Grégoire VII 42

Darras tome 22 p. 165

 

41. Quoique puissent dire les adeptes de la moderne démocratie, le temps où peuples et rois soumis à la haute judicature du vicaire de Jésus-Christ terminaient ainsi sans effusion de sang de pareilles querelles, valait bien notre ère de révolutions par l'échafaud, le massacre et les barricades. «Transporté de joie, reprend le chroniqueur, Henri qui s'était cru perdu sans ressource accepta toutes ces conditions si humiliantes qu'elles fussent. Trop heureux d'échapper au désastre présent, il fit sur-le-champ toutes les promesses exigées. A l'heure même il renvoya de sa cour tous ses familiers suspects, Eppo de Zeitz, Ruotpert de Bamberg, Benno d'Osnabruck avec les comtes Udalric de Cosheim, Ebérard de Nellembourg et Hartmann. Son camp fut dissous et les soldats rentrèrent dans leurs foyers. Un message fut expédié à Worms : la garnison abandonna cette ville où l'évêque Conrad depuis si longtemps banni put rentrer en sécurité. Les captifs saxons virent tomber leurs chaînes2. » Un édit général, edictum générale, dont M. Pertz a retrouvé le texte authentique, apprenait à toute l'Allemagne ces nouvelles aussi heureuses qu'inespérées. En voici la teneur : « Henri roi par la grâce de Dieu aux archevêques, évêques, margraves, comtes et à tous les dignitaires de chaque ordre, glorieuse déclaration de sa bonne volonté. Sur les représentations de nos féaux, nous avons reconnu l'injustice des entreprises suggérées par quelques pervers contre le siège apostolique et son vénérable pontife le seigneur pape Grégoire. En conséquence, il nous a plu de réformer notre sentence antérieure (celle de Worms), d'imiter l'exemple de nos prédécesseurs et ancêtres en gardant sur toutes choses, per omnia, l'obéissance due au   saint-

---------------------

1.Lambert. Hersfeld. Annal, col. 1232;—Berthold. Constant., loc. cit., col. 375. 2. Ibid.

=================================

 

p166 PONTIFICAT  DE  GRÉGOIRE VII (1073-1085).

 

siège et au seigneur pape Grégoire qui y préside légitimement, enfin de donner satisfaction convenable pour tout ce qui a été injustement entrepris. Prenant vous-mêmes exemple de notre sérénité, nous voulons que tous sans hésitation vous donniez satisfaction solennelle au bienheureux Pierre et à son vicaire. Tout ceux qui se trouvent encore compris dans le ban d'excommunication devront solliciter en personne leur absolution près du seigneur pape Grégoire 1. » Ce langage ne ressemblait guère à celui qu'avait tenu Henri six mois auparavant. « Le seigneur pape Grégoire, vicaire de saint Pierre, vénérable pontife du siège de Rome, » n'était plus le pseudo-moine Hildebrand, l'usurpateur de la chaire apostolique, maudit dans les siècles des siècles2. » Mais le roi parjure ne se préoccupait nullement alors de pareilles contradictions. « Il écrivit, dit Berthold de Constance, une lettre de soumission absolue au pape et en fit donner lecture aux princes de la diète. Les termes en étaient exactement conformes aux conditions prescrites ; les princes l'approuvèrent, elle fut scellée en leur présence et le roi désigna l'archevêque Udo de Trêves pour la porter à Rome 3. » Le choix d'un pareil intermédiaire semblait écarter tout soupçon de fraude. « Cependant, ajoute le chroniqueur, tant de bonne foi n'était qu'apparente. Le roi se réservait de faire plus tard soustraire clandestinement au pieux messager la lettre officielle pour en substituer une autre d'un sens tout différent. » Les envoyés que le roi fit partir avec l'archevêque Udo furent chargés de mener à bonne fin cette intrigue. Leur conscience n'était pas plus délicate que celle de leur maître. « Les princes, tant de fois trompés par des perfidies de ce genre, reprend Berthold, n'omirent de leur côté aucune des précautions nécessaires. Ils députèrent au pape le comte Manégold de Véringen, frère du fameux chroniqueur Hermann Contract, avec d'autres ambassadeurs intègres pour apprendre à Grégoire VII ce qui s'était passé

--------------------------

1.         Pertz. Leg. II, p. 49; — Watterich, tom. I, p. 387. 2. Cf. n° 5 du présent cliapitre. 3.Berthold., foc. cil.

=================================

 

p167 CHAP. II. NOUVELLE PERFIDIE DE HENRI IV.

 

le mettre en garde contre les manœuvres possibles des envoyés du roi et le supplier de se rendre en personne à Augsbourg afin d'y présider la diète fixée à la prochaine fête de la Purification 1. » Voulant mettre le roi dans l'impossibilité de tenter aucune nouvelle révolte contre le siège apostolique, ils prêtèrent tous un serment solennel dont chacun d'eux répéta la formule ainsi conçue : « Si Henri quatrième du nom, fils de l'empereur Henri, ne s'est pas fait relever par le seigneur apostolique avant le commencement du mois de février prochain de son ban d'excommunication, jamais plus il ne sera par nous reconnu roi ni de nom ni de fait 2 » « Le patriarche Sigéard prononça le premier ce sarment, dit Bruno de Magdebourg; non-seulement il le prononça, mais il le rédigea par écrit, le revêtit de sa signature et le mit avec les autres procès-verbaux dans son portefeuille (marsupium). Hélas ! il s'entendait mieux à garder des parchemins qu'à tenir ses serments. Après lui jurèrent et signèrent Altmann de Passaw et tous les évêques présents. Les autres, ducs, comtes et seigneurs, grands et petits, prêtèrent le serment sans l'écrire. Ainsi se termina la diète de Tribur, le 1er novembre 1076. Tous se séparèrent pleins de joie et d'espérance, chantant les louanges du Seigneur, pendant que le roi Henri se retirait à Spire pour y vivre en simple particulier sous les yeux des tuteurs et serviteurs, tutoribus et actoribus, qui lui avaient été choisis par les princes 3. »

§ VIII. Nouvelle perfidie de Henri IV.

 

42. « Quelques jours après, disent les chroniqueurs, une énorme quantité de neige couvrit la terre non-seulement en Allemagne et en France, mais dans toute la Lombardie. Jamais de mémoire d'homme un tel fait ne s'était produit en cette saison. La rigueur et

-----------------------

1. Berthold. Constant. Annal; Pair. Lat., tom. CXLVII, col.375.

2. Bruno Magdeburg. Bell. Saxenic; Pair. Lat., tom. CXLVII, col. 851.

3. Bertkold. et Bruno Magdeburg., ibid.

================================

 

p168 PONTIFICAT  DE   GRÉGOIRE   vu   (1073-1085).

 

la durée du froid furent telles que le Rhin demeura gelé dans toute son étendue depuis la fête de saint Martin (11 novembre 1076) jusqu'aux calendes d'avril (1er avril 1077), et le Pô jusqu'aux ides de mars (15 mars 1077). Durant ce terrible hiver, les vignes furent gelées jusqu'à la racine. « C'était, dit Berthold de Constance, comme un présage et un signe de calamités nouvelles1. ». Les deux ambassades que Henri et les princes envoyaient à Rome éprouvèrent de longs retards. Il en fut de même des évêques allemands dont saint Altmann de Passaw avait réservé l'absolution au pape. Pibo de Toul et Hozemann de Spire qui les premiers se mirent en route eurent les plus grandes peines à franchir les Alpes. Arrivés en Italie, ils trouvèrent dans les Apennins couverts de neige une autre barrière non moins dangereuse. Obligés de se diviser par petits groupes sous la direction de guides montagnards, ils arrivèrent séparément à Rome. « Pibo et Hozemann bientôt suivis des autres évêques excommuniés, dit Berthold, parvinrent les premiers au terme de ce dangereux voyage. Ils se prosternèrent aux pieds du pape, confessèrent leur faute, promettant de se soumettre à la pénitence qui leur serait imposée et jurant pour l'avenir une obéissance filiale au saint siège. Grégoire les réconcilia selon les formes canoniques, et pour éprouver durant quelque temps la sincérité de leurs dispositions, les fit enfermer isolément dans les cellules d'un monastère. L'impératrice Agnès intervint pour abréger leur pénitence. A sa prière le pape consentit à les renvoyer dans leur patrie, mais sans autre faveur que celle de la communion laïque, remettant la réhabilitation définitive après une plus longue épreuve de leur fidélité2. » Cette mesure en apparence rigoureuse était un acte de suprême prudence. Pibo et Hozemann, tous deux signataires de la lettre schismatique de Worms, avaient jusque-là énergiquement soutenu la cause du roi excommunié; ils ne s'étaient séparés de sa personne qu'après la conclusion de la diète de Tribur. Il y avait douc lieu de soumettre à une épreuve plus sérieuse leur

-----------------

1 Lambert. Hersfeld., col. 1233 ; — Berthold. Constant., col. 376 2. Berthold. Constant., col. 370.

=================================

 

p169 CHAP.   II.   NOUVELLE  TERFIDIE  DE  HENRI   IV.

 

conversion de fraîche date. On ne pouvait rétablir si facilement dans leur puissance et leur dignité des évêques disposés peut-être à ne s'en servir que pour un nouveau schisme. Cependant l'archevêque Udo de Trêves porteur de la lettre officielle de Henri IV au souverain pontife était arrivé après les plus grandes fatigues à Plaisance. « Là il se vit soudain, dit Bonizo, arrêté et détenu prisonnier par les intrigues de l'évêque de cette ville Denys. Je pourrais, ajoute le chroniqueur, raconter en détail toute l'histoire de ce guet-apens concerté avec le roi Henri IV; mais elle serait trop longue. L'archevêque ne fut remis en liberté qu'après l'arrivée d'un courrier venu de Spire et apportant une lettre apocryphe que Denys de Plaisance substitua à la lettre officielle dont il avait eu soin de s'emparer lors de l'arrestation de l'archevêque 1. » Le Codex du Vatican reproduit exactement les mêmes paroles2, sans omettre la fâcheuse prétérition qui nous fait perdre à tout jamais l'espoir de connaître le détail de cette perfide manœuvre. On se rappelle la liaison de Denys de Plaisance avec le schismatique évêque d'Albe Benzo. Ce dernier qui devait bientôt reprendre sa plume de diplomate et son ardeur de sectaire ne fut vraisemblablement pas étranger à ce nouveau trait de perfidie. En tout cas, le complot si habilement noué entre les prélats schismatiques de Lombardie et le roi excommunié atteste l'incorrigible mauvaise foi de Henri IV.

 

43. L'archevêque de Trêves auquel  on rendit ses papiers en le faisant sortir de prison ne remarqua point la fraude. « Il arriva à Rome avec les ambassadeurs royaux, dit Berthold, au moment où Pibo de Toul et Hozemann de Spire venaient de quitter cette ville. Le comte Manégold de Véringen et les autres envoyés des princes l'y avaient précédé. Udo d'autant plus pressé de s'acquitter de son message   que des circonstances de force majeure l'avaient   plus longtemps retardé se présenta le jour  même au pape et lui remit la lettre dont il était porteur. Mais  Grégoire VII  ne voulut en

-----------------

1. Bonizo Sutr. Ad amie, lib. VIII ; Patr.Lat., tom. CL, col. 845. 2. Codex Vatican., ap. WattericU, tom. I, p. 329.

===========================================

 

p170 PONTIFICAT DE  GRÉGOIRE VII  (1073-1085).

 

prendre connaissance que devant les envoyés des princes. Comme ceux-ci avaient assisté à la rédaction de ce document à Tribur, ils devaient témoigner de son authenticité à Rome. Ce fut donc en leur présence qu'eut lieu la lecture du royal message1.» Le texte de cette pièce subreptice a été de nos jours retrouvé par M. Pertz. En voici la teneur : «Promesse du roi Henri faite au pape Hildebrand, du nom pontifical de Grégoire. — Cédant aux conseils de nos féaux, je promets de garder en toutes choses au siège apostolique et à vous, pape Grégoire, l'obéissance que je dois. Je m'efforcerai par une dévote satisfaction de réparer tout ce qui a semblé de ma part diminuer l'honneur du saint-siége et le vôtre. Comme on s'est plu à m'imputer contre la chaire apostolique et contre votre révérence certains griefs d'une nature particulièrement odieuse, je m'en disculperai en temps opportun, soit en administrant les preuves de mon innocence, soit en faisant appel à l'épreuve du jugement de Dieu (nous verrons à Canosse le résultat de cette épreuve), me soumettant volontiers d'ailleurs pour le tout à la pénitence qui sera jugée compétente. Mais il convient également que votre sainteté ne garde pas davantage le silence sur les accusations publiques dont elle est l'objet, au grand scandale de l'Eglise. Il appartient à votre sagesse, en dissipant les scrupules qui agitent à ce sujet les consciences, de rétablir la tranquillité générale au sein de l'Église et de l'État1. » « A la lecture de cet insolent message, reprend Berthold, les envoyés des princes se récrièrent. « Ce n'est point là, dirent-ils, le contenu de la lettre qui fut rédigée au sein de la diète, écrite et scellée en notre présence. C'est un faux; nous en prenons le Seigneur Dieu tout-puissant à témoin. » L'archevêque de Trêves confondu de ce qu'il voyait et entendait pro-

--------------------

1. Berthold. Constant., col. 376.

2. Pertz. Leg. II, p. 49. Il est superflu d'avertir le lecteur que M. Villemain ne reproduit pas ce chef-d'œuvre de perfidie et de mauvaise foi. Il glisse sur l'incident lui-même avec une précipitation calculée et se borne à cette phrase dubitative : « Henri ayant, dit-on, secrètement altéré la lettre qu'il envoyait de concert avec la diète, se bornait à demander au pape une entrevue dans Rome, sans parler d'Augsbourg. » (Hist. de Grég. YII, tom. II, p. 96.)

================================

 

p171 CHAP. II. — NOUVELLE PERFIDIE DE HENRI IV.     

 

testa de son côté qu'il avait cru remettre exactement la missive telle qu'il l'avait reçue à Tribur. Mais se rappelant, aussi bien que les autres envoyés, la formule adoptée par la diète, il déclara solennellement qu'à son insu et sans aucune connivence de sa part la lettre avait été altérée ou changée par une main inconnue1. » Il paraît que, suivant les instructions précédemment données par Grégoire VII aux princes allemands1, ceux-ci. avaient chargé leurs envoyés d'un message spécial pour l'impératrice Agnès. Berthold ajoute en effet que « le seigneur apostolique, d'accord avec cette princesse, ayant ainsi constaté la perfidie du roi, écarta toutes ses vaines protestations de dévouement et d'obéissance, et refusa positivement d'accueillir une requête que plus d'une fois déjà Henri lui avait fait transmettre et à laquelle il tenait par-dessus tout. »

 

44. Cette requête qui tenait tant au cœur du roi excommunié était cependant en apparence fort simple. « Il demandait seulement, dit Berthold, la permission de se rendre à Rome pour y recevoir l'absolution du pontife. » A cet unique point il attachait la plus haute importance, car non content de le faire solliciter par ses ambassadeurs, il s'était adressé pour l'obtenir à l'influence de la comtesse Mathilde. Cette illustre héroïne déjà si affligée de la mort tragique du duc de Lorraine son époux venait de perdre sa mère, la duchesse Béatrix, morte à Pise le 18 avril 1076. Henri faisait appel aux liens de parenté qui l'unissaient à sa « glorieuse cousine, » illustrem consobrinam; les envoyés qu'il lui adressait avaient ordre de la supplier d'intervenir pour que le pape se prêtât à une entrevue soit à Rome soit en Toscane 3. Pour multiplier ainsi les instances, le roi excommunié avait l'intérêt le plus pressant; sa demande se rattachait à tout un plan dont la substitution frauduleuse du message offiecel n'avait été qu'un commencement d'exécution. Henri voulait à tout prix empêcher la réunion de la diète d'Augs-

-----------------------

1. Berthold. Constant.,, loc. cit. 2. Cf. n° 33 du présent chapitre.

3. Domnizo. Vit. Mathild., lib. II, cap. i, vers. 11 ; — Attonym. Vit. Mathild., cap. vui ; Poli: Lai., tom. CXLVIII, col. 997 et 1048.

===============================

 

p172 PONTIFICAT DE   GRÉGOIRE VII (1073-1085).

 

bourg. D'après ce qui venait de se passer à Tribur, il savait à n'en pouvoir douter que les princes allemands et saxons ne  consentiraient plus à l'accepter pour roi. Il lui fallait donc  par tous les moyens possibles s'opposer à la tenue d'une assemblée  qui prononcerait irrévocablement sa déchéance.   Or la présence du pape à la future diète ayant été posée comme une condition indispensable,  si l'on  réussissait à retenir  Grégoire VII en Italie pour l'époque fixée, la diète ne pourrait plus avoir lieu, ou du moins ses décisions, quelles qu'elles fussent, n'auraient juridiquement qu'une valeur  contestable.   L'insolent message que Henri IV fit substituer par Denys de Plaisance à la lettre officielle dont l'archevêque de Trêves était porteur fut rédigé dans le but d'effrayer Grégoire VTI, en lui faisant croire que la diète d'Augsbourg se préparait non pas seulement à discuter les griefs imputés au roi de Germanie, mais à examiner simultanément les prétendus scandales reprochés au pape lui-même. Ce moyen d'intimidation était sans nul doute très-habilement imaginé ; la manœuvre à laquelle recourut le jeune roi pour opérer à l'insu d'Udo la substitution de lettre fut aussi en son genre  un chef-d'œuvre.  Si réellement les princes et évêques d'Allemagne réunis à Tribur avaient été dans les  dispositions  que  leur prêtait le document apocryphe, s'ils eussent sommé outrageusement l'immortel pontife de venir à Augsbourg « se disculper des accusations publiques dont il était l'objet et qui faisaient le scandale de toute l'Eglise, » Grégoire VII n'aurait pas hésité à repousser avec indignation un pareil programme. Jamais il n'eût songé à se rendre à Augsbourg.  Dès lors la diète projetée échouait, et le but poursuivi par Henri IV était atteint. La précaution prise à Tribur d'expédier à Rome le comte Manégold avec d'autres députés intègres pour surveiller de plus près les agissements des ambassadeurs royaux, déjoua cette première et déloyale intrigue. Henri et ses conseillers durent regretter d'y avoir eu recours, car elle dévoilait leur plan   et   compromettait le sort de leur requête. En demandant qu'il lui fût permis de se rendre de sa personne en Italie pour solliciter l'absolution pontificale, le roi parjure avait encore un autre dessein. Il n'igno-

=================================

 

p173 CHAP.   II.   — NOUVELLE  PERFIDIE  DE  HENItl IV.

 

rait pas le dévouement à sa cause des évêques schismatiques lombards et de leur troupeau de clérogames. Il comptait sur leur influence et sur les subsides qu'ils mettraient à sa disposition pour se faire une armée au delà des Alpes. «Il espérait ainsi, dit Berthold, se trouver en état d'arriver à Rome en maître. Le pape se verrait contraint soit par la force des événements, soit par la pression qu'on ferait exercer sur lui à prix d'argent par le clergé et le peuple, à subir toutes les conditions qu'il plairait au roi de dicter. Si Grégoire s'obstinait à rejeter tout accommodement, il serait chassé du trône apostolique, déposé et remplacé par un autre pontife qui donnerait à Henri le sacre impérial, la couronne de Charlemagne 1. »

 

45. Tous ces projets de trahison et de sacrilège orgueil furent déjoués. « Grégoire VII en présence des envoyés des princes, continue le chroniqueur, déclara aux ambassadeurs de Henri qu'il refusait formellement à leur maître la permission de se rendre en Italie. Il lui enjoignait en vertu de son autorité apostolique de l'attendre en Germanie, et de se présenter à Augsbourg devant tous les seigneurs du royaume, afin d'y être entendu et réconcilié avec l'Église.  «Nous arriverons,  si Dieu le permet, au jour fixé pour l'ouverture de la diète, ajouta le pape,  et nous vous chargeons tous d'annoncer notre présence à Augsbourg pour la prochaine fête de la Purification2. «A cette parole, la consternation des députés de Henri fut grande, mais les envoyés des princes accueillirent avec des acclamations de joie la promesse pontificale. Grégoire leur remit une lettre adressée « aux archevêques, évêques, ducs, comtes et seigneurs de tout ordre constitués en dignité dans le royaume teutonique. » Elle était conçue en ces termes : « Nous avons résolu, faible et indigne  serviteur que  nous sommes du prince des apôtres,  de nous rendre près de vous avec l'aide de la bonté divine,  et malgré l'avis contraire de tous nos fidèles, nous hâterons tellement notre départ que nous comptons arriver le VI

-------------------

1 Berthold. Annal., col. 377. 2. Berthold., toc. cit.

=================================

 

p174 PONTIFICAT  DE  GRÉGOIRE VH  (1073-1085).

 

des ides de janvier (8 janvier 1077) à Mantoue 1. Pour répondre à vos vœux et à votre confiance, pour assurer la liberté de la sainte Église et le salut de l'empire, nous n'hésiterions pas à affronter tous les périls, à verser s'il le fallait tout notre sang. Nous comptons sur votre zèle pour tenir prête l'escorte qui devra nous recevoir et nous accompagner. Vous veillerez également à maintenir toutes vos contrées en état de paix, afin que rien ne vienne entraver l'accomplissement de notre mission. Ceux qui vous remettront cette lettre vous diront quelle lutte il nous a fallu soutenir contre les envoyés du roi, quels arguments irréfragables nous avons opposés à leurs prétentions2. » Le comte Manégold et ses compagnons d'ambassade, porteurs du rescrit pontifical, «reprirent joyeusement, dit le chroniqueur, le chemin de leur patrie, annonçant en triomphe la prochaine arrivée de l'hôte auguste qui allait visiter l'Allemagne. Les princes du royaume se concertèrent à l'envi pour prendre les mesures prescrites par le pontife. L'allégresse était générale ; tous les cœurs se dilataient dans l'espérance de voir enfin rétablies la paix de l'Eglise et la dignité de l'État3. » On convint d'envoyer une escorte qui s'avancerait dans les gorges du Tyrol au delà de Cluses (Klausen), pour amener le pontife à Augsbourg par la route de Trente et d'Inspruck.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon