Islam 23

Darras tome 32 p. 3

 

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§ I. LENDEMAIN DE LA CONSPIRATION DES PAZZI.


1. L'ébranlement causé par la sanglante conspiration  de Florence en 1478, avait secoué presque toute l'Europe,  selon nos prévisions. Il ne semblait pas à la  veille de s'apaiser, surtout dans la Péninsule italique. Le contre-coup s'étendait   aux   frontières   de l'Asie, redoublant les angoisses des populations chrétiennes qui res­taient encore debout, et l'audace des barbares qui voyaient un nou­veau gage de succès dans ces querelles intestines.  D'autres intérêts et d'autres périls agitaient l'Occident ; la terrible commotion don­nait l'éveil aux antipathies dynastiques ou nationales. Ce n'est pas seulement le roi de France qui s'était déclaré pour les Florentins, en présentant sans cesse aux yeux de la papauté le double fantôme d'un concile général, réuni par l'autorité laïque, et de la Pragmati­que sanction évoquée de son tombeau. La république de Venise  et le duc de Milan avaient embrassé la même cause ;  leur  concours était immédiat, leurs armées entraient en campagne. L'empereur Frédéric, malgré son indolence habituelle, et  Matthias Corvin,  au milieu de ses continuelles alarmes, envoyaient au Pape leurs am­bassadeurs pour le conjurer de rendre la paix à l'Italie dans l'inté­rêt de la chrétienté, comme si c'était lui qui déchaînait la guerre 1. Le cardinal  Jacques de Pavie, l'un des principaux conseillers de Sixte IV, joignait ses avertissements et ses instances aux démarches empressées des souverains. Lui du moins était sincère. Cet  esprit supérieur embrassait  à la vérité la situation générale ; mais il se montrait spécialement obsédé par la politique de Louis   XI, et, parmi les agents du monarque français, c'est Philippe de Commines dont il redoute le plus les intrigues et l'habileté. Jamais pareil té­moignage ne fut peut-être rendu de son temps à l'historien homme d'état, que la Bourgogne avait vu naître et que la France avait ac­quis. Cédant à ces exhortations diverses, mû par des considérations

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1 Raphabl Volai. Diar. lib. XXII ; — Brutes, fiist. Florent, lib. VU ; — Chô­mes. Reb. Polon. lib. XXIX, et alii.

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d'un ordre plus elevé, le Pape suspendit l'effet des censures portées contre Laurent de Médicis et ses complices ; pour ne point encourir une aussi grave responsabilité devant le monde chrétien, il s'en remit à l'arbitrage de deux rois, celui de France et celui d'Angle­terre, qui s'entendraient avec un légat romain, ou qui même se­raient libres, en cas de dissentiment, de s'adjoindre l'empereur lui-même et son fils Maximilien, maintenant duc de Bourgogne et d'Au­triche. Un tel compromis impliquait évidemment une suspension d’armes.


   2. Les Florentins et leurs alliés d'Italie méconnurent la générosité du Pontife ;  son   inaction  redoubla leur activité. Ils tâchèrent de surprendre Pérouse, qui lui demeurait attachée par la reconnais­sance et le devoir. Repoussés de la ville, grâce au courage des ha­bitants, ils ravagèrent les campagnes environnantes. On eût dit que les Ottomans, ayant franchi les Alpes, étaient passés par là. Sienne, une autre cité fidèle, n'eut guère moins à souffrir de leur stupide fureur. Les négociations se trouvaient ainsi rompues ; force était à Sixte IV de dégainer encore le glaive spirituel et de recourir aux armes temporelles. Il pouvait alors compter sur le concours de son vassal, le roi Ferdinand de Naples. Pour empêcher le duc de Milan d'unir ses armes à celles des révoltés, il suscita contre lui les mon­tagnards helvétiens et seconda l'indépendance de Gènes. Ce n'est pas sans un profond dépit que cette ancienne rivale de Venise su­bissait le joug du tyran milanais. Des troupes et des galères napo­litaines l'aidè-rent à le secouer, en lui rendant possibles la lutte et la victoire contre ses oppresseurs. Dans la revendication de leur autonomie, les Génois étaient commandés par Prosper Adorno ; mais celui-ci ne resta pas longtemps à la tête de leur ville, où ré­gnaient toujours les vieilles dissensions entre Guelfes et Gibelins ; il dut céder la place à Baptiste Frégoso, dont la famille plébéienne, mais puissante et redoutable, menait le parti de l'étranger1. C'était donc la discorde, au lieu de l'indépendance rêvée. « Je saurai re­porter dans ton royaume, écrivait le Milanais au Napolitain, si tu

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1.         Bizar. Hist. Gen. lib. XV.

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ne cesses tes déloyales manœuvres, l'incendie que tu viens d'allumer dans mon bûcher. » L'incendie ne désolait pas seulement la Pénin­sule italique ; ceux qui s'étaient mis en avant pour l'éteindre, l'avaient en ce moment chez eux. Le roi de France et le duc d'Au­triche, ces deux pacificateurs proposés par le Pape, se disputaient les armes à la main, l'héritage de Charles le Téméraire avec un implacable acharnement. Louis XI perdit la bataille de Guinegatte, presque aussi désastreuse pour les Allemands que pour les Fran­çais, mais gagnait la Bourgogne et cette partie de la Belgique qu'il désirait surtout adjoindre à ses états1. Edouard IV d'Angleterre voyait son trône battu par d'incessants orages. Les conspirations se multipliaient à la cour, la guerre civile renaissait à chaque instant dans le royaume, et, ce qui peint d'un trait les idées et les mœurs régnant autour de ce même trône, le frère du roi, George de Cla-rence, ayant encouru la peine de mort, libre de choisir son supplice, se faisait noyer dans un tonneau de Malvoisie3.

 

    3. Sous les yeux en quelque sorte des Musulmans, deux  champions du christianisme, Matthias de Hongrie et Ladislas de  Pologne, continuaient à lutter pour la couronne de Bohème, malgré tous les efforts du Pape et de ses légats. Cette guerre plus qu'intes­tine, le mot de Lucain ne saurait être mieux appliqué, présentait des accalmies et des intermittences; elle n'amenait aucune solution. A la fin de cette année 1478, la sagesse pontificale et l'épuisement des compétiteurs l'emportèrent sur les funestes conseils des pas­sions. Une conférence s'ouvrit dans la capitale de la Moravie, et les plénipotentiaires acceptèrent enfin une transaction, qui rétablis­sait le calme, sans trancher le débat. Ladislas possédait la Bohême proprement dite ; à Matthias appartenaient la Moravie, la Lusace et les deux Silésies. Il fut convenu que chacun garderait ses posses­sions actuelles, et que tous les deux porteraient simultanément le titre de roi ; si bien que, dans la suite, la Bohème en eut deux, au lieu d'un. Pour empêcher le retour des mêmes compétitions et des mêmes désastres, le survivant aurait le royaume entier,   à la con-

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1 Fhanc. Belcar. lier. Gallic. Comment, lib. III, nuui. 36, 55. 1 Pou dos. Yibcil. Uist. Angl. lib. XIV.

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dition de payer une large indemnité pécuniaire aux héritiers du dé­funt. Les titulaires prenaient aussi l'engagement d'épouser la que­relle l'un de l'autre, toutes les fois qu'ils seraient injustement atta­qués par une puissance étrangère. Dès ce moment ils allaient se concerter pour obtenir la pacification religieuse de la Bohème, la levée de l'excommunication fulminée par Paul II contre les derniers tenants de l'hérésie, la nomination d'un archevêque de Prague, qui semblerait en état d'anéantir les dissidences et de rétablir l'unité1. Les hauts contractants devaient en personne se réunir auprès de cette même ville d'Olmutz pour ratifier ces préliminaires, échanger leurs serments, réparer leurs torts réciproques, briser les chaînes des prisonniers. Les intentions étaient louables, le but ne man­quait pas d'élévation : l'entente aura d'heureux résultats pour la cause chrétienne. Ce qui ne pouvait en avoir que de malheureux, c'est la paix qui se négociait alors entre la république de Venise et le chef de l'empire ottoman. Un historien nous en a conservé les bases ; elles ouvrent l'Occident à l'invasion, elles infligent un éter­nel déshonneur à la reine de l'Adriatique. Le traité conclu portait en substance que les Vénitiens livreraient aux Turcs la ville de Scutari, qui venait de soutenir vaillamment un double siège, Ténare dans la Laconie, et cette île de Lemnos où l'héroïsme d'une femme avait prolongé la domination des chrétiens. Ils s'engageaient en outre à payer annuellement huit mille besants d'or, pour avoir la libre navigation du commerce dans l'Hellespont et le Pont-Euxin. Plusieurs disent qu'ils achetèrent ce droit par une somme de cent mille besants payable en deux annuités. A ces humiliantes et lourdes conditions, ils obtinrent aussi que le délégué vénitien ré­sidant à Byzance, mais destitué pendant la guerre, serait rétabli dans ses fonctions1.

 

4. Pette paix ne procura pas à Venise autant de calme et de sécu­rité qu'elle n'inspira de sollicitudes et d'alarmes au reste de l'Italie. Elle devint immédiatement funeste à d'autres positions où les chré­tiens se défendaient encore. Céphalonie, Vérité ou Leusade, aujour-

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1 Ext. Ms. Bibtioth. Vaille, sign. B, num. 19 ;   - Bonfik. Dfad. y, 4. » Micbov. De Europ. îv, 72 ; — Cromer. ubi supra.

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d'hui Sainte-Maure, avec les ilôts adjacents, Zante, autrefois Zacynthos, tombaient au pouvoir de Mahomet. Rhodes d'abord, l'Italie méridionale ensuite demeuraient exposées à ses coups. Nous au­rons le pénible devoir de l'étudier dans ses entreprises. Il s'était emparé déjà de la Bosnie, comme nous l'avons rapporté, se frayant une route directe au cœur même de la Germanie. Ecoutons mainte­nant deux auteurs contemporains, dont la narration est complètement identique, le cardinal de Pavie et Jacques de Volterra : « La reine Catherine, veuve de Thomas dernier roi des Bosniens, une courageuse et sainte femme, s'était retirée parmi nous, après la perte de son royaume et les malheurs de sa maison. Pour comble d'infortune, elle avait vu son fils abjurer le christianisme et se ran­ger sous les étendards de Mahomet. Elle vivait à Rome sur les fonds du trésor pontifical. Sixte IV ne se montrait pas moins généreux envers elle que son prédécesseur Paul II. Elle résidait dans la Ville Éternelle depuis environ douze ans, quand elle tomba gravement malade. Sentant approcher l'heure de sa mort, elle transmit au Pape, dans la pleine liberté de son esprit, par un acte absolument authentique, le royaume de Bosnie, maintenant détenu par un bar­bare conquérant et placé sous le joug des infidèles, mais qu'elle espérait bien devoir un jour retourner à la puissance des Chrétiens. Le Pape n'en serait d'abord que le dépositaire. Si jamais le fils de Thomas revenait à la foi do ses pères et se dérobait à la tyrannie comme aux erreurs des Musulmans, la pieuse testatrice entendait qu'il fût rétabli sur le trône. A défaut du légitime héritier, nommé Sigismond, elle léguait les mêmes droits à sa fille, nommée Cathe­rine comme elle, et tombée dans l'apostasie, captive chez les Turcs comme son malheureux frère. Cette seconde disposition portait la même réserve que la première : elle ne serait exécutée qu'à la suite d'un retour à la vraie foi. La condition n'étant remplie par aucun des deux héritiers le fidéicommis disparaissait, et le Pontife Ro­main devenait par là-même l'unique souverain de la Bosnie, libre d'en disposer comme il l'entendrait, pour le bien de la religion et des peuples1. Quelques Bosniens exilés avec leur reine, gardant le

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1 Raphaël Vulat. Diar. lib. VIII. Jacob. Paiw. E(,ist 695.

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nom de leurs anciennes dignités, fantômes restés debout sur une tombe, posthumes représentants d'une royauté perdue, vinrent présenter au consistoire un exemplaire du testament, le glaive, les éperons et les autres insignes de cette même royauté, qui passèrent dans les mains du Pape, puis dans celles des cardinaux, comme prise de possession solennellement accomplie par l'Eglise Romaine. L'acte fut déposé dans les archives du Vatican, mais n'a jamais été là qu'un monument historique, sans action sur la destinée des états, témoignage d'un pieux dévouement et d'une invincible espé­rance.

 

   5. Depuis trois ans Sixte IV avait institué gardien et réorganisateur de ces archives le savant Barthélémy Platina, l'un de ces hu­manistes qui préludèrent au siècle de Léon X. Le pape Pie II, un savant lui-même, déjà célèbre sous le nom d'AEnéas Sylvius, les avait réunis en collège, en avait formé dans son palais une sorte d'acadé­mie, pour l'avancement des études et la gloire de la religion. Son successeur, Paul II, sans être l'ennemi des arts et des sciences, comme on l'a prétendu, ne voulut plus de ce collège, qui, dans les derniers temps, était un foyer d'insubordination et pratiquait haute­ment la simonie, plus avide d'argent que jaloux des belles lettres. Ce coup hardi suscita les plus vives récriminations ; le culte des académiciens pour la philosophie n'était nullement platonique. Privés de leurs revenus, ils se déchaînèrent contre le Pape. Platina se fit surtout remarquer par la violence de ses attaques et l'aigreur de ses ressentiments. Il écrivit au Pape lui-même : « S'il vous était permis de nous enlever des places que nous avions légalement achetées, il ne nous est sans doute pas défendu de réclamer contre une pareille injustice. Nous nous adresserons aux rois, et nous leur demanderons d'assembler un concile. On verra comment vous pour­rez alors légitimer la résolution que vous avez prise. » Recueillons cet aveu : les places regrettées étaient donc vénales. Ce n'est pas une atteinte à l'honneur qui révolte le fier humaniste ; c'est la brè­che faite à ses intérêts. La menace renfermée dans sa lettre n'a pas le mérite de l'invention ; le plagiat est manifeste : dans ses accès d'humeur, Louis XI employait le même stratagème.  Le  roi seule-

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ment ne courait aucun danger ; l'humaniste était mis en prison, et le châtiment ne dépassait pas l'insulte. Il y resta quatre mois. Le cardinal de Gonzague, son protecteur, à force de démarches et d'ins­tances, obtint son élargissement. Avait-il puisé dans cette rude le­çon la modération et la prudence? Peu de temps après il était im­pliqué dans une conspiration ourdie contre la vie de Paul II, et dont les humanistes paraissent avoir été les instigateurs. Platina fut mis à la torture ; mais il ne fit aucun aveu, ce qu'on regarda comme une preuve d'innocence. Une autre accusation pesait sur les lettrés en général. Leur enthousiasme pour les auteurs païens et les chefs-d'œuvre du paganisme les rendait suspects d'hérésie, ou même d'incrédulité. La question fut encore débattue dans ces circonstan­ces, et se termina par une sentence d'absolution : les accusés avaient démontré que leurs idées et leurs moeurs étaient restées chrétien­nes, malgré leur admiration pour l'antiquité. Jusque-là l'idolâtrie n'existait que dans la forme ; elle ira plus loin.

 

6. Plalina redevenu libre obtint de Paul II la promesse d'être réintégré dans ses fonctions. La mort ayant prévenu ce dernier, c est Sixte IV qui fit honneur à sa parole en 1475, et la réalisa plei­nement en 1478. Bibliothécaire du Vatican, Platina n'eut désor­mais qu'une existence purement scientifique et littéraire, animée par le souffle supérieur de la Religion. Il fut le docile instru­ment de la pensée pontificale, qui nous apparaît ainsi formu­lée dans la collection de ses œuvres : « Pour la gloire de Dieu, l'honneur de l'Eglise militante, l'accroissement de la foi, le progrès des études, le Pontife Romain met à la disposition des savants le trésor de toutes les sciences. II les soutient par ses encouragements paternels, les entoure des attentions les plus délicates, les comble de ses bienfaits. Aucune ressource ne leur manque, tous les mo­yens leur sont donnés pour arriver au sublime faîte que ne saurait dépasser ici-bas la condition humaine, et de ces hauteurs répandre les mêmes clartés sur le reste des hommes1. » Platina ne passa guère plus de six ans dans ce noble et fécond exercice ; il mourut

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1. BinmoL. Platina, Collecl. part, m, pag. 431.

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en 1481. Son principal ouvrage a pour titre: De Vitis Pontificum Romanorum. Parfois il oublie l'inspiration dont il est l'organe et son rôle d'historien, pour obéir à ses anciennes rancunes. Il ca­lomnie visiblement Paul II ; mais, vers le milieu du dix-huitième siècle, ce pape sera victorieusement réhabilité par un érudit du plus haut mérite, le célèbre cardinal Quirini. Le pensionnaire de Sixte IV a laissé de plus un traité sur le faux et le vrai bien, un dialogue sur les liaisons dangereuses, un autre sur la véritable no­blesse, un panégyrique du cardinal Bessarion, un discours à  Paul II pour la pacification de l'Italie, une histoire de la ville de Mantoue et de la famille des Gonzague. Son contemporain Trittheim loue sans restriction son vaste savoir, lui décerne les titres de phi­losophe et de rhéteur, admire son éloquence, la subtilité de son esprit et l'ampleur de sa diction, mais ne dit rien de son carac­tère.

 

   7. Un écrivain qu'on peut louer amplement sous ce rapport et qui, sous les autres, n'était pas inférieur aux humanistes de profes­sion, Jacques Ammanati, le celèbre cardinal de Pavie, disparais­sait en 1479, après avoir bien mérité des lettres, de la patrie et de l'Eglise, emporté par l'inhabileté de son médecin plutôt que par les atteintes de l'âge ou la gravité de sa maladie. Une dose exa­gérée d'ellébore acheva promptement le lent travail de la fièvre quarte. C'est ce que nous apprend Jacques de Volterra, alors se­crétaire du Pape, souvent collaborateur du cardinal. Voici le té­moignage qu'il rend à ce dernier : « Ses revenus ecclésiastiques n'étaient guère en rapport avec sa dignité ; il se gardait bien d'ac­cepter pour lui-même ce qu'il blâmait hautement chez les autres. Son esprit était au niveau de sa vertu. Il a rendu de grands servi­ces ; il en aurait rendu de plus grands encore, si cet étrange acci­dent ne l'eût ravi. Toute œuvre à laquelle il appliquait son intelli­gence tournait heureusement dans sa main. Il joignait la grâce et la beauté de la forme à la solidité des pensées, à la noblesse des inspirations, à l'étendue peu commune du savoir. Il citait fréquem­ment l'Ecriture sainte, et toujours avec intention, estimant que ce divin langage était celui qui   convenait le mieux à son caractère

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sacré 1. Il avait écrit la vie de plusieurs Papes, malheureusement perdues, par la malice peut-être de ses jaloux, ou seulement éga­rées ; et Dieu veuille qu'on les retrouve un jour ! Il nous a laissé de précieux mémoires, comprenant l'histoire de cinq ans, à dater du départ de Pie II pour Ancône, et finissant à la mort du saint et vé­nérable père, le cardinal Carvajal. J'ai recueilli jusqu'à ce moment plus de six cents lettres écrites à ses nombreux amis, tantôt sur des affaires importantes et de graves questions, tantôt sur des sujets purement littéraires, n'ayant d'autre but qu'un honnête et noble délassement2.»

 

   8. Quoique  soudaine,  sa mort n'était pas imprévue ; il avait,  longtemps d'avance, rédigé son testament, où respire la plus sincère piété. C'est à Dieu d'abord qu'il s'adresse avec les expressions mêmes des Livres saints, et rien n'est plus touchant que sa prière ; son cœur se reporte ensuite vers le représentant de Dieu dans le gouvernement du monde chrétien et ses frères du Sacré Collège. « Si j'ai péché, dit-il, contre le Père commun des fidèles, mon chef et mon pasteur, si par mes actes ou mes paroles j'ai pu le contrister, si je ne l'ai pas vénéré comme il le mérite, si j'ai man­qué de soumission, de dévouement et de reconnaissance, j'implore sa pitié; qu'il daigne oublier mes fautes, pardonner à mon repentir, bénir mon âme quand elle va paraître au tribunal de Jésus-Christ. » Le pieux évêque ne se montre pas moins humble en par­lant des cardinaux, puis il ajoute : « Tout pécheur que je suis, du jour de mon baptême à celui de mon trépas, j'ai gardé la foi ca­tholique dans toute son intégrité ; je déclare avoir voulu toujours vivre et vouloir surtout mourir attaché de cœur au symbole for­mulé par les Apôtres et développé par le grand Concile de Nicée. Je n'ai cessé d'anathématiser, j'anathématise encor ; plus hautement que jamais toute hérésie s'élevant contre l'autorité de l'Eglise ca­tholique. En  consignant  dans cet écrit l'inaltérable profession de

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1 . Vircerte fuit map;ni ingenii. manu dexter ad oinnia ad quae iolen lebdt snimo; ple^aatis et magaœ iloetriuae, in s:riptis suis nou minus senteiitiarutn gravitâtes quam ornatum ostendeus, fréquenter Scripturae sanot* yerbis ex industria utebatur. »

2.  Raphaël Volât, in praifat. oper. card. Pajden.

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ma foi, c'est un gage d'espérance que j'entends me donner pour l'heure où je comparaîtrai devant le Souverain Juge1. » De tels sentiments, exprimés avec cette droiture et cette énergie, reposent l'âme des stériles agitations et des criminelles intrigues, au milieu desquelles ils se produisaient. Que n'a-t-on pas dit sur la Renais­sance? Est-il lettré, poète, historien, lexicologue, dont les auteurs en renom n'aient exposé les œuvres ou les actes, sans oublier ce qu'il y a là de moins mémorable ou de plus scandaleux ? On n'a laissé dans l'ombre que les généreuses inspirations et les beaux ca­ractères. La plupart semblent n'avoir pas même soupçonné l'exis­tence du cardinal de Pavie. C'est encore pour cela que nous avons cru devoir le remettre en lumière.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon