St Denis d’Alexandrie

Darras tome 8 p. 407


§ III. Hérésies.

 

23. Aux violences de la persécution, l'Église catholique opposait l'héroïsme de ses martyrs. Aux attaques de l'apostasie, elle répon­dait par la voix de ses docteurs. Après Origène, Cyprien ; après Cyprien, saint Denys d'Alexandrie. Celui-ci se chargea de réfuter les sophismes de Porphyre. On n'a pas assez remarqué jusqu'ici ce rôle de l'apologétique chrétienne dans le passé. Nous vivons à une époque de tempérament, de conciliation. Quand on attaque l'Église, il y a, dans le voisinage, le parti des modérés qui crie aux fidèles insultés dans leur honneur, leur morale et leur doctrine : Taisez-vous ; laissez passer l'injure ; essuyez votre joue ; vous n'êtes pas blessés! Combien de fois, et avec quelle variété de formules, n'a-t-on pas répété ce langage? On invoque, au besoin, le grand prin­cipe de la charité chrétienne, du pardon évangélique des injures. On est allé jusqu'à dire : Les premiers chrétiens mouraient et ne ré­pondaient pas ! C'est une erreur : les premiers chrétiens mouraient ; mais après avoir répondu. Aux légistes du prétoire, Tertullien répon­dait ; à Celse l'épicurien, Origène répondait ; à Porphyre, saint Denys d'Alexandrie ne dédaignait pas de répondre. Il en sera ainsi tant

==========================================

 

p408            PONTIFICAT   DE   SAINT   DE.NYS   (259-269).

 

que, dans un cœur catholique, jaillira une étincelle de charité et de foi. Certes, l'apologiste chrétien, tout en poursuivant l'erreur, n'a que des sentiments de charité pour l'errant; il veut le salut et la vie de son frère égaré ; et, s'il attaque parfois avec véhémence, c'est pour préserver les multitudes du poison des fausses doctrines. Que faisait saint Paul, en face des schismatiques de Corinthe; ou saint Jean, vis-à-vis l'hérésiarque d'Ephèse? Accusera-t-on ces deux grands apôtres d'avoir manqué de charité? Il est vrai qu'ils s'éle­vaient au-dessus des considérations humaines, des lâches condes­cendances de la peur ou de l'intérêt personnel; mais ils sauvaient les âmes. Il en doit toujours être ainsi dans l'Église. On n'y établira jamais un régime de libre échange, où la vertu et le vice, l'erreur et la vérité, vivront côte à côte, en se renvoyant un salut dérisoire et d'hypocrites hommages. Jésus-Christ est un roi qu'on trahit souvent, mais qui ne transige jamais. Pendant que Porphyre inaugurait ouvertement sa lutte contre l'Église, dans une anti­chambre du palais de Gallien, saint Denys d'Alexandrie lui répon­dait par une véritable encyclopédie catholique. Il ne nous en reste plus que de courts fragments conservés par Eusèbe. L'illustre docteur avait intitulé son ouvrage: De Natura rerum1. Il y combat­tait victorieusement les doctrines panthéistiques de Porphyre. «Qui donc, disait-il, pourra jamais croire sérieusement que cet immense édifice de l'univers, ou éclatent partout les traces d'une intelligence créatrice, soit une agglomération d'atomes éternels, fortuitement rassemblés dans une divine et merveilleuse unité? Prenez l'homme en particulier ; étudiez le mécanisme admirable de sa structure, et dites s'il est possible que les aggrégats inconscients de molécules éternels aient produit, dans une telle variété d'organes, une si constante harmonie, un si prodigieux concert ! » Le docteur alexandrin portait, on le voit, l'apologétique chrétienne sur le terrain envahi par le philosophisme idolâtrique. Si son grand ou­vrage de Natura rerum nous était parvenu, il serait la réfutation Ja plus complète du système de Porphyre. Dieu a permis que jus-

-----------------

1 S. Diony?. Aleiandrini, de Natura; Pair, grac, tom. X, col. J250-Î2"0« Cil.U'.    V. ;ui-:s;es.

 

========================================

 

p409  « Cil.U'.    V. ;ui-:s;es.

 

qu'ici l'attaque et la défense soient restées dans l'ombre. Un jour peut-être l'une et l'autre surgiront d'un si long oubli, et l'on s'étonnera de rencontrer, au IIIe siècle de notre ère, les objections que le XVIIIe avait cru inventer.

 

21. Sur la terre africaine, immortalisée naguère par le martyre de saint Cyprien, c'était donc saint Denys d'Alexandrie qui portait maintenant le sceptre du génie et de la foi. Dans le nome d'Arsinoé, un prêtre, Coracion, moins prudent que pieux, s'était en­goué de la doctrine des millénaires. Il croyait, sur une fausse in­terprétation des textes de l'Apocalypse, à un règne terrestre de Jésus-Christ et aux félicités d'un prétendu chiliasme qui devait précéder le jugement universel. Les populations chrétiennes de cette contrée avaient adopté son erreur. On comprend qu'en face des persécutions qui sévissaient alors, l'espérance d'un règne prochain du Christ dût répondre à un besoin des âmes. L'enthousiasme avec lequel les rêveries du millénarisme étaient accueillies, s'explique donc parfaitement. Mais le grand évêque d'Alexandrie veillait, avec une sollicitude et un zèle infatigables, pour le maintien des saines doctrines et l'intégrité de la foi. « Je me trouvais, dit-il, dans la préfecture d'Arsinoé, à l'époque où l'erreur des Chi-liastes s'y propageait, entraînant des églises entières dans la défection et le schisme. Des prêtres, des docteurs, parcouraient les campagnes, pour y répandre le poison de cette hérésie. Je leur proposai une conférence publique, où la question serait solen­nellement débattue, en présence de tous les fidèles. Ils acceptèrent, et, au jour convenu, me présentèrent, comme une forteresse inex­pugnable, un livre où leur opinion était, disaient-ils, péremptoire­ment démontrée. Ce livre est l'œuvre d'un évêque, nommé Népos, qui se laissa jadis séduire par l'erreur du millénarisme, et crut sincèrement avoir prouvé, par les textes de l'Écriture, que le Christ devait revenir ici-bas fonder en personne un empire terrestre. J'admire, pour tout le reste, et je chéris la mémoire de Népos. Sa foi, son zèle; sa science des Écritures sont au-dessus de tout éloge. Nous lui devons une série d'hymnes et de pieux cantiques, qui

=========================================

 

p410            PONTIFICAT  DE   SAINT   DENYS   (259-269).

 

font encore aujourd'hui les délices des fidèles 1. Il couronna d'ailleurs, par une sainte mort, une vie pleine de bonnes œuvres. J'aime donc et révère la mémoire de Népos ; mais j'aime bien da­vantage la vérité; je la préfère à tout. S'il convient de lire avec reconnaissance et d'admirer sans restriction les ouvrages ortho­doxes que nous ont laissés les saints, c'est aussi pour nous une obligation stricte et rigoureuse de noter, dans ces ouvrages, les er­reurs ou les inexactitudes qui pourraient s'y être glissées. Si Népos était présent au milieu de nous ; s'il pouvait, de vive voix, dans cette conférence, exposer son opinion, nul doute qu'il ne reconnût la vérité enseignée par l'Église et qu'il ne lui donnât son entière adhésion. Mais le livre de Népos, passé maintenant à l'état de texte muet, depuis la mort de son auteur, ne saurait prévaloir sur l'autorité de l'Évangile et des Épîtres des apôtres. Il serait donc souverainement injuste de lui attribuer un crédit qu'il ne saurait avoir, pour substituer, aux vérités que la foi nous enseigne sur le glorieux avènement du Sauveur et la grande résurrection finale, je ne sais quelles idées rétrécies et quelles frivoles espérances d'un règne terrestre et mortel. Quoi qu'il en soit, durant trois jours consécutifs, depuis l'aurore jusqu'au coucher du soleil, assis au milieu des prêtres d'Arsinoé, je discutai l'un après l'autre tous les textes cités dans le livre de Népos. Un grand nombre de fidèles as­sistait à la conférence. J'admirai tout à la fois leur modération, leur intelligence, leur amour pour la vérité, et l'empressement avec lequel ils la recevaient. Interrogations, difficultés, objections, tout fut présenté par eux avec une méthode, un calme et une modestie qui me touchèrent. De mon côté, je pris soin d'établir d'abord quelques principes, dont ils reconnaissaient avec moi l'inébranlable solidité. Je les ramenais sans cesse à ce terrain fixe, répondant d'ailleurs à toutes leurs objections et n'en éludant aucune, mais ne laissant point égarer la discussion sur des points étrangers. S'il m'arrivait d'avoir présenté un argument défectueux, ou faible, je

-------------------

1 Nous n'avons plus ces hymnes, composées par Népos, ni aucun autre de ses ouvrages.

========================================

 

 

p411 CHAP.   V. HÉRÉSIES.-

 

ne mettais aucun amour-propre à le maintenir. De bonne foi, et dans l'allégresse d'une conscience sincère, je remerciais Dieu de m'avoir fait connaître la vérité. Enfin, quand tous les témoignages de l'Ecriture, successivement passés en revue, eurent porté la lumière dans les esprits, Coracion, le chef de ces millénaires, déclara publiquement devant toute l'assemblée et prit Dieu à témoin qu'il abandonnait son opinion, la condamnait et ne l'en­seignerait plus jamais aux fidèles. Il avouait que les arguments dé­veloppés par moi l'avaient surabondamment convaincu. Ses pa­roles furent accueillies par des applaudissements unanimes, et tous les frères se donnèrent le baiser de paix, dans l'unité d'une même foi1. »

 

25. Le millénarisme survécut cependant à la conférence d'Arsinoé. Quelques années après, saint Denys d'Alexandrie écrivait, pour le combattre, le traité De Promissionibus, men­tionné par Eusèbe. L'Apocalypse de saint Jean, dont certains passages mal interprétés avaient donné naissance à l'erreur des Chiliastes, n'était point encore, à cette époque, définitivement fixée au canon des Écritures. Ce livre, admis par les uns, rejeté par les autres, n'avait pas le rang incontesté qu'il occupe au­jourd'hui dans la collection des écrits apostoliques. Voici en quels termes saint Denys d'Alexandrie, s'exprime à ce sujet : « Parmi nos prédécesseurs, quelques-uns ont rejeté l'Apocalypse et l'ont même réfutée, article par article, comme un livre plein de visions chimériques, dénuées de tout fondement. Ils pré­tendaient que la suscription qui attribue cet ouvrage à saint Jean l'Évangéliste est apocryphe; ils ne reconnaissaient aucun des caractères apostoliques à une révélation si mystérieuse et si obscure. Suivant eux, elle eût été l'œuvre de Cérinthe, qu'aurait voulu accréditer par ce moyen sa théorie insensée d'un règne temporel et terrestre de Jésus-Christ, où il plaçait les jouissances, grossières et les voluptés d'un paradis tout sensuel. Quant à moi, je n'oserais pas rejeter l'Apocalypse, en présence de la multitude

---------------------

1. Euseb., Bisl. eccles., lib. VII, cap. xxiv.

========================================

 

p412            PONTIFICAT  DE  SAINT   DENYS   (2o9-26'J).

 

d'églises qui la considèrent comme un livre du plus grand prix. Mais, tout en faisant cette réserve, je déclare que son intelligence dépasse la portée de mon esprit. Il se cache vraisemblablement sous les mystères de la lettre un arcane divin et une vue admirable des secrets providentiels. Insuffisant à les découvrir, j'en pressens néanmoins l'existence. Je fais donc abstraction de ma personnalité, et, ne voulant d'autre guide que la foi, je confesse qu'il y a là des sublimités auxquelles je ne puis atteindre. A Dieu ne plaise que je condamne ce qu'il ne m'est pas donné de comprendre ! Je m'in­cline d'autant plus que je découvre une hauteur plus admirable 1. » Après cette humble profession de foi, l'évêque d'Alexandrie com­mentait tout l'ensemble de la prophétie. Eusèbe ne nous a point conservé cette partie de l'œuvre de saint Denys. Il nous fait seule­ment connaître la conclusion de l'illustre docteur. «Certainement, dit-il, Jean est l'auteur de l'Apocalypse ; mais ce Jean est-il le même que l'Évangéliste? La question ne me paraît pas résolue. Dans l'Évangile de Jean, l'auteur se désigne lui-même sous des traits qui le font reconnaître tout d'abord. Il se nomme tantôt : « le disciple que Jésus aimait ; » tantôt : « celui qui reposa sur le cœur de Jésus-Christ; » tantôt ; « frère de Jacques; » tantôt : « celui qui a vu et entendu le Seigneur. » Mais, dans l'Apocalypse, l'auteur s'appelle uniquement : « le témoin de Jésus-Christ. » Cette désignation n'est point suffisamment explicite. Il se pourrait donc que la pro­phétie fût l'œuvre d'un homonyme, également disciple du Sei­gneur, tel par exemple, que Jean, surnommé Marc, le compagnon de Paul et de Barnabé. D'ailleurs, il y a de grandes dissemblances entre le style de l'Apocalypse et celui de l'Évangile de Jean. L'Évan­gile n'est pas seulement irréprochable, au point de vue gramma­tical; il a de plus une élégance véritablement attique ; tout s'y enchaîne avec méthode, et la trame du discours est suivie avec un art qu'on ne saurait méconnaître. Nulle trace d'idiotismes, de solécismes, encore moins de barbarismes. L'Évangéliste possédait évidemment,  outre l'inspiration  divine,  une science

---------------------

1. fcuaeD , Ilisl. ecde-i., lib. VII, cao. sxv.

=========================================

 

p413 CHap.  v. — ]ii.i::-.siiiN 

 

approfondie de l'idiome grec. Je cherche en vain ces qualités extrinsèques dans l'Apocalypse. Cela n'ôte rien sans doute au mérite de la prophétie, mais je remarque seulement qu'elle est rédigée en un grec moins pur, où les locutions étrangères ne sont pas rares. Il n'entre pas dans mon dessein de noter ici tous les idiotismes que je pourrais y relever. J'exprime un doute, je ne voudrais pas qu'on pût y voir une dérision1. » L'Église a prononcé sur la question qui paraissait douteuse au grand évêque d'Alexan­drie. L'Apocalypse est bien réellement l'œuvre de l'Évangéliste saint Jean ; elle a pu être primitivement rédigée en hébreu, ce qui expliquerait les dissonances grammaticales qui frappaient l'évêque d'Alexandrie. La tradition catholique, dépôt suprême de la vérité religieuse, ne s'est pas plus trompée sur ce point que sur tous les autres.

 

26. Une erreur plus dangereuse que celle des millénaires venait de surgir dans la Lybie Cyrénaïque. Sabellius, né à Ptolémaïs, l'antique Barcé, était un génie subtil et intrigant, qui joignait à une certaine perspicacité dans l'intelligence un jugement assez médiocre et beaucoup d'opiniâtreté. Disciple de Noët, il avait puisé à l'école de ce sectaire les faux principes de Praxeas et des Patripassiens sur le dogme de la Trinité. Il enseignait qu'il n'y a en Dieu qu'une seule personne, le Père, dont le Fils et l'Esprit-Saint émanent, à titre d'attributs ou d'opérations distinctes, sans constituer de véritables hypostases. Plusieurs évêques d'Afrique adoptèrent ces erreurs, et la nouvelle hérésie se propagea telle­ment qu'on n'osait plus donner à Jésus-Christ son titre de Fils de Dieu. Saint Denys d'Alexandrie, en apprenant le péril de la foi, multiplia les exhortations, les lettres et les efforts, pour faire triompher la saine doctrine. Voici en quels termes il infor­mait le Saint-Siège de toutes ses démarches. « La secte impie, qui vient de surgir dans la Pentapole, ne cesse de proférer des blasphèmes contre le Dieu Tout-Puissant, Père de Jésus-Christ; elle détruit la foi à la divinité du Verbe fait chair, l’Unigenitus et le

---------------------------

1. Euseb., But. eccles., lib. Vil, cap. xiv.

========================================

 

p414           l'O.NTIKîC.'.T   DE   SAINT   L'IiS'.s   {~^'J--C'J).

 

premier né de toute créature: elle altère essentiellement la notion de l'Esprit-Saint. Les deux partis en lutte à Ptolémaïs, ortho­doxes et hérétiques, m'ont écrit chacun de leur côté. Je vous en­voie copie des réponses que je leur ai adressées. Autant qu'il était en mon pouvoir et que Dieu m'en a donné la grâce, je me suis efforcé de faire briller la vérité catholique dans tout son éclat, l'ai eu des conférences publiques à ce sujet; enfin je travaille, selon la mesure de mes forces, au maintien de la foi véritable1. » En effet, à partir de ce moment, le saint évêque d'Alexandrie insista plus vivement que jamais, dans ses traités et ses discours, sur la distinction des trois personnes au sein de l'auguste Trinité. La controverse devenait chaque jour plus ardente. Les textes de l'Ecriture et de l'Évangile étaient cités de part et d'autre dans le débat. Saint Denys s'était servi de cette expression de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui disait en parlant de lui-même : « Je suis la vigne, mon Père est le vigneron. » — « Or, concluait l'évêque d'Alexandrie, la vigne et le vigneron, l'œuvre et l'ouvrier, ne sont point une même chose. Il y a donc une distinction entre le Père et le Fils. On ne saurait donc les identifier, ni les confondre, ainsi que le fait Sabellius. » Cet argument était solide. Cependant, comme toute comparaison est nécessairement défectueuse en quelque point, celle du vigneron et de la vigne, appliquée à la distinction des personnes dans la Trinité, présentait une équivoque dange­reuse. En pressant les termes, on pouvait y trouver une infériorité inacceptable entre le Père et le Fils. Celui-ci, représenté par la vigne, n'était plus qu'une créature du Père. Quelques docteurs égyptiens, en lisant les paroles de l'évêque d'Alexandrie, les com­prirent en ce sens ; ils crurent que l'illustre patriarche avait eu l'intention d'enseigner que le Fils était une créature, et qu'il ne le regardait point, comme omoousios ou consubstantiel au Père. — Ce terme de consubstantiel, qui soulèvera tant d'orages, est remarquable dans la bouche de simples fidèles, soixante ans avant le concile de Nicée. — On prit de là occasion d'accuser saint Denys d’Alexan-

---------------------------

1. Euseb., Ilist. eccles., lib. VII, cap. vi.

=========================================

 

p415 CHAP.   V.      HERESIES. 

 

drie auprès du pape son homonyme. Le souverain pontife assembla à Rome (261) un concile qui condamnait à la fois les deux impié­tés opposées, mais également criminelles, de ceux qui soutenaient la doctrine de Sabellius, et de ceux qui disaient que le Verbe avait été créé, fait ou formé, et qu'il n'était pas consubstantiel au Père. Le pape écrivit ensuite à saint Denys d'Alexandrie, pour qu'il eût à expliquer sa doctrine et à se justifier des erreurs qu'on lui imputait. Le patriarche d'Alexandrie répondit en protestant de sa foi au Verbe consubstantiel. Il expliqua, dans sa lettre au pape et dans un traité spécial, les raisons qui l'avaient porté à insister plus particulièrement sur les preuves de la distinction des per­sonnes dans la sainte Trinité, pour répondre à l'hérésie de Sabel­lius. Sa justification fut complète, parce que son attachement à la vraie doctrine n'avait point varié, et plus tard saint Athanase se servait de son nom et de sa parole pour confondre les Ariens.

 

27. Plus redoutable que Sabellius, un nouvel hérésiarque dogmatisait alors en Syrie. C'était Paul de Samosate, évêque d'Antioche, dont nous avons précédemment fait connaître la mau­vaise foi, les ruses déloyales et les sacrilèges entreprises 1. Le monument le plus auguste de la tradition mutilé par sa main impie, les Constitutions Apostoliques frauduleusement altérées, cette œuvre de faussaire imprime à la mémoire de Paul de Samo­sate une flétrissure ineffaçable. De mœurs plus que suspectes, d'un caractère arrogant et altier, aimant l'éclat et le faste, l'évêque d'Antioche n'avait vu, dans la haute dignité dont il était revêtu, qu'un moyen de satisfaire ses passions. Il affectait le luxe des ma­gistrats et des proconsuls romains; sa chaire épiscopale ressemblait au tribunal des gouverneurs de province ; il voulait des applau­dissements pour relever l'éloquence de ses discours. Ce qui con­tribuait à entretenir son orgueil, c'est la faveur dont il jouissait près de Zénobie, reine de Palmyre. Juive de naissance, cette princesse avait désiré être instruite de la religion chrétienne, et s'était adressée pour cela à Paul de Samosate.  L'indigne évêque d'Antioche

----------------------

1. Cf. tom. VI de cette Histoire, pag. 589-593.

==========================================

 

p416 PONTIFICAT   I1E  SAINT  DENYS   (:23U-2GU).

 

prétendait expliquer le mystère de l'Incarnation en admettant en Jésus-Christ deux personnes, ou suivant le mot grec deux hypostases, l'une, Fils de Dieu par nature et préexistant aux siècles, l'autre, fils de David, né dans le temps, et qui n'avait reçu le nom de Fils de Dieu, après son union avec le Verbe, que comme une ville reçoit le nom de son souverain, une maison celui de son fon­dateur. Cette erreur, que les ariens devaient reprendre plus tard, fut vigoureusement réfutée par saint Denys d'Alexandrie. On retrouve partout ce grand homme sur la brèche, quand il s'agit de défendre la vraie foi. « Le Verbe s'est fait chair, disait le saint patriarche, sans division ni partage. On ne distingue point en lui deux personnes, comme si le Verbe habitait dans l'homme et ne lui fût pas uni. Comment osez-vous donc appeler Jésus-Christ un homme distingué par son génie, lui vrai Dieu, adoré par toutes les créatures avec le Père et le Saint-Esprit, incarné de la sainte Vierge Marie, mère de Dieu ? » Le nom de Mère de Dieu, théotoxos, donné à la Vierge Immaculée par saint Denys d'Alexandrie, et confirmé plus tard par le concile général d'Ephèse, n'était point nou-veau dans l'Église. Saint Méthodius de Patare l'avait déjà employé ; Origène s'en était servi dans son Commentaire sur l'Evangile de saint Luc, et, dans son Traité sur l’Epitre aux Romains, ce grand docteur développait longuement les raisons qui l'ont fait donner à la sainte Vierge. Deux conciles, réunis successivement à Antioche (264-268), condamnèrent les erreurs de Paul de Samosate; mais leur auteur, en usant de subterfuges et en protestant de sa soumission, avait réussi à éviter un anathème nominal. Nous dirons plus loin com­ment un troisième concile (269), tenu dans la même ville, le dé­posa solennellement et élut un autre évêque à sa place.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon