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§ II. Révolutions en Orient.
11. Soldat parvenu, issu d'une révolution sanglante qui l'avait, du grade infime de centurion, porté d'un seul bond au trône impérial, Phocas, dès les premiers jours de son règne improvisé, se vit en
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butte à toutes les conspirations. Il crut que la terreur consoliderait son pouvoir, que la cruauté du maître suppléerait à l'amour absent du cœur des sujets. Voici le portrait que Cedrenus nous a tracé de l'aventurier cappadocien, jeté par un caprice de la faction des Verts sur le trône de Byzance. Une chevelure rousse, des sourcils épais qui se rejoignaient sur le front, au visage une cicatrice à laquelle la colère donnait un aspect sinistre, telles étaient ses disgrâces physiques. Il y ajoutait des vices odieux, la débauche, l'ivrognerie, la férocité. Ce n'était ni la justice farouche d'un Tibère, ni la folie perverse d'un Caligula, ni l'imagination dépravée d'un Néron; Phocas confinait plutôt aux Domitien et aux Commode. La vue du sang était sa plus grande jouissance; il aimait les supplices orientaux avec les raffinements de la torture, la rupture successive des membres, la mutilation des pieds et des mains 1. Le nombre de ses victimes ne se comptait plus; tous les parents ou amis de la malheureuse famille de Maurice furent égorgés. Il suffisait qu'un général eût éprouvé un échec pour être considéré comme traître et brûlé vif. Or, les généraux de Phocas, mal choisis et sans aucune capacité, étaient toujours vaincus. La guerre venait de se rallumer plus ardente que jamais avec Chosroès II roi des Perses. Ce prince, soit par sympathie réelle pour l'infortuné Maurice, soit par les vues d'une ambitieuse politique, avait déclaré qu'il ne traiterait pas avec un soldat assassin. L'an 603 vit donc renaître la lutte sanglante de la Perse contre l'empire. Moins grand capitaine que son aïeul Chosroès Ier, mais plus tenace que lui, Chosroès II sema toute l'Asie de meurtres et de pillage. Les villes brûlées, les campagnes couvertes des cadavres de leurs habitants, n'offraient aux yeux que des cendres et des ruines. Depuis le Tigre jusqu'au Bosphore, ce pays le plus peuplé, le plus riche, le plus fertile de l'univers, devint un théâtre d'horreurs. Chaque année et chaque expédition, dans cette guerre de pirates, étaient marquées par la dévastation d'une nouvelle provinces.
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II. Les deux premiers Califes.
5. Maître de l'Arabie, Abu-Bekr prit pour mot d'ordre la du Koran : « Marchez, le ciel est devant vous, l'enfer derrière ! » Il prêcha la guerre sainte, enrôla cent vingt-quatre mille guerriers
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sous les drapeaux de l'Islam, et leur adressa cette proclamation : « Devant l'ennemi, mourez s'il le faut, mais ne fuyez ni ne vous rendez jamais. Ne tuez ni les vieillards, ni les enfants, ni les femmes. Ne brûlez pas les moissons, ne détruisez pas les palmiers. Epargnez les monastères et les anachorètes. Quant aux membres de la synagogue de Satan qui portent la tonsure sur la tête, fendez-leur le crâne. Point de quartier pour eux, à moins qu'ils ne se fassent musulmans ou qu'ils ne consentent à payer tribut 1. » Le calife septuagénaire ne voulut point exposer sa personne sacrée aux hasards des combats. Il divisa son armée en deux corps expéditionnaires, qui devaient attaquer à la fois l'empire persan et celui d'Héraclius. Siroès venait de mourir (629), enlevé selon les uns par une attaque de peste, empoisonné, selon d'autres, par quelques-uns des anciens serviteurs de son père. Le trône disputé entre divers compétiteurs resta sans maître. L'occasion était favorable pour les musulmans. Khaled fut chargé de remonter le cours de l'Euphrate avec soixante mille hommes, et de s'emparer de la Chaldée. Une première armée persane, commandée par un général nommé Mahran, fut taillée en pièces. Deux autres, qui se succédèrent en 633, eurent le même sort. Les Perses épouvantés comprirent qu'il fallait mettre un terme à leurs discordes intestines : ils donnèrent la couronne à Yezdedgerd, fils du célèbre généralissime Serbar. Cependant la seconde armée musulmane, sous les ordres d'Abou-Obéidah, remontait le Jourdain et traversait la Palestine, se dirigeant au nord de la Syrie où elle devait faire sa jonction avec les forces de Khaled. Le plan, très-bien conçu et encore mieux exécuté, réussit sur toute la ligne. Héraclius semblait avoir perdu tout esprit d'initiative. Retiré à Damas, il confia à l'un de ses généraux, Sergius, le soin d'aller défendre les défilés du Sinaï. Déjà les musulmans les avaient traversés sans coup férir, lorsque cet ordre sénile fut donné. Sergius engagea la bataille sous les murs de Gaza ; ses troupes furent écrasées ; lui-même, fait prisonnier, fut enfermé dans une peau de chameau
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1 Drapeyron, L'empereur Héraclius, pag. 338.
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fraîchement écorché, qui, se rétrécissant peu à peu, l'étouffa dans ses rugueuses étreintes. La nouvelle de cette victoire portée en Arabie acheva d'enflammer tous les courages ; une troisième armée de musulmans, commandée par Amrou, vint renforcer les deux premières. Cette formidable agglomération de combattants se trouva réunie dans la plaine de Rosra, et Khaled en prit la direction suprême. Une bataille acharnée se termina par la prise de la ville, dont la trahison du gouverneur Romanus ouvrit les portes aux musulmans vainqueurs (633).
6. Khaled écrivit alors à Héraclius, annonçant qu'il allait marcher sur Damas, le paradis de la Syrie. « Dieu donna autrefois cette terre à notre père Abraham et à sa postérité, disait-il. Nous sommes les enfants d'Abraham. Assez longtemps tu as possédé notre pays ; laisse-le nous volontairement, sinon nous te reprendrons avec usure ce dont tu t'es emparé. » L'empereur répondit : « Cette contrée est à moi, ton lot est le désert. Retourne en paix dans les sables de ta patrie. » Noble réponse, sans doute ; mais il aurait fallu que l'épée la contresignât. Héraclius savait écrire, il ne savait plus se battre. Il quitta précipitamment Damas et courut s'enfermer à Emèse. Sa fuite fut moins rapide que la marche de Khaled, dont les troupes investirent Damas. Un corps de mercenaires, réuni à la hâte, fut confié au frère de l'empereur, le généralissime Théodore, qui eut la douleur de le voir presque entièrement détruit à Gabatha. A la nouvelle de ce désastre, Héraclius se replia sur Antioche, et ne trouvant plus un seul général romain qui voulût accepter de commandement, il eut recours à un officier persan, Baanès, réfugié près de lui avec les fils de Serbar. La dernière armée romaine, les débris des vieilles légions qui avaient reconquis la croix, furent mis sous les ordres de cet adorateur du feu. Il s'avança fièrement à travers la Syrie, refoulant les cavaliers arabes qui tenaient la campagne et châtiant avec vigueur les défections récentes. Khaled leva le siège de Damas et vint à sa rencontre dans la vallée d'Aïznadin. « Nous nous reposerons dans l'autre monde, » répétait-il en pressant la marche de ses guerriers. A la vue des nombreux bataillons de Baanès, il s'écria : «Musulmans,
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demain vous aurez fauché cette multitude, comme une moisson mûre ; et vous aurez en un seul jour conquis toute la Syrie. » Sa prédiction se réalisa au pied de la lettre. «C'est à l'Écriture qu'il faut se reporter, dit M. Drapeyron, pour avoir une idée de cette bataille vraiment biblique. L'ange du Seigneur passa dans le camp de Byzance, comme autrefois dans celui des Assyriens, et frappa cinquante mille grecs. Tel est du moins le chiffre fourni par les chroniqueurs arabes, qui fixent à quatre cent soixante-dix hommes seulement le total de leurs propres pertes (23 juillet 634). Khaled envoya à Médine des milliers de croix et d'étendards. Les rêves les plus téméraires du prophète étaient dépassés1.» Un mois après, Damas capitulait entre les mains d'Abou-Obéidah. Mais Khaled, au mépris des conventions, se rua sur la ville infortunée, immolant à Allah hommes, femmes, enfants, vieillards, la population entière (23 août 634)……………..
8. Cependant le calife Abu-Bekr venait de mourir (634) : il fut remplacé par Omar, ce fougueux disciple dont Mahomet avait dit : « Si un prophète était encore possible, ce serait Omar. » Un nouveau titre Emir-al-Moumenin 1 (prince des croyants), s'ajouta pour lui au vocable officiel de vicaire du prophète. Son premier acte fut de destituer Khaled, dont la fougue désordonnée et les cruautés gratuites rappelaient trop les souvenirs sanglants d'Attila. «L'épée de Dieu » rentra donc dans le fourreau. Khaled se soumit avec une docilité d'enfant à l'ordre du calife, et sollicita l'honneur de continuer à servir la cause de l'Islam sous Obéidah son ancien lieutenant. Dans son message adressé à l'armée, Omar s'exprimait ainsi : «J'apprends que nos musulmans ont appris en Syrie à boire du vin. Les prévaricateurs mériteraient la mort. Allah se contentera de leur repentir; que chacun d'eux se dénonce lui-même et reçoive quatre-vingts coups de bâton sur la plante des pieds. » Parmi les coupables, ce fut à qui se dénoncerait le premier et expierait le plus rigoureusement les infractions au Koran. Avec une telle discipline et un pareil fanatisme, humainement parlant, l'Islam aurait dû subjuguer tout l'univers. De Constantinople, Héraclius venait d'envoyer une armée recrutée dans toutes les provinces de l'Asie-Mineure. Elle s'avançait sous le commandement de Manuel, général estimé, qui s'était distingué dans la guerre contre les Awares. Les forces impériales étaient évaluées à cent vingt mille hommes. Ravageant tout sur leur passage, traînant à leur suite l'ivresse, le pillage et l'orgie, cette cohue vint se faire massacrer à Yer-
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mouck, en vue du mont Thabor. La bataille, l'une
des plus acharnées dont l'histoire ait gardé le souvenir, dura deux jours et coûta la vie à cent mille grecs. Un trait de désintéressement inouï avait
préparé le succès des musulmans. Abou-Obéidah qui les commandait,
reconnaissant lui-même la supériorité militaire de Khaled, avait supplié
celui-ci de diriger le combat et s'était fait gloire de servir sous les ordres
de son propre lieutenant (novembre 636). Presque à la même date, Saïd, avec une
autre armée musulmane, remportait à Kadésiah, sur le général persan Rustem, une
victoire
non moins décisive. Il entrait à Ctésiphon, au moment où Khaled et Obéidah se
présentaient sous les murs de Jérusalem.
9. Ce fut un moment solennel que celui où les guerriers de l'Islam firent leur première apparition sur les hauteurs de la cité de David. Tous ensemble ils chantaient ce verset du Koran : « Peuples, entrez dans la terre sainte que Dieu vous a donnée. » Ils redisaient la fameuse surate du voyage nocturne de Mahomet à la montagne de Sion. Le patriarche Sophronius n'avait à leur opposer que sa sainteté et son éloquence. Faibles ressources, diraient nos modernes rationalistes experts en défaites. Cependant avec ces seules armes, Sophronius réussit à arrêter quatre mois le torrent dévastateur. « Je ne traiterai, disait-il, qu'avec votre calife en personne. Jérusalem est une ville sainte; vous n'êtes pas dignes d'y entrer. » Khaled bondissait de fureur. « C'est parce qu'elle est sacrée, c'est parce qu'elle est le tombeau des prophètes, s'écria-t-il, que nous voulons l'occuper. » « L'épée d'Allah » fut contrainte de reculer devant la croix de l'évêque. « Omar, dit M. Drapeyron, déféra aux désirs de Sophronius ; il déclara qu'il se rendrait en Palestine. Mais ce fut en pèlerin, non en chef-d'empire, qu'il se montra à ses nouveaux sujets. Il était monté sur une chamelle au poil roux, qui portait un sac de dattes, un autre de blé, une écuelle de bois et une outre pleine d'eau. Une toison de chèvre lui couvrait les épaules. Il s'avançait, confondu dans la foule qui se courbait devant lui, rendant justice exacte et sommaire, réprimant le luxe et la licence. Parvenu au terme de son voyage, il s'assit sur la terre nue et donna audience au patriarche. La capitulation qu'il
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dicta fut clémente; le souvenir de Jésus-Christ protégeait encore ses fidèles. Mais ce fut pour les chrétiens une humiliation bien navrante que le rôle effacé qui leur était imposé au nom de l'Islam. On ne devait plus sonner les cloches, ni ériger de croix au-dessus des églises, lesquelles, seraient ouvertes indistinctement aux chrétiens et aux musulmans. Défense d'attirer à l'Évangile les sectaires de Mahomet. Les musulmans seuls porteraient le turban, coiffure d'honneur ; seuls ils pourraient avoir des selles en montant à cheval. Les chrétiens devenaient des giaours ; les juifs leur étaient assimilés. Après la signature de ce pacte léonin dont les conséquences durent encore, les portes de Jérusalem s'ouvrirent devant le calife, devenu le souverain des saints lieux. Il entra, accompagné de Sophronius. Il décida que sur les ruines du temple de Salomon s'élèverait une mosquée. C'est la mosquée d'Omar, où l'on montre encore la pierre biblique sur laquelle Jacob reposa sa tête ; les Turcs prétendent y reconnaître l'empreinte du pied de Mahomet. L'église de la Résurrection attira la piété d'Omar; il consentit, pqur y pénétrer, à dépouiller la toison sordide dont il était couvert, et à revêtir une tunique. Quand Sophronius vit le vicaire de Mahomet devant l'autel eucharistique, il ne put s'empêcher de s'écrier en langue grecque et avec des larmes amères : « Voilà l'abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel ! »
10. Omar reprit le chemin de Médine dans le même appareil qui l'avait amené. Mais, au départ, il avait décidé que l'on achèverait la conquête de la Syrie. Obéidah et Khaled emportèrent successivement Bérée (Alep), Antioche, Césarée, Tripoli, Tyr, Béryte et Joppé. Le fils aîné d'Héraclius, associé à l'empire sous le nom de Constantin, ne parut un instant à Antioche que pour servir de jouet aux intrigues du fameux Yukinna, le premier des renégats passés à l'islamisme, et humilier devant le croissant le nom du premier empereur romain converti à la croix (638). Cependant Edesse, Dara, Nisibe, l'Arménie, la Mésopotamie entières, furent conquises par Obéidah et Yézid, qui moururent tous deux quelques mois après leur triomphe. Ctésiphon, ruinée de fond en comble, fut remplacée par Cufa, «la ville de terre et de roseaux, »
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qui servit avant Bagdad de résidence à plusieurs califes. Bassorah, établie sur la rive droite du Chat-el-Arab (fleuve des Arabes), à mi-chemin entre son embouchure et le confluent du Tigre et de l'Euphrate, attira tout le commerce de l'Inde, et sa banlieue devint bientôt l'un des plus fameux « paradis » de l'Asie….
11.Jamais on ne vit mieux qu'en ce temps la funeste influence que des guerres victorieuses exercent sur les civilisations vieillies. Les succès remportés par l'empire byzantin contre les Perses, avaient épuisé toute la sève grecque et romaine. Si Khaled se fût trouvé en face des armées de la croisade commandées par Héraclius, et animées de cet esprit d'énergique discipline qui, de 622 à 628, avait accompli de véritables prodiges depuis les plaines d'Issus jusqu'à celles de Ninive, il est vraisemblable que le sort des combats eût été tout différent. Mais avec la victoire s'introduit toujours le relâchement des mœurs, la licence soldatesque, l'amour effréné du luxe et de la jouissance. Les caractères les mieux trempés ne savent pas résister à ce dissolvant. Pour les individus c'est une affaire de quelques années; pour les nations, de quelques siècles. Héraclius, à moitié endormi dans son palais de Constantinople, ne sortait de sa léthargie que pour entendre les élucubrations monothélites du patriarche Sergius. Le vainqueur de Chosroès était devenu hydropique. On lui persuada que les défaites de son fils aîné, le nouveau Constantin, ne seraient réparées que si Héracléonas, son jeune frère, était également associé à l'empire, comme si deux nullités conjointes pouvaient fournir au total une capacité quelconque. Le 4 juin 638, le couronnement eut lieu avec grande solennité au palais du Bosphore. Héraclius, d'une main défaillante, posa le diadème sur la tête d'Héracléonas. La vanité de l'impératrice Martina, mère du jeune prince, était satisfaite.
12. Une autre intrigue, plus désastreuse mille fois, livra l'Egypte au cimeterre musulman. Le patriarche d'Alexandrie, Gyrus, cet indigne favori de Sergius, conçut l'idée d'une transaction entre Byzance et Médine. Dans l'espérance de tout concilier et d'en avoir seul l'honneur, il fit proposer au calife Omar la main de la princesse Eudoxie, fille d'Héraclius, jadis fiancée au barbare
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mongol Ziébil. Devenu gendre d'Héraclius, Omar en serait l'allié le plus fidèle ; il cesserait la guerre, abandonnerait ses conquêtes, ou du moins ne les poursuivrait pas davantage, et accepterait en compensation les tributs qu'il lui plairait de fixer lui-même. Le calife se prêta à la négociation ; il eut l'air d'y croire, pour se donner le prétexte d'en revendiquer bientôt à main armée l'accomplissement. A la nouvelle des intrigues du patriarche d'Alexandrie, Héraclius, outré de fureur, manda Cyrus à Constantinople. « Vous avez osé, lui dit-il, offrir la main de ma fille au chef des impies Sarrasins. Vous êtes un traître, ennemi de Dieu et des hommes ! » Malgré les supplications de Sergius, le patriarche alexandrin fut livré au préfet du prétoire, et soumis à la torture (639). Cyrus revint dans sa ville épiscopale pour voir l'Egypte entière tomber au pouvoir d'Amrou, lieutenant du calife, et successeur de Khaled qui venait de mourir chargé de lauriers. Seule, Alexandrie avec ses quatre mille palais, quatre mille bains, quatre cents théâtres, hippodromes et arènes, douze mille magasins de comestibles, résista quatorze mois. Héraclius eut le temps de se repentir du traitement rigoureux infligé au patriarche. Il lui fit dire de renouer les négociations, lui promettant de les ratifier toutes. Cyrus entra immédiatement en pourparlers avec Amrou, lui montra ses pleins pouvoirs, et le conjura de se retirer en Asie. Amrou, impassible, se contenta de lui montrer un énorme monolithe.» Peux-tu avaler cette colonne? » lui dit-il. «A1-2Non, » répondit le patriarche. « Eh bien! nous ne pouvons davantage sortir de l'Egypte. » Quelques jours après cette conversation, Amrou entrait dans la ville subjuguée par la disette et la faim. « J'ai pris la grande cité de l'Occident, mandait-il à Omar. Les Moslems sont impatients de jouir des fruits de leur victoire. Que faut-il faire? » — «Épargnez les habitants, » répondit le calife. La décision fut respectée. Presque toute la population se réfugia à Constantinople ; Cyrus était du nombre. Un second message d'Amrou sollicitait du «prince des croyants » une décision par rapport à la bibliothèque d'Alexandrie, ce vaste dépôt des « remèdes de l'âme » commencé par les Ptolémée3 et enrichi dans la suite de tous les trésors littéraires du monde. « Si les écrits
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des Grecs sont d'accord avec le Koran, répondit Omar, ils sont inutiles, et il ne faut pas les garder; s'ils contredisent le livre saint, ils sont dangereux et doivent être livrés aux flammes. » Le dilemme bilatéral ne laissait point de réplique. Les soldats d'Amrou exécutèrent la sentence, et le monde savant ne se consolera jamais de l'effroyable barbarie qui alimenta durant quatre mois le foyer de tous les établissements de bains avec les papyrus, les parchemins, les charité et les codices de la bibliothèque alexandrine (décembre 640).