Darras tome 40 p. 58
L'assemblée nationale décrète :
1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces.
2° Que, dans les dispositions à faire pour l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure, moins de douze cents livres par année, non compris le logement et le jardin en dépendant.
On peut dire que très peu de membres comprenaient la portée de ce décret. C'était une application telle quelle de la maxime gallicane qui sépare de l'ordre spirituel l'ordre temporel, et laisse au législateur civil le soin exclusif des choses de ce bas monde. Beaucoup d'ecclésiastiques, surtout parmi les curés, s'étaient laissés entraîner par la promesse formelle de ne jamais rendre des biens ecclésiastiques. Les laïques ne voyaient pas le danger de cette brèche ouverte à la propriété et aux confiscations de tous genres, qui ont laissé de si tristes traces dans notre histoire. Le secret de la mesure spoliatrice était réservé aux meneurs et, avec le secret, ils s'en réservaient les bénéfices. De là sont sortis, après la confiscation des biens de l'Église, les confiscations successives des biens d'émigrés, de déportés, de condamnés à mort ; et une partie des éléments de l'ouragan révolutionnaire ; de là peut sortir le principe organique du communisme.
77. L'État expropriait donc l'Église, moyennant une juste et préalable indemnité, ou plutôt il la dépouillait en y mettant des formes. La plupart des députés croyaient que l'État avait le droit de s'adjuger ces biens ; ils espéraient y trouver une mine d'or pour
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payer les dettes de l'État et remettre à flot le vaisseau de la fortune publique. En quoi ils se montrent encore plus dépourvus de conscience que d'esprit, et surtout sans ombre de prudence. L'État français ne pouvait pas revendiquer la dépouille de l'Église. Le clergé séculier et les congrégations religieuses étaient propriétaires de droit strict. « L'État, dit Taine, n'est pas leur héritier, et leurs immeubles, leur mobilier, leurs rentes ont, par nature, sinon un propriétaire désigné, du moins, un emploi obligé. Accumulé depuis quatorze siècles, ce trésor n'a été formé, accru, conservé qu'en vue d'un objet. Les millions d'âmes généreuses, repentantes ou dévouées, qui l'ont donné ou administré, avaient toutes une intention précise. C'est une œuvre d'éducation, de bienfaisance, de religion, et non une autre œuvre, qu'elles voulaient faire. Il n'est pas permis de frustrer leur volonté légitime. Les morts ont des droits dans la société, comme les vivants ; car, cette société dont jouissent les vivants, ce sont les morts qui l'ont faite, et nous ne recevons leur héritage qu'à condition d'exécuter leur testament. — Sans doute, quand ce testament est très ancien, il faut l'interpréter largement, suppléer à ses prévisions trop courtes, tenir compte des circonstances nouvelles. Parfois les besoins auxquels il prévoyait ont disparu; il n'y avait plus de chrétien à racheter, après la destruction des corsaires barbaresques, et une fondation ne se perpétue qu'en se transformant. — Mais si, dans l'institution primitive, plusieurs clauses accessoires et particulières deviennent forcément caduques, il est une intention générale et principale qui, manifestement, reste impérative et permanente, celle de pourvoir un service distinct, charité, culte, instruction. Changez, si cela est nécessaire, les administrateurs et la répartition du bien légué, mais n'en détournez rien pour des services d'une espèce étrangère ; il n'est affecté qu'à celui-là ou à d'autres très semblables. Les quatre milliards de fonds, les deux cents millions de revenus ecclésiastiques en sont la dotation expresse et spéciale. Ils ne sont pas un tas d'or abandonné sur la grande route et que le fisc puisse s'attribuer ou attribuer aux riverains. Sur ce tas d'or sont des titres authentiques, qui, en constatant sa provenance, fixent sa destination et
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votre seule affaire est de veiller pour qu'il soit remis à son adresse. Tel était le principe sous l'ancien régime, à travers des abus graves et sous les exactions de la commende. Quand la commission ecclésiastique supprimait un ordre, ce n'était pas pour adjuger ses biens au trésor public, mais pour les appliquer à des séminaires, et à des écoles, à des hospices. En 1789, les revenus de Saint-Denis défrayaient Saint-Cyr ; ceux de Saint-Germain allaient aux Économats ; et le gouvernement, même absolu et besoigneux, gardait assez de probité pour comprendre que la confiscation est un vol. Plus on est puissant, plus on est tenu d'être juste, et l'honnêteté finit toujours par devenir la meilleure politique. — Il est donc juste et utile que l'Église, comme en Angleterre et en Amérique, que l'enseignement supérieur, comme en Angleterre et en Allemagne, que l'enseignement spécial, comme en Amérique, que les diverses fondations d'assistance et d'utilité publique soient maintenues indéfiniment en possession de leur héritage. Exécuteur testamentaire de la succession, l'État abuse étrangement de son mandat, lorsqu'il la met dans sa poche pour combler le déficit de ses propres caisses, pour la risquer dans de mauvaises spéculations, pour l'engloutir dans sa propre banqueroute, jusqu'à ce qu'enfin, de ce trésor énorme amassé pendant quarante générations pour les enfants, pour les infirmes, pour les malades, pour les pauvres, pour les fidèles, il ne reste plus de quoi payer une maîtresse dans une école, un desservant dans une paroisse, une tasse de bouillon dans un hôpital » (1).
78. L'abîme invoque l'abîme. La Constitution s'était approprié les biens du clergé, en alléguant qu'ils appartenaient à la nation. C'était un sophisme grossier ; mais le sophisme admis, vous voyez paraître à l'horizon le décret par lequel l'Assemblée législative, « considérant qu'un État vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corporation, pas même celles qui, vouées à l'enseignement public, ont bien mérité de la patrie ; » pas même celles « qui sont vouées uniquement au service des hôpitaux et au soulagement des malades », supprime toutes les congrégations, confréries, asso-
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(1) Taise, La révolution, t. I. p. 219.
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ciations d'hommes et de femmes, laïques ou ecclésiastiques, toutes les fondations de piété, de charité, d'éducation, de conversion, séminaires, collèges, missions, Sorbonne, Navarre. Sous la même législation, un autre coup emporte le partage de tous les biens communaux, excepté les bois. Sous la Convention viennent l'abolition de toutes les sociétés littéraires, de toutes les académies scientifiques, la confiscation de leurs biens, bibliothèques, muséums, non jardins botaniques, la confiscation de tous les biens communaux encore partagés, la confiscation de tous les biens des hôpitaux et autres établissements de bienfaisance. Le principe que tous les biens appartiennent à l'État et que l'État est juge de leur retour à son domaine a révélé successivement sa vertu exterminatrice ; et les députés, appelés par coupes successives à la représentation nationale n'ont effectué, à leur profit, dans le domaine de la nation, des razzia, que pour remplir leurs poches. Grâce à ce brigandage en grand, qui est toute la révolution, il n'y a plus, en France, que des individus isolés, impuissants, éphémères, et en face d'eux, le corps unique, permanent, dévorant, qui a englouti tous les autres, l'État, vrai colosse, seul debout au milieu de nains chétifs. Au point de vue politique, cette suppression de l'organisme social et de la hiérarchie naturelle des classes, ne fait plus de la population française qu'une poussière emportée par des tourbillons, et de son gouvernement qu'une construction ou misérable ou despotique, menacée sans cesse par l'anarchie, ne pouvant se sauver que par la tyrannie.
Au point de vue financier, la confiscation des biens ecclésiastiques, opération lucrative en apparence, aboutit à la ruine. Les biens d'Église sont comme le morceau de chair volé par l'aigle à l'autel du sacrifice ; à ce morceau de chair un charbon reste attaché ; l'aigle l'emporte dans son aire et y met le feu. L'incendie dévore le nid et les aiglons ; l'aigle lui-même trouve la mort dans les flammes. Aux yeux de l'assemblée, cette incamération était une mine d'or où elle puiserait toujours sans pouvoir jamais l'épuiser. L'assemblée supprime et rembourse les offices de magistrature, 450,000,000; les charges et cautionnements de finances, 321,000,000,
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les charges de la maison du roi, de la reine et des princes, 52,000,000; les charges et emplois militaires, 35,000,000; les dîmes inféodées, 100,000,000 et le reste. Au mois de mai 1789, dit Necker, «le rétablissement de l'ordre dans les finances n'était qu'un jeu d'enfant. » Au bout d'un an, à force de s'obérer, d'exagérer ses dépenses, d'abolir ou d'abandonner ses recettes, l'État est obligé d'émettre des assignats ; il mange ce capital nouveau et marche à grands pas vers la banqueroute.
Au point de vue économique, ce ne peut être pire, mais c'est aussi mal. La société française n'a plus de fond commun, elle s'est dépouillée de tout son acquis et elle se trouve nue comme les sauvages des bords de l'Orénoque. Avec son érudition implacable et ses analyses de commissaire-priseur, Taine montre on ne peut mieux à quoi aboutit ce grand vol de la république. C'est le gaspillage sur toute la ligne, un gaspillage effronté et sans retenue, qui laisse mourir de faim ceux qu'il dépouille et tue d'excès ceux qui dévorent. De tous les biens confisqués, on ne réserve rien pour le culte, rien pour les écoles, rien pour les hospices et les établissements de charité sociale. Non seulement tous les contrats et tous les immeubles productifs tombent dans le grand creuset national pour s'y convertir en assignats, mais nombre de bâtiments spéciaux, tout le mobilier monastique, une portion du mobilier ecclésiastique, détournés de leur emploi naturel, viennent s'engloutir dans le même gouffre. — Privées de leurs rentes, comment tant de communautés vont-elles soutenir leurs écoles, leurs hospices et leurs asiles ? Même après le décret qui, par exception et provisoirement, ordonne qu'on leur tienne compte de tout leur revenu, toucheront-elles ce revenu, maintenant qu'il est perçu par une administration locale dont la caisse est toujours vide et dont les intentions sont presque toujours hostiles ? Visiblement, tous les établissements de bienfaisance et d'éducation dépérissent, depuis que les sources distinctes qui les alimentaient viennent se confondre et se perdre dans le lit desséché du trésor public. — Déjà en 1790, l'argent manque pour payer aux religieux et aux religieuses leur petite pension alimentaire. Dans les années suivantes, il ne leur
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reste plus qu'à mourir de faim ; on leur épargne cette peine par la dispersion, par l'exil et par les massacres.
79. Jusqu'ici, l'Assemblée constituante a dépouillé les églises de leur argenterie, provoqué la suppression des dîmes sans rachat et mis à la disposition de la nation pour quatre milliards de biens ecclésiastiques. Maintenant qu'elle a détruit la base terrestre de l'édifice, elle va porter la sape jusque dans le sanctuaire. L'état monastique est incompatible avec une religion servile et une église esclave. De bons moines, vivant en saints au milieu des peuples, même sans ouvrir la bouche, sont, aux yeux de tous les tyrans et de tous les novateurs, un fléau. Henri VIII, Gustave Wasa, Joseph II, Louis XV inscrivent successivement leurd noms parmi les destructeurs de couvents. Grand honneur pour les moines, que tous les ennemis de l'Église soient aussi leurs ennemis. Ces moines, en France, étaient sans doute dégénérés par suite de la commende ; désormais dépouillés de leurs biens, ils eussent pu se retremper dans d'austères vertus et rendre à l'Église de précieux services. C'est ce que voulurent prévenir les tyrans ignares et bas de la Constituante : ils décidèrent que les religieux seraient libres de rentrer dans le monde et qu'il serait défendu à l'avenir d'émettre des vœux religieux. En agissant ainsi, l'assemblée dépassait son droit. Sous l'ancien régime, l'État ajoutait, au vœu religieux, une sanction civile ; l'assemblée pouvait abolir cette sanction, mais elle ne pouvait aller plus loin sans porter atteinte à la liberté politique d'association et à la liberté de la conscience qui veut se lier par un vœu. Un rapport de Treilhard conclut à la suppression complète des ordres religieux pour le présent et pour l'avenir. Rœderer, Péthion, Bamave, Garât, quand vint la discussion, déclamèrent avec fureur contre les ordres religieux. Delacoste demanda la conservation des ordres savants et des ordres très austères, comme les trappistes et les chartreux, qui n'avaient point participé à la décadence générale. Grégoire défendit les instituts religieux, soutint que les campagnes avaient perdu à l'expulsion des Jésuites, et déclara « qu'il serait impolitique et dangereux à la fois de supprimer tous les établissements ecclésiastiques. » L'abbé de Montesquiou
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lit en leur faveur un discours à la fois modéré et habile : il rappela qu'il fallait distinguer entre le vœux religieux et sa sanction civile, et établit parfaitement la distinction entre les droits de la conscience et ceux du pouvoir civil, que la gauche méconnaissait complètement au profit de ce dernier : « On ne peut pas rompre les vœux ; je dirai donc aux religieux : Si vous voulez sortir, sortez ; si vous ne le voulez pas, demeurez, car votre vœu est un contrat, et je n'ai pas le droit de rompre un contrat. Vous êtes hommes (aux députés), tout ce qui est humain vous appartient... Vous êtes hommes, tout ce qui est spirituel n'est point de vous. » L'assemblée n'eut aucun égard à ces raisons ; elle vota que les congrégations étaient supprimées, sans qu'il fut possible d'en établir d'autres. L'assemblée ne décida rien quant aux couvents de femmes. Une pension viagère fut assignée aux religieux qui sortiraient de leur cloître. En parlant de ces pensions, un député disait : « Lorsque vous avez mis les propriétés de l'Église à la disposition de la nation, vous avez décrété plutôt une opération politique qu'une opération financière. » En effet, pour les chefs du parti radical, l'opération de finance n'était qu'un prétexte ; il s'agissait avant tout de faire acte d'impiété.
La vente des biens du clergé se fît dans des conditions déplorarables ; pour la partie non aliénée, la Chambre voulut en enlever l'administration au clergé. La dépossession complète du clergé était un acheminement au projet de schisme ; il importait donc de la combattre. « Pour fermer la bouche à ceux qui calomnient l'assemblée, dit dom Gerle, et pour tranquilliser ceux qui craignent qu'elle n'admette toutes sortes de religions en France, il faut décréter que la religion catholique, apostolique, romaine est et demeurera pour toujours la religion de la France et que son culte sera seul autorisé.» Après une longue et tumultueuse discussion, cette proposition fut écartée. Les fanatiques ne songeaient qu'à lanterner les prêtres, non à défendre la religion. L'assemblée, quand il s'agissait de décider en faveur du vieux culte de la France, ne se trouvait pas de qualité ; mais elle s'en trouvait quand il fallait empiéter sur le domaine sacré de la religion et de l'Église. Ainsi parce qu'elle avait
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supprimé les ordres religieux, elle entendait que l'Église n'avait plus aucun droit sur les vœux monastiques, que c'était affaire terminée par un vote politique. Il est cependant un fait que l'esprit de parti a voulu nier et qui ressort de toutes ces discussions avec une incontestable évidence : c'est que le traitement annuel a été accordé au clergé comme compensation des biens qui lui ont été enlevés. Il a été déclaré positivement que ces biens étaient à l'État, à la charge d'assurer l'existence du clergé. Les députés les plus antireligieux ont dit et ressassé mille fois qu'on n'avait pas le droit de protester au nom des détracteurs de l'Église, parce que l'État, en prenant leurs biens et en assurant également l'existence du clergé, exécutait leur intention. Il est inutile de multiplier les citations. On s'est toujours appuyé sur ce fait du salaire pour soutenir la légitimité des confiscations. Les partisans de la suppression complète du salaire des cultes ne peuvent la proposer que comme un coup d'autorité ou une mesure de salut public ; il ne leur est pas permis de contester le caractère que les Constituants ont voulu expressément donner à ce salaire. Sur ce point comme sur tant d'autres, tout en portant aux nues les hommes de 89 et en s'indignant contre ceux qui les critiquent, beaucoup de personnes méconnaissent complètement leurs doctrines (1).
80. Les décrets de l'Assemblée avaient supprimé la vie monastique. Cependant la religion catholique subsistait encore ; ses évêques et ses pasteurs avaient, il est vrai, à gémir sur d'horribles blasphèmes, mais on ne leur ordonnait pas d'y souscrire. L'Eglise était privée des secours que lui offraient de fervents religieux ; mais les pasteurs des âmes pouvaient encore parler et agir. Les fidèles n'avaient plus ces asiles destinés à la perfection des conseils évangéliques ; mais ils pouvaient se sanctifier au sein de leur famille, y conserver, par des leçons et des exemples, la pureté de leur foi. Le triomphe des conspirateurs n'était donc pas complet ; ils avaient enlevé à l'Église son patrimoine ; mais ils savaient que la force de la religion ne consiste pas dans l'or du sanctuaire ; les
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(1) Sciout, Histoire de la constitution civile, t, I, p. 165.
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pasteurs, dépouillés des biens de ce monde, n'en étaient pas moins recommandables par ces vertus et cette autorité qui sanctifient les nations. La masse était égarée, mais elle pourrait revenir à la raison et se lasser bientôt du fanatisme révolutionnaire. Malgré l'impiété crue d'un grand nombre de sophistes, il est vrai que le peuple français était encore zélé pour sa foi. Pour lui faire admettre la révolution politique, on l'avait trompé en lui disant qu'on n'en voulait point à ses dogmes ; maintenant pour attaquer son culte, on va le tromper encore. Tous les vices se croisaient dans l'Assemblée ; il ne fut donc pas difficile d'y rencontrer l'hypocrisie. L'avocat janséniste Camus, ses confrères Lanjuinais, Martineau et Treilhard s'offrirent avec empressement pour machiner un projet de schisme. Ces avocats, le premier surtout, longtemps chargés des affaires temporelles du clergé et des contestations qui pouvaient s'élever au sujet des bénéfices, s'étaient trouvés entraînés par leur intérêt même, à étudier au moins en partie, la discipline de l'Église. « Quand on n'est religieux que par intérêt, dit un historien ecclésiastique, on devient aisément impie et hérétique par le même mobile. Les avocats théologiens savaient que tout se tient et se lie dans la religion catholique ; que jamais elle ne compose avec l'erreur ; qu'elle ne connaît point de ces vérités secondaires qu'on puisse sacrifier au mensonge, pour maintenir les vérités primaires ; que pour elle l'esprit de vérité n'est pas plus l'esprit des erreurs subtiles que celui des hérésies éclatantes ; que, si elle admettait un seul mensonge, elle croirait voir s'écrouler toute la base sur laquelle porte l'autorité de ses décisions, et l'édifice de construction divine contre lequel, selon qu'il a été écrit, les portes de l'enfer ne prévaudront jamais; mais ils savaient aussi que, dans cet ensemble de dogmes et de lois divines qui composent la religion catholiques, il en est dont le peuple n'aperçoit pas l'enchaînement, pas plus que l'union essentielle aux vérités primordiales. Ils voyaient la monarchie se dénaturer, et le peuple, malgré son attachement à ses monarques, se prêter à la constitution nouvelle de l'empire, parce qu'elle conservait encore et le nom et l'image du roi dans la personne de Louis XVI ; ils imaginèrent de dénaturer également
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les dogmes, les lois et les constitutions de l'Église, en lui laissant l'apparence de son culte (1). »
On s'arrêta à un projet de constitution civile du clergé. Autrefois, quand le clergé était le premier corps de l'État, quand le clergé possédait d'immenses domaines, en eût pu, sans crime, lui donner une constitution civile pour ses biens et politique pour ses personnes. Aujourd'hui qu'il n'est plus propriétaire, ni corps d'État, il n'y a pas lieu à constitution civile. Tout au plus pourrait-on régler, par un arrangement amiable et une convention réciproque, les rapports de la société française avec l'Église ; mais constituer civilement l'Église catholique, donner une constitution civile à une organisation religieuse d'institution divine, c'est une entreprise qui n'a pas de sens aux yeux de l'orthodoxie. Un projet fut donc médité dans le comité qu'il plut à l'Assemblée constituante d'appeler comité ecclésiastique, bien qu'il ne comptât, pour la forme, que quelques évêques et quelques prêtres, et fut surtout composé d'avocats laïques. Aussitôt que ce plan de schisme fut placé sous les yeux des prêtres, ils reculèrent d'horreur; un ou deux, apostats futurs, destinés à recueillir, du schisme, quelques titres d'honneurs, soutinrent seuls ce dessein. Enfin de cet antre d'avocats théologastres sortit le code qui, sous le nom de constitution civile du clergé, devait répondre aux vœux des impies et exterminer la foi de la vieille France.