Darras tome 21 p. 300
29. Telle est la première page de ce curieux récit, émané d'un partisan de l'intrus. Pas un mot des scènes de tumulte et de violences dont Rome avait été le théâtre durant la nuit du 4 au 5 avril 1038 (dimanche de la Passion), quand la soldatesque aux gages des
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1. Annales Roman, apud "Wattericli, Tom. I, p. 217.
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p301 CHAP. IH. — INTRUSION DE BENOIT X.
comtes de Tusculum et de Galeria envahit la basilique constantinienne. Pas un mot de la protestation des cardinaux, de l'anathème fulminé par eux contre les sacrilèges, de leur héroïque résistance au milieu des glaives nus dirigés contre leur poitrine, au milieu des vociférations et des cris de mort. A plus forte raison l'annaliste anonyme croit-il devoir négliger un autre détail fort caractéristique pourtant ; celui d'un simple prêtre d'Ostie faisant fonction d'évêque-doyen du collège des cardinaux et intronisant Benoit X. On comprend que tout cela n'était point de nature à accréditer son antipape; il laisse donc à Pierre Damien, témoin d'une véracité incontestable, le soin de l'apprendre à la postérité. Mais le trait saillant de son récit, celui qui nous révèle le véritable caractère et comme le mot d'ordre de la conjuration schismatique, c'est la constante préoccupation de placer l'intrus sous le patronage de l'empereur. « Ce sont les fidèles de l'empereur, fidèles imperatoris, dit-il, qui ont pris, aussitôt la mort du pontife Etienne, l'initiative d'envoyer en Allemagne une députation près de l'empereur Henri pour qu'il lui plût de donner à la sainte église romaine un pape de son choix 1. » Or, le saint empire romain était alors vacant. Henri IV enfant de huit ans, pupille du siège apostolique, n'était que roi de Germanie; il n'était nullement empereur, son conseil de régence ne lui donnait point ce titre ; dans tous les actes rédigés en son nom et dont nous possédons encore le texte, sa qualification officielle est celle de roi. Cependant le parti des prêtres simoniaques et concubinaires allié à la tyrannie féodale des comtes de Tusculum et de Galeria n'en persistait pas moins à se couvrir de la protection d'un empereur qui n'existait pas, à faire revivre en faveur du roi mineur Henri IV le droit de présentation au siège apostolique conféré par Clément II à l'empereur Henri le Noir. Il fallait à ces clercs dépravés, à ces laïques ambitieux, violents et cupides, un pape donné par la main de César, disposé à ratifier toutes les simonies, à tolérer tous les désordres, à fermer les yeux sur la violation de la loi ec-
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1 Post mortem pontificis, tune fidèles imperatoris, clerici ac laid, miserunt ad imperntoretn Hert.ricum, ut sanotx Romanie ecçlesis pium reciorem ac Cenignum pu/ttificem triùueret.
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p302 INTRUSION DE BENOIT X (105S-l0j9).
clésiastique du célibat. Voilà pourquoi « les fidèles de l'empereur, suivant l'expression de l'anonyme, furent émus d'indignation et de colère 1 » à la pensée qu'il leur viendrait un pape choisi non par l'empereur mais par Hildebrand ; voilà pourquoi ils proclamèrent Benoît X. Ainsi c'est au nom de l'empereur que le schisme fut consommé. Tel est le point capital de la révélation que nous apporte le texte si longtemps oublié de l'annaliste anonyme. Il éclaire d'un jour nouveau un passage de la chronique de Lambert d'Hersfeld resté une énigme pour les précédents historiens. Voici ce passage : « Le roi Henri IV célébra en 1039 la nativité du Seigneur dans la cité de Marowa (aujourd'hui Nissa) sur la frontière des Hongrois et des Bulgares. Les princes romains vinrent l'y trouver, et jurèrent de conserver tant qu'ils le pourraient au fils de Henri le Noir la fidélité qu'ils avaient promise à son père. Dans ce sentiment, ils n'avaient pas voulu pourvoir à la vacance du siège apostolique avant de connaître ses intentions; ils étaient prêts à les exécuter aussitôt qu'il les aurait notifiées, sans aucun égard pour quiconque aurait pu dans l'intervalle, par une élection illégitime, se mettre en possession du bercail du Seigneur. Après cette communication, ajoute le chroniqueur allemand, le roi ayant pris l'avis des grands de sa cour désigna pour pape l'archevêque de Florence Gérard, sur lequel s'étaient réunis les suffrages des Romains et ceux des Teutons. Il manda au marquis de Toscane Godefroi de Lorraine d'avoir à escorter Gérard à Rome et de le faire introniser sur le siège de saint Pierre. Ainsi Benoît X qui avait usurpé le trône pontifical sans l'assentiment du roi et des princes fut expulsé et Gérard fut
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1 Tune fidèles imperatoris in ira commoti sunt, elegerunt Benedictum Villi-trensern episcopum pontificem, de regione Sanctse Maria; Mqjoris. Itte vero re-nuebat; sedvolens notensqueinvitus ordinaverunt eum liomanumpontificem et data pecunia maxima pars de liomanorum populo ei fidelitatem f'ecerunt,simul comités nui circa Urbem erant, scilket Girardo Rainerii filio cornes Galerix, et AlLericus cornes Tusculanense, et filii Crescentii de Monticelli. {Annal. Roman, ap. Wattericlj. loc.cit.j Ce passage de l'annaliste, au point de vue paléographique, est un curieux spécimen de la transformation que subissait le latin usuel pour arriver aux désinences de l'italien moderne.
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p303 CHAP. III. — PONTIFICAT DE NICOLAS II.
pape sous le nom de Nicolas II1. «Avant la découverte des «Annales» de l'auteur anonyme on ne comprenait rien à cette ambassade de princes romains venant aux fêtes de Noël de l'an 1050 trouver le jeune roi Henri IV pour lui jurer fidélité et lui demander de faire usage d'un privilège exclusivement impérial, auquel il n'avait nul droit puisqu'il n'était pas encore empereur. Cette démarche à laquelle ou supposait qu'Hildebrand n'avait pu rester étranger paraissait en contradiction manifeste avec les sentiments bien connus de ce grand homme et avec le fait tout récent encore de l'élection d'Etienne X, accomplie sans nulle intervention du roi mineur, sans aucun recours à son autorité prétendue. Aujourd'hui le problème nous semble résolu. Les princes romains qui allèrent invoquer jusqu'au fond de la Hongrie la protection du roi mineur, leur futur César, étaient envoyés par la faction de Benoît X, par les comtes de Tusculum, de Galeria et leurs séïdes. Mais ils arrivaient trop tard; déjà on connaissait à la cour d'Allemagne l'élection régulière de l'archevêque de Florence : les schismatiques ambassadeurs durent renoncer à leurs protestations en voyant le conseil de régence approuver hautement la promotion de l'archevêque et donner au marquis de Toscane Godefroi de Lorraine l'ordre de l'appuyer.
PONTIFICAT DE NICOLAS II
(24 janvier 1059. — 27 juillet 1061.)
30. Voici en effet d'après les témoignages concordants de Léon d'Ostie, de Bonizo et de saint Pierre Damien comment les choses s'étaient passées. « A son retour d'Allemagne, vers l'automne de l'an 1058, Hildebrand apprit à Florence l'intrusion qui venait d'avoir lieu à Rome, au mépris de la sentence d'anathème fulminée par le pontife défunt contre quiconque violerait la constitution apostolique déterminant les règles à suivre en cas de vacance du saint-siége. Il manda aussitôt par lettres les principaux person-
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1. Lambert. Hersfeld. Annal. Patr. Lat. Toin. CXLVI, col. 10GG.
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p304 rONTIFICAT DE NICOLAS II (1050-1060).
nages de Rome, clercs et laïques, et leur donna rendez-vous à Sienne, où les évêques cardinaux exilés par la factum schismatique s'étaient déjà réunis pour procéder avec lui à une élection régulière. En vertu des pouvoirs qui lui avaient été conférés par Etienne X, Hildebrand parlait au nom du bienheureux Pierre et convoquait au synode sous peine de désobéissance à la sainte Église tous les ayant droit. Le chancelier de Lombardie, Wibert de Parme, représentant l'autorité du jeune roi Henri IV, se rendit à cette invitation. Le marquis de Toscane, l'illustre Godefroi de Lorraine avec Béatrix sa nouvelle épouse, tous les évêques de Toscane et de Lombardie firent de même. Après une longue délibération, le saint nom de Dieu invoqué et la grâce de l'Esprit-Saint appelée par d'ardentes prières, tous les suffrages se portèrent sur le seigneur Gérard archevêque de Florence. Il fut élu unanimement et salué sous le nom de Nicolas II 1. » Nous avons déjà dit que Gérard, moine de la congrégation de Cluny, était originaire de la Bourgogne Transjurane. Appelé par Victor II à remplacer sur le siège archiépiscopal de Florence un titulaire déposé pour cause de simonie et de mœurs infâmes, il avait donné à l'Italie l'exemple de toutes les vertus. Son activité, sa vigilance, son zèle, transportés sur un théâtre plus élevé encore devaient faire ranger son pontificat suprême, malgré sa brièveté, parmi ceux qui furent le plus utiles à l'Église et le plus féconds en œuvres saintes. Pierre Damien qui se connaissait en hommes, disait du nouveau pape à l'élection duquel il venait de prendre part : « Les lettres divines et humaines lui sont familières, son génie étincelle de vivacité, sa piété est admirable, ses aumônes ne connaissent point de bornes, sa vie est un miroir de pureté que le plus léger soupçon n'a jamais terni. Il me faudrait nommer toutes les vertus pour le peindre tel qu'il est, cet homme vraiment de Dieu2.» Elu à Sienne, Nicolas II accompagné des cardinaux, des évêques, des clercs et des illustres laïques qui avaient assisté à sa promotion
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1 Léo Ostiens. Chronic. Cassin. Lib. III, cap. xii; Patr. Lat. Tom. (XXXIII, toi. 724. — Bonizo Sutriens. Ad amie. Lib. V; Patr. Lat. Tom. CL, col. 825. — Codex Arc'.iv. Vatican, ap. Watterich. Toin. I, p. 208.
2. S. Petr. Damiaa. Epist. I. Lib. VIII; Patr. Lat. Tom. CXLIV, col. i.12-
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p305 CHAP. III. — T0NT1FICAT DE NICOLAS II.
se rendit à Sutri où l'intrus Benoît X fut canoniquement appelé pour comparaître devant un nouveau synode, «Mais, dit Bonizo, cet usurpateur parjure et sacrilège n'eut garde de répondre à l'invitation. Longtemps on l'attendit, et toujours inutilement; enfin on apprit qu'il avait quitté Rome, pour se soustraire par une fuite clandestine au péril qui le menaçait et à ses propres remords. On disait qu'il s'était retiré dans sa famille. A cette nouvelle, le pontife élu prit conseil de ses frères. Il fut convenu qu'il se rendrait à Rome sans escorte de soldats, comme un humble et bon pasteur. Cette modeste attitude lui valut de la part du clergé et du peuple un accueil triomphal. Son élection fut ratifiée en la forme ordinaire et les évêques cardinaux l'intronisèrent sur le siège apostolique 1 » (24 janvier 1039).
31. Le Codex Regius dont le texte se trouve encore cette fois en conformité parfaite avec celui du catalogue pontifical retrouvé dans la bibliothèque vaticane et publié par Watterich confirme pleinement les récits plus détaillés de la chronique du Mont-Cassin et de Bonizo de Sutri. Il s'exprime en ces termes : « Benoît X évêque de Velletri, fils de Wido comte de Tusculum, était romain d'origine; il siégea neuf mois et vingt jours. Il fut expulsé et déposé de son pontificat, de suo papatu, par l'archidiacre actuel de la sainte église romaine Hildebrand. A l'époque où le précédent pape Etienne X émigra vers le Seigneur, Hildebrand était allé remplir une mission en Germanie. Etienne fit jurer à tous les évêques et cardinaux que, si le siège devenait vacant avant le retour de l'archidiacre, on l'attendrait pour procéder à l'élection pontificale. Malgré cette promesse solennelle, Benoît X fut quelques jours après la mort d'Etienne intronisé sur le siège de saint Pierre. A son retour d'Allemagne, en traversant la Toscane, Hildebrand apprit cette nouvelle. Il revint à Rome accompagné de l'archevêque de Florence, nommé Gérard. Ce qu'on lui avait dit était vrai. S'adressant donc à ceux des évêques et des cardinaux restés à Rome, il leur demanda s'ils avaient fidèlement tenu le serment prêté par eux
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1 Bonizo et Codex Archivi Vatkani, apud Watterich. Tom. I. p. 209.
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p306 PONTIFICAT DE NICOLAS II (1039-1040).
à Etienne X. Quelques-uns s'excusèrent en disant : « On a très-mal agi, mais ce qui a été fait l'a été sans notre assentiment. » D'autres au contraire cherchaient à justifier leur conduite. « Benoît, disaient-ils, est bon, sage, humble, chaste, bienveillant. On peut dire de lui qu'il est la bonté même. Ce que nous avons fait nous semble très-bien fait.» Ils cherchaient ainsi à se défendre, mais Hildebrand demeurait inflexible et rappelait toujours la violation flagrante d'un serment solennel. Or la grande majorité des clercs et des laïques était de l'avis d'Hildebrand. Benoit fut donc déposé de son pontificat et l'archevêque de Florence, Gérard, proclamé pape sous le nom de Nicolas II. Il était allobroge d'origine, ou comme on dit maintenant burgundio (bourguignon) 1. Les cardinaux l'avaient unanimement élu à Sienne. Il siégea deux ans, six mois et vingt-cinq jours. Dans un concile tenu à Rome il promulgua le décret définitif qui règle aujourd'hui les élections pontificales. Après lui, la vacance du siège apostolique dura dix jours seulement. 2.»
32. Trois mois après sa promotion (avril 1039), Nicolas II ouvrait dans la basilique constanlinienne de Latran le concile romain que les papes avaient coutume de tenir chaque année après les fêtes de Pâques. Cent treize évêques accourus de divers points de l'Italie, un nombre considérable d'abbés, de prêtres, de clercs de tout ordre prirent séance, et le pontife s'exprima en ces termes . «Vous savez, bien aimés frères et coévêques, et vous tous membres de la hiérarchie sacrée, ce qui s'est passé à la mort du seigneur Etienne notre prédécesseur de pieuse mémoire, quelle tempête s'est déchaînée contre ce siège apostolique dont le Seigneur m'a confié la garde, quelle invasion de simonie a éclaté dans cette ville de Rome où les vendeurs de choses saintes rétablirent leurs enclumes et leurs marteaux. On put craindre que la colonne dressée par le Dieu vivant ne vint à s'écrouler; la barque du souverain pêcheur semblait prête à sombrer sous l'effort des vagues en furie. Notre
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1. Cedex Rcgius, fol. 126 verso — Catalog. apud Watterich, Tom. I, p. 203.
2. (.orkx Rrgius, loc. Cit.
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p307 CHAP. III. — PONTIFICAT DE NICOLAS II.
premier désir est donc, si votre fraternité y consent, de prendre toutes les mesures de prudence qui pourront prévenir le retour de pareils désordres, et épargner à la postérité les maux dont nous avons été témoins et victimes. En conséquence, nous inspirant des traditions de nos prédécesseurs et des règles tracées par les saints pères, nous décrétons et statuons que désormais l'élection pontificale appartiendra aux cardinaux lesquels en délibéreront seuls avec maturité, sauf toutefois l'honneur et révérence dus à notre très cher fils Henri actuellement roi, mais qui nous l'espérons deviendra par la grâce de Dieu empereur. Lui et ses successeurs auxquels le siège apostolique accordera personnellement ce droit, successores illius, qui ab hac apostolica sede personaliter hoc jus acceperint, seront appelés, ainsi que nous l'avons déjà concédé au nonce royal Wibert, chancelier de Lombardie, à donner leur consentement à l'élection nouvelle. C'est l'unique moyen de préserver les futures élections de la contagion simoniaque. Les vénérables cardinaux seront avec notre auguste fils Henri les seuls promoteurs, prœduces, de l'élection : seuls ils proclameront l'élu, tous les autres suivront docilement, reliqui autem sequaces. S'il se rencontre dans le sein de l'église romaine un sujet réunissant les qualités requises, idoneus, qu'on le choisisse de préférence; sinon qu'on le prenne d'une église différente. Si la ville de Rome se trouvait livrée au pouvoir de tyrans pervers et impies en sorte qu'il fut impossible de procéder à une élection calme, régulière et exempte de toute simonie, ceux des cardinaux restés libres, quelque petit que puisse en être le nombre, auront le droit de se réunir au lieu qui leur paraîtra à eux-mêmes et au très invincible roi le plus convenable, afin d'y procéder à l'élection d'un nouveau pontife. L'élection faite, si une guerre ou toute autre conjuration des méchants s'oppose à ce que l'élu puisse être, selon la coutume, intronisé sur la chaire apostolique, l'élu n'en aura pas moins, comme vrai et légitime pape, l'autorité de régir la sainte église romaine et de disposer de ses biens, comme le fit le bienheureux Grégoire-le-Grand avant son sacre. Si, au mépris de notre présent décret promulgué avec l'assentiment synodal, quelqu'un était assez audacieux pour se faire élire, ordon-
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p308 rOKTIFICAT DE NICOLAS II (1059-10GÛ).
ner ou introniser par une
faction séditieuse, par intrigue ou simonie,
que le monde entier le traite non comme un pape mais comme Satan en
personne, non comme un apostolique mais comme un apostatique. Qu'il soit, par
l'autorité du Dieu tout puissant et celle des saints apôtres Pierre et Paul,
frappé d'excommunicatiou et de perpétuel anathème
avec ses complices, fauteurs et partisans; qu'on le rejette comme un antechrist, envahisseur et destructeur de toute chrétienté. La réserve
ordinaire qui permet aux accusés d'être entendus dans leurs moyens de défense
n'existera point pour un usurpateur du siège
apostolique; le fait seul de son intrusion suffira pour qu'il soit immédiatement
déposé de toutes les dignités ecclésiastiques dont il aurait joui auparavant. Tous ses adhérents, tous ceux qui auraient reconnu
son pouvoir, seront soumis à la même peine1. »
33. Tel est le texte authentique de ce fameux décret de Nicolas dont les historiens précédents ne possédaient que des exemplaires interpolés à dessein par les factions simoniaques et schismatiques, durant les luttes entre les Gibelins ou césariens du moyen âge et les Guelfes défenseurs de l'indépendance du saint-siége. Il a été retrouvé en ces dernières années par M. Pertz dans le manuscrit n° 1984 de la bibliothèque vaticane et inséré dans la grande collectiou des Monumenta Germaniae. Les passages principaux en avaient été cités par Gratien dans le Corpus juris. Son importance était capitale; tous les évêques du concile le souscrivirent avec enthousiasme. Il déterminait avec une précision rigoureuse deux points restés jusque là vagues et indécis, il restreignait aux cardinaux seuls le droit de suffrage, il fixait le véritable caractère de l'intervention du roi de Germanie, futur empereur, dans les élections pontificales. La prépondérance donnée aux cardinaux dégageait les élections des influences multiples qui pouvaient peser sur le clergé, tumultes populaires, coups de main des princes séculiers. Les cardinaux devenaient ainsi une grande et forte institution, qui assurait la dignité et l'indépendance de la papauté. Comme toutes les institutions humaines, elle avait eu des commencements
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1. Vatterich. Tom. I, p. 230.
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p309 CHAP. III. — TONTIFICAT DE NICOLAS II.
faibles, des origines obscures.
Le nom de cardinal (cardo, pivot) avait d'abord été commun à tous les
évêques, prêtres et diacres titulaires. Ce fut au commencement du IXe
siècle que les sept évêques voisins de Rome ou suburbicaires reçurent plus
particulièrement le nom de cardinaux, en qualité d'assesseurs ou conseillers du saint-siége. Le décret de Nicolas II les constituait définitivement danla préliminaire dont ils jouissent encore aujourd'hui.— La clause qui concerne le droit de confirmation reconnu aux empereurs d'Allemagne sur
l'élection du souverain pontife n'est pas moins remarquable. Elle suppose clairement que ce droit était une concession libre du
saint-siége, qu'elle avait besoin pour sortir son effet d'être toujours
consentie par lui. L'histoire, en effet, atteste que le décret d'Eugène II
régissant la matière avait été un acte libre et spontané. Le droit que
s'étaient arrogé Théodoric roi des Goths et l'empereur Justinien n'avait pu établir ni précédent ni prescription,
puisqu'il n'avait cessé d'être à toutes les époques contesté ou
éludé par les Romains. Plus tard, la création du saint-empire en qualité de
défenseur armé du saint-siége, création due tout entière à l'influence de la papauté, entraîna comme un corollaire indispensable
l'obligation et le privilège pour les empereurs de veiller à ce que les élections pontificales se fissent librement et selon les règles
canoniques. C'est là le sens du décret synodal de Nicolas II. Fleury ne
l'approuve point. « On fait ici, dit-il, passer pour un privilège personnel le
droit de l'empereur pour approuver l'élection du pape, quoique dans la suite de cette histoire nous ayons vu ce droit établi
depuis plusieurs siècles. Il semble que la cour de Rome voulut se prévaloir de
la minorité du roi Henri 1. »
34. Cette revendication d’un droit absolu des empereurs fondé au témoignage de Fleury sur une prescription de plusieurs siècles, pour être laconique n’en est pas plus juste. Toutefois, l'historien gallican ne l'a point inventée; il se borne à la reproduire telle que les conseillers de la couronne germanique d'abord, et plus tard Henri IV lui-même, ne cessèrent de la formuler. Un détail
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» Fleury. Hist. codés. 1. LX, ann. 1039.
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p310 PONTIFICAT DE NICOLAS II (103'J-1UG0).
que Fleury n'a point connu ou du moins dont il ne parle pas jette sur cette période historique une lueur sinistre. Il nous a été transmis par un témoin irrécusable, saint Anselme de Lucques, dans son traité « contre l'antipape Wibert. » Après avoir établi par l'écriture, les textes des pères, l'enseignement de la tradition et les exemples de l'histoire que les empereurs n'ont et ne peuvent avoir un droit quelconque d'immixtion dans les élections pontificales qu'autant que ce droit leur est reconnu et conféré personnellement par le siège apostolique pour assurer la paix de l'Église et la sécurité des papes eux-mêmes, Anselme de Lucques s'exprime en ces termes : «Vous m'objectez le décret synodal de Nicolas II qui ordonne de notifier l'élection au roi de Germanie, et défend de procéder à la consécration de l'élu avant que la ratification ait eu lieu. Je ne sais si telle est véritablement la teneur du décret; mais en tout cas il est certain que le roi de Germanie et les membres de son conseil de régence se sont eux-mêmes rendus indignes de profiter du privilège qui leur aurait été ainsi conféré. En effet quelques mois après, Nicolas II ayant adressé à l'archevêque de Cologne un monitoire pour se plaindre des excès qui se commettaient en Allemagne, les princes et les prélats de Germanie, dans une diète tenue en présence du jeune roi, donnèrent libre carrière à leur ressentiment; ils lancèrent contre le pape une sentence de déposition et défendirent de prononcer son nom au canon de la messe. En sorte que, si l'on raisonnait avec eux dans la rigueur du droit, ils seraient contraints de reconnaître que le décret de Nicolas II sur lequel ils appuient leurs prétentions est nul, puisque d'après eux Nicolas n'étant point un pape légitime ne pouvait promulguer aucune constitution apostolique. Mais en dépit de leur sentence de déposition, Nicolas II fut réellement un pontife légitime, reconnu pour tel par la sainte et catholique Église. Il n'était en leur pouvoir ni de le déposer ni même de le juger. Quiconque possède la moindre notion du droit canonique sait que le pontife romain ne relève sur la terre d'aucune juridiction supérieure à la sienne 1. »
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1 Ansjlm. Lucens. Contra Wibertum antfpapam, Lib. II; Patr. Lat. Tom CX1X, col. =======================================
p311 CHAP. Iir. — TONTIFICAT DE NICOLAS II.
Ce témoignage longtemps oublié de saint Anselme de Lucques se trouve explicitement confirmé par le schismatique Benno qui, dans une de ses diatribes contre Grégoire VII, faisait allusion au précédent de Nicolas II déposé par une diète allemande, pour établir en principe que les empereurs ont le droit de déposer les papes. Il est donc aujourd'hui avéré que le conseil de régence, au nom du roi mineur Henri IV alors âgé de huit ans, ne recula point devant un monstrueux attentat. Une diète composée de princes et d'évêques germains prononça une sentence de déposition contre le vicaire de Jésus-Christ. Cet acte sacrilège était, comme nous l'apprend saint Anselme de Lucques, la réponse des prélats simoniaqnes aux reproches que leur adressait Nicolas II dans une lettre à l'archevêque de Cologne, primat de Germanie et légat né du saint siège