaules et l'autre en Germanie. Il n'en fallut pas davantage pour
accréditer le bruit que l'empereur détestait les Romains, qu'il réservait aux étrangers, aux barbares, toutes les distinctions et toutes
les charges. Tel était alors le courant de l'opinion, depuis Rome
qui s'ameutait pour faire bannir de la ville quiconque n'était point
indigène, jusqu'aux légions qui ne voulaient pas servir sous les ordres d'un officier né ailleurs qu'en Italie.


   32. Le sentiment populaire, habilement surexcité par les factieux, était aussi absurde qu’ impolitique. L’unité de l’empire avait depuis longtemps dépassé les frontières de la péninsule italique; elle englobait tout l’univers civilisé. Un gaulois, un maure ou un grec étaient aussi romains qu'un enfant de l'Italie. De quel droit exclure les nations annexées des avantages de leur nouvelle patrie, quand on leur en faisait subir toutes les charges? Ou plutôt, quel danger pour Rome, si, traitant en vaincus tous les peuples soumis, elle eût exploité l'univers exclusivement au profit d'une poignée d'Italiens? Mais il ne faut demander aux partis ni sagesse, ni raison. L'intérêt de leur cause est tout. Gratien eut le tort de dédaigner des récriminations injustes, et d'oublier qu'il faut compter avec l'opinion, quand on n'est point assez fort pour la dominer.

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p507 CHAP.—•  ' '"•oilttPATEUR  MAXIME.

 

   À son arrivée dans les Gaules, au printemps de l'an 382, toute l'armée avait été travaillée dans un sens hostile. Aucune démonstration ne se produisit toutefois en sa présence, et il put atteindre les bords du Rhin, dans l'intention de renouveler ses expéditions annuelles contre les Germains toujours indisciplinés. Mais quelques mois après, un courrier venu de la Grande-Bretagne lui apportait la nouvelle d'une révolte des légions. Elles avaient donné la pourpre à leur général et proclamé Maxime empereur d'Occident. Ce dernier s'était hâté de franchir le bras de mer qui sépare les Iles Britanniques de la Gaule ; il marchait sur Lutèce, acclamé par les soldats et le peuple. Gratien, à marches forcées, vint à la rencontre de son rival. Ce fut sous les murs de la capitale des Parisii que se décida la lutte, ou plutôt que se consomma la trahison; car avant même le premier choc, la cavalerie impériale passa dans les rangs de l'ennemi, aux cris de : Vive Maxime Auguste! Toutes les légions firent de même. Trois cents cavaliers seulement demeurèrent fidèles. A leur tête, Gratien s'élança sur la voie romaine qui conduisait à Lugdunum, dans l'espoir de regagner les provinces du midi sur la fidélité desquelles il comptait encore. Sur sa route, toutes les populations s'écartèrent de lui, toutes les villes lui fermèrent leurs portes. Enfin le malheureux prince arriva à Lugdunum. Le gouverneur, nommé Andragathius (homme de bien), l'accueillit avec les démonstrations du plus sincère dévouement, l'engageant à séjourner en cette ville et à y rallier ses troupes éparses. Gratien, après une si triste expérience de la perfidie humaine, hésitait à se fier à ses bonnes paroles. Le magistrat fit apporter le livre des Évangiles et, par un serment solennel, prit Dieu à témoin de sa fidélité. Rassuré par ces protestations, Gratien quitta ses habits de fugitif, reprit la pourpre impériale et vint s'asseoir à un festin qui lui avait été préparé. En ce moment, des meurtriers, soudoyés par le gouverneur, se jetèrent sur le prince et l’égorgèrent. Le dernier cri qui s'échappa de ses lèvres mourantes fut celui-ci : Ambroise! Ambroise! où êtes-vous? — «Il appelait, dit M. de Broglie, celui qui après l'avoir fidèlement aimé sur cette terre, pouvait encore lui ouvrir l'entrée du ciel. Dès qu'il eut cessé

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de respirer, le petit nombre d'amis qui l'accompagnaient prit la fuite. Parmi eux, on remarqua le maître des offices, Macédonius, qui, pâle de terreur et l'esprit égaré, cherchait un asile du côté d'une église. Ou sait qu'à cette époque le droit d’asile était passé des temples païens aux basiliques chrétiennes. Dans son trouble, Macédonius passa à côté de la porte qui était ouverte, sans la voir et sans y entrer. Quelques pas plus loin, il tombait au pouvoir des assassins qui le massacrèrent1. » (383.)

 

33. Ainsi s'accomplissait, à un an de date, la parole prophétique de saint Ambroise. Quand le bruit de la catastrophe parvint en Italie, ce fut une consternation générale. L'évêque de Milan montait en chaire ; il se disposait à développer devant son auditoire le psaume LXIe au moment où la fatale nouvelle lui fut apportée. Sa douleur était immense, il l'exprima avec une noblesse et un à-propos admirables. Le psaume qu'il avait à commenter lui offrait des versets où l'analogie était frappante : Quousque irruitis in hominem ; nterficitis universi vos, tanquam parieti inclinatae et macériae depulsœ? Cucurri in siti ; ore suo benedicebant et corde suo maledicebant. Ambroise saisit admirablement l'allusion et en tira le sujet de la plus touchante de ses homélies. « Il est présent à votre pensée, dit-il, ce jeune prince, naguère envié de tous, puis subitement abandonné par ceux dont il avait reçu le serment, environné de traîtres qui lui fermaient le passage et lui apportaient la mort, sans que nul bras, nul ami, nul compagnon se levât pour sa défense ! Lui aussi il avait couru dans sa soif; lui aussi il put dire pour sa consolation suprême : Nonne Deo subjecta erit anima mea? Quousque irruitis tanquam parieti inclinato et maceriae depulSes cris de détresse ne furent entendus que par les meurtriers qui le poursuivaient. Il pouvait leur demander avec le psalmiste : Pourquoi vous ruer tous contre une muraille inclinée et un rempart en ruines? sœ? Je suis le dernier boulevard de cette Rome auguste, jadis la maîtresse du monde. Je tombe avec elle; j'emporte dans les plis de mon manteau les restes de son antique majesté ! Mais les traîtres vou-

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1.          M. d» Broglie, l'Éyliri et fEmp. rom., toi). VI, pag. 45-50.

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p509 CHAP. IV.  — l'USURPATEUfi MktlXLE.

 

laient sa mort. Ils avaient dit : A bas le juste! A bas le miséricordieux ! Il nous fait mal à voir ! Ces pervers ne peuvent pardonner aux chrétiens la chasteté qui les égale aux anges, la charité qui rachète les âmes en soulageant les corps, la foi, notre foi triomphante, qui arrache le genre humain à la servitude des idoles! Les infâmes ! Jadis ils avaient tendu la main à ce prince pour en recevoir de l'or; aujourd'hui ils l'entourent pour le massacrer! Alors vraiment l'impériale victime put dire : Cucurri in siti, comme Jésus-Christ lui-même dans sa Passion avait dit : Sitio ! J'avais soif de justice et de vérité, quand j'étais au faîte des honneurs, pendant que ces hommes, mes créatures, se gorgeaient du vin de ma libéralité. Maintenant ils m'ont réduit aux tortures d'une soif toute matérielle, moi qui ne songeai jamais qu'à soulager la faim et la soif de mes peuples! Mais que dirais-je de la soif de sang qui dévorait ces impies, durant le dernier festin où ils avaient juré la mort de notre Auguste! Toi surtout, l'homme de sa confiance, son ami, son élu, toi qui partageais ses repas et siégeais dans ses conseils, comment pouvais-tu manger quand tu méditais le meurtre? Comment ne sentais-tu pas des ossements humains craquer sous tes dents à chaque bouchée? Comment pouvais-tu porter à tes lèvres la coupe pleine du sang de ton parricide? 0 Judas, tu as trahi l'empire et l'empereur; tu as tué ton maître ! L'Iscariote de l'Évangile volait l'argent du Seigneur, toi tu as volé des provinces; l'Iscariote avait reçu la dignité d'apôtre, toi la robe du magistrat. En un festin suprême vous avez tous deux ensanglanté la table. Iscariote sortit pour la trahison, toi tu t'es levé pour le meurtre. Iscariote du moins rejeta le prix du sang, toi tu t'en es décoré, tu en fais gloire. Iscariote avait été trompé par les fallacieuses promesses de la synagogue, toi tu t'es parjuré pour tuer ton maître. Le prix du sang repoussé par Iscariote servit à la sépulture des étrangers, toi tu as refusé les honneurs de la sépulture à ton souverain! Aucun trait de la passion évangélique n'a manqué à cette passion impériale. Pilate s'était lavé les mains; le gouverneur de Lugdunum se lava les mains pour toucher le livre sacré des Évangiles et prononcer le serment du

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p510 PONTIFICAT  DE  SAI3T DaXASE  (3G6-3S4).

 

parjure. Pilale remit le Seigneur aux mains du roi Hérode ; le gouverneur de Lugdunum jeta la tête sanglante de son maître au nouvel empereur Maxime 1 ! »

 

       34. A la nouvelle du meurtre de Gratien, son jeune frère Valentinien II, accompagné de l’ impératrice Justina sa mère, quitta précipitamment Sirmium et accourut à Milan se jeter dans les bras de saint Ambroise. Il était à craindre que Maxime, acclamé par les Gaules, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Germanie, ne se contentât point de ce lot magnifique et voulût enlever encore l'Italie et l'Afrique au frère de sa victime. Il est vrai que Théodose le Grand annonçait l'intention de venger la mort de Gratien, son bienfaiteur et son collègue impérial. Mais il fallait du temps pour préparer une expédition de ce genre, et amener de Constantinople aux pieds des Alpes une armée fidèle. D'ailleurs on parlait aussi des anciennes relations d'amitié, d'autres disaient de parenté, qui avaient existé entre l'espagnol Maxime et le père de Théodose. Un rapprochement pouvait se ménager, au moyen d'une habile diplomatie, entre l'usurpateur d'Occident et l'empereur d'Orient. Justina calculait ces chances diverses. Son jeune fils Valentinien II n'avait que douze ans : il ne pouvait encore se protéger lui-même. L'impératrice fit taire ses sentiments ariens pour n'écouter que ceux d'une mère. En arrivant à Milan, elie prit son fils par la main, entra dans la chambre toujours ouverte de saint Ambroise et lui présentant le jeune prince : « Vous seul, dit-elle, pouvez le défendre; soyez le père de l'orphelin!—Je pris ce rojal enfant dans mes bras, ajoute Ambroise, je le couvris de baisers et de larmes2. » L'important, pour l'heure présente, était de se mettre en rapports avec Maxime et de sauvegarder vis-à-vis de lui les droits du jeune Valentinien II. La négociation devait être délicate. L'usurpateur était à Trêves ; il avait déjà fait partir pour Milan un de ses émissaires, le comte Victor, chargé de signifier à Justina et à son fils l'ordre de le venir trouver, pour discuter ensemble les conditions d'un arrangement amiable. On connaissait ses instruc-

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1 S.   \inbros., Enarr,it. in piflm. lxi, passiui;  l'atr. lai., tom. lllj-ir 3. — ' S. Ambros., Ile obitu Valent,n., u« 48; Patr. lut.

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p511 CHAP.   IV.     L'USURPATEUR  MAXIME.

 

tions, bien que Victor ne fût point encore arrivé. Justina ne pouvait y souscrire. C'eût été livrer elle-même son fils au meurtrier de Gratien. Le temps pressait; il fallait un négociateur aussi ferme et intègre que persuasif et habile. La difficulté consistait précisément à le trouver. Un militaire n'aurait pas su remplir ce rôle, auquel il eût facilement donné la couleur d'une provocation. Un sénateur, ou tout autre fonctionnaire civil, pouvait se laisser corrompre, et les trahisons dont on venait d'avoir l'exemple autorisaient la défiance. Ambroise s'offrit pour cette mission périlleuse. L'usurpateur, malgré ses engagements antérieurs avec le parti païen, venait de se faire baptiser. Il sentait probablement que l'avenir appartenait désormais au christianisme, ou bien il voulait donner ainsi un gage à l'empereur d'Orient, Théodose. Quoi qu'il en soit, la circonstance était on ne peut plus favorable pour un évêque, et surtout pour un évêque aussi considéré et illustre que celui de Milan. Par une heureuse coïncidence, Marcellin, frère de Maxime, simple officier dans l'armée romaine, se trouvait en garnison à Sirmium lors des événements de la Gaule. Justina s'était immédiatement assurée de sa personne; elle l'avait amené avec elle à Milan, le conservant comme un ôtage. Ambroise le prit pour compagnon de voyage; il lui adjoignit le comte Kraulio, un franc, dévoué et fidèle. C'était chez les Francs que les empereurs romains trouvaient alors la fidélité.

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