Angleterre-Normands

Darras tome 18 p. 603

 

PONTIFICAT DE MARIN I

(23 décembre SS 2—23 février 844)

 

   31. L’intrépide légat, « qui venait, dit un annaliste, de couvrir son nom d’une gloire immortelle dans les prisons de Constantinople et dans les fers de Basile le Macédonien, » Marin Ier était désigné d’avance par l’estime universelle, comme le successeur de Jean VIII. On s’empressa de l’élever sur le trône pontifical (23 décembre 882). L’empereur grec et son faux patriarche protestèrent en vain contre son ordination. Marin Ier répondit à leurs récriminations intéressées en renouvelant contre Photius la sentence d’excommunication. Il rendit en même temps un décret portant qu’à l’avenir on n’attendrait plus les ordres des empereurs d’Occident pour l’élection des papes. L’autorité des princes de la race carlovingienne, affaiblie par leur incapacité personnelle et leurs luttes intestines en Germanie et dans les Gaules, était complètement perdue en Italie, où elle ne pouvait ni se faire craindre, ni exercer de protectorat. Les vigoureuses mesures et la fermeté apostolique de Marin Ier donnaient à l’Eglise les plus belles et les plus légitimes espérances. Malheureusement elles furent de courte durée, car ce pape ne devait avoir qu’un an de règne.

 

   32. La notice que le Liber Pontificalis lui avait consacrée n’est point parvenue jusqu’à nous. Voici celle que Mansi a tiré des monuments les plus authentiques. «Marinus, dit-il, était né en Étrurie, dans l’antiqne province de Falisques, au bourg de Gallèse. Trois jours après la mort de Jean VIII, il fut élu pape du consentement unanime du clergé et du peuple. Son court pontificat d'un an et vingt jours s’écoula sous le règne de Charles III le Gros, empe-

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p604 PONTIFICAT DE MARIN I (882-884).

 

 reur d'Occident et de Basile le Macédonien, empereur de Constantinople. Comme diacre cardinal de la sainte Église romaine, Marinus en avait accompli deux autres, la première sous le pontificat de Nicolas-le-Grand, pour notifier à l’empereur Michel III l’Ivrogne, la sentence de déposition portée contre Photius; la seconde sous Adrien II, pour représenter ce pape au VIIIe concile ocuménique. Les Bulgares l’avaient demandé pour métropolitain sans pouvoir l’obtenir, parce qu’au moment où leur requête parvint à Rome, Marinus était retenu en Orient d’abord par ses fonctions de président du concile et plus tard par la captivité que lui firent subir les Slaves. Une troisième fois, comme on l’a vu, il retourna à Constantinople, afin de réparer le scandale causé par l'apostasie des légats Paul et Eugène, et de fulminer contre Photius la nouvelle excommunication prononcée par Jean VIII. En présence de l’empereur Basile et toute la cour, Marinus, avec une noble audace, lut la sentence apostolique et déclara nuls et sacrilèges tous les actes du synode byzantin qui avait réhabilité Photius. Le courageux légat fut jeté en prison par ordre de l’empereur; il y resta trente jours, parvint à s'échapper et revint à Rome couronné de la gloire des confesseurs. On ignore le nom du siège épiscopal pour lequel il fut sacré par Jean VIII ; mais on sait que ce pontife l’envoya quelque temps après remplir une mission importante près d’Athanase, évêque et prince de la cité de Naples. Athanase était accusé d’avoir récemment conclu un traité d’alliance offensive et défensive avec les Sarrasins. Un synode romain présidé par Jean VIII fulmina contre Athanase une sentence d’excommunication. L’évêque et prince de Naples demanda à se justifier du crime qu’on lui imputait. Marinus eut ordre d’aller sur les lieux examiner l'affaire ; il devait maintenir l’excommunication, si le fait d’une alliance avec les Sarrasins était constaté, et dans le cas contraire relever Anathase de la censure synodale. Dans la lettre apostolique écrite à ce sujet par le pape, Marinus est qualifié du titre de trésorier de la sainte Eglise romaine. Aussitôt après sa promotion au siège apostolique, il renouvela la sentence d'excommunication portée contre Photius, déclara nuis tous les actes de juridiction épiscopale de l’intrus et anathématisa

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le pseudo-concile qui l'avait réhabilité. L’empereur Basile, à cette nouvelle, éclata en cris de fureur. Il adressa à Rome une lettre pleine d’injures et de menaces, déclarant que Marinus n’avait pu sans une usurpation sacrilège être promu au siège apostolique parce qu’il était déjà titulaire d’une autre église épiscopale. Il vomissait un torrent de blasphèmes contre le très-saint pontife et terminait en disant qu’il n’épargnerait rien pour le faire déposer et chasser de Rome. La lettre impériale ne parvint à sa destination qu’après la mort de Marinus et celle d’Adrien III, son successeur immédiat. Voici en quels termes Etienne VI y répondit : « Tous les griefs que vous accumulez contre le très-saint et illustre Marinus tournent à sa plus grande gloire. Cet homme apostolique, et si je l'ose dire, vraiment divin, n’a fait que suivre les traces de notre grand docteur le pape Nicolas Ier, dont jadis il avait été le disciple et le légat. Sa conduite à Constantinople dans les diverses missions qu’il eut à y remplir, fait encore aujourd’hui l’admiration de l’univers. Par quel étrange aveuglement vous êtes-vous porté contre lui à tant de violences et d’outrages? N’y avait-il point dans la noble fierté qui le rendait inaccessible à toutes les séductions, dans le courage avec lequel il résistait à toutes les menaces, une magnanimité capable de toucher votre cœur? Vous l’en avez récompensé en le jetant dans un cachot; là encore il était grand parce qu'il souffrait pour la justice et pour la vérité.» — L’évêque de Porto, Formosus, qui avait été déposé au concile de Troyes, fut réhabilité par Marinus et rappelé à Rome. L’histoire ne nous a point appris les détails ni les motifs de cette réintégration. Vraisemblablement elle fut précédée d’une rétractation explicite et d’engagements solennels de fidélité au saint-siège. Du reste, avant de se laisser entraîner dans la conjuration des comtes de Tusculum et de Spolète contre Jean VIII, Formosus avait rendu les plus grands services à l’Eglise ; il s’était signalé par son zèle et son dévouement dans la mission des Bulgares. — A la requête du roi Alfred-le-Grand, Marinus exonéra l’école des Anglo-Saxons de Rome de toute espèce d’impôts. — Tous les monuments contemporains donnent à ce pontife le nom de Marinus ou Marin; c’est donc à tort que certains auteurs modernes,

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Platina entre autres, ont prétendu que son nom véritable était Martin. — Sous son pontificat, mourut le XIII des calendes de décembre (20 décembre 882) le roi Louis-le-Germanique. Les Normands, à cette nouvelle, se précipitèrent sur ses Etats. La ville de Trêves fut pillée et livrée aux flammes. Liège, Utrecht, Tongres, Cologne, Bonn, Tolbiac eurent le même sort; les monastères de Malmondier, Stavelo et Pruym furent dévastés et les religieux mis à mort. A la même époque, les Sarrasins envahirent l’abbaye de saint Vincent de Vulturne en Italie, et passèrent au fil de l’épée tous les moines qui l’habitaient. — Du temps de Marinus, l’Eglise romaine adopta l’usage de joindre le Filioque au symbole, afin de protester contre les erreurs de Photius sur la procession du Saint-Esprit. Marinus, après un an et vingt jours d'un pontificat qu’il fit bénir par ses vertus, mourut le 23 février 884. Le siège ne demeura vacant que deux jours 1. »

 

   33. Vers la fin de décembre de l’an 883, Marinus avait reçu les députés d’Alfred le Grand, roi d’Angleterre, chargés par ce prince de déposer au tombeau des apôtres de riches offrandes, en reconnaissance de ses succès merveilleux contre les Normands. Alfred ne pouvait en réalité attribuer qu'au bras du tout-pouissant la prospérité où il voyait enfin contre toute espérance les terres soumises à sa domination. Elles avaient été, comme les régions voisines, le théâtre du brigandage des Normands et des Danois. Ces barbares s’étaient emparés de tous ses Etats, et il avait été réduit à se cacher avec sa famille dans un bois environné de marais inaccessibles. Pendant six mois, les augustes fugitifs n’eurent pour asile que la cabane d’un pauvre berger et pour subsistance que le produit de leur pêche dans les étangs voisins. Mais la rigueur du froid les ayant glacés, priva la famille de sa dernière ressource. Un jour un mendiant frappe à la porte de la cabane et demande l’aumône. « Qu'avez-vous à lui donner? dit Alfred, en fixant les yeux sur la reine. — Hélas ! il ne nous reste plus qu’un pain ! — Dieu soit loué ! dit le roi, celui qui, avec cinq pains, sut nourrir cinq mille 

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1 Nolil. Marin. I, pap. III, Pair, lat., tom. CNXVI, cri. 903

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p607 CHAP. All. — l'üXTJFICAT UE MARIN l    

 

hommes, peut bien faire que la moitié d’un pain nous suffise : donnez l’autre moitié à ce pauvre. » Une telle charité ne fut point sans récompense et Dieu rendit un trone pour le morceau de pain donné en son nom. Peu de temps après, Alfred apprit que malgré l’état désespéré de ses affaires, quelques Anglais avaient tenté un dernier effort. Le chef danois Hubba, auteur du martyre de saint Edmond, venait d’être tué dans une bataille sanglante. Le roi sortit de ses marais, rassembla ses troupes dipersées, tomba tout à coup sur les barbares et remporta une victoire complète (878). Ceux qui échappèrent au massacre se renfermèrent dans une forteresse. Il les assiégea et les contraignit de se rendre aux conditions qu’il voulut leur imposer. Il obligea ceux qui refusèrent d’abjurer l’idolâtrie à sortir de l’ile et donna des terres aux autres. Les nouveaux chrétiens, ayant à leur tête leur roi Gunthrum, qui prit au baptême le nom d’Edelstan, se fixèrent dans les provinces qu’Alfred leur assigna. Il repeupla ainsi d’une race courageuse et fidèle les deux royaumes d’Estanglie et de Northumberland, presque déserts depuis l’invasion des barbares. Pour achever la civilisation de ces peuples, il leur donna des lois qui devinrent bientôt le code universel de l’Angleterre. Alfred le Grand termina glorieusement un règne commencé sous de si tristes auspices. L'Église l'a mis au rang des saints. L’éclat de cette belle figure historique resplendit au milieu d’une époque désolée et contraste avec la faiblesse des princes francs, ses contemporains. Alfred le Grand laissa plusieurs ouvrages, entre autres un Traité sur les différentes fortunes des rois. Il les avait connues par expérience.

 

   34. A la mort de Louis le Germanique (881), les Normands brûlèrent le monastère de Corbie et la ville d’Amiens. En Lorraine, étant entrés par le Yahal, ils incendièrent Nimègue, Liège, Maastricht, Tongres, Cambrai, Cologne, Ponn, Zulpich, Juliers et enfin Aix-la-Chapelle, où ils firent leur écurie de la chapelle impériale de Charlemagne. La Champagne fut dévastée. Reims fut prise et livrée aux flammes. L’archevêque Hincmar avait pris la fuite, emportant les trésors de soir église et les précieuses reliques de saint Remi. 11 mourut à Épernay de fatigue et de douleur (21 dé-

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p608 PONTIFICAT D’ADRIEN III (881-885).

 

cembre 882). Loup de Ferrières, son admirateur, nous le présente «  comme un prélat généreux, bienfaisant, en qui la noblesse des sentiments s’alliait à une éminente sagesse. » Nous avons eu l’occasion de remarquer que son caractère subit trop, en certaines circonstances, l’influence de son siècle. Comme écrivain, il fait preuve de plus d’érudition que de goût. Son style est diffus, embarrassé, plein de parenthèses et surcharge de citations. Il est resté bien au-dessous de Ratramn, moine de Corbie, son contemporain, dont les ouvrages et surtout le Traité sur l’Eucharistie, sont des monuments d’une élégante et pure latinité.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon