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16. Nous considérons comme un pieux devoir de recueillir ici tous les fragments relatifs à la biographie trop peu connue de nos saints nationaux. La vie d'Evurtius (saint Euverte), évêque (Orléans), des Aurelii (Orléans), nous a été conservée par le sous-diacre Lucifer, lequel, vers le milieu du VIe siècle, trouvant que le style des actes primitifs avait vieilli, entreprit de le rajeunir pour Ie rendre accessible à un plus grand nombre de lecteurs. « Du reste, ajoute-t-il, j'ai scrupuleusement maintenu la série des faits sans y rien ajouter : » Nihil addens, neque superflue loquens 3. Malgré cette déclaration préliminaire, le récit du pieux sous-diacre d'Orléans a soulevé des difficultés chronologiques longtemps inextricables. Il fait remonter l'élection de saint Euverte à l'époque de Constantin le Grand, et lui donne pour successeur immédiat le prêtre Anianus (saint Aignan). Or, de Constantin le Grand (313) à la mort de saint Aignan (453), il s'est écoulé un intervalle de cent trente-huit ans, et durant cette période plus que séculaire, le siège épiscopal aurait été occupé seulement par deux évêques. L'invraisemblance est telle ici qu'elle équivaut à une véritable im-
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1 Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner l'épiscopat de suint IIIidius, ou Allyre, à Clermont (370-385). — 2 Bolland., Act. sanct., 18 jauuar. — 3. Bolland., Ad., 7 sept.; tom. Il' Sept., pag. 47.
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possibilité. L'anachronisme parut si monstrueux aux hagiographes subséquents, que pour l'éviter, ils eurent recours à un subterfuge, et intercalèrent, dans le récit du sous-diacre d'Orléans, une phrase incidente, qui permettait de supposer entre la mort de saint Euverte et l'élection de saint Aignan une période de temps, indéterminée, élastique, dans laquelle on pourrait placer autant d'évêques qu'on voudrait: Post multo tempore, vmltisque episenpis deceden-tibus, tanctua vit; Deo plemis, Anianus, consenlicnte Domino, ttd tion-tificale ïiiutius accessit 1. Les Bollandistes ont adopté ce texte comme une explication plausible. Ils conjecturent qu'un certain nombre d'évêques, dont les noms nous sont aujourd'hui inconnus, se seraient succédé sur le siège d'Orléans entre Euverte et Anianus. Nous nous permettrons de n'être pas de leur avis, et de proposer un nouveau système d'explication qui fait disparaître toutes les difficultés. Voici d'abord la biographie de saint Euverte, par le sous-diacre Lucifer : « A la mort du bienheureux évêque Desinianus, dit le chroniqueur, la ville des Aurelii se partagea en deux factions, qui soutenaient chacune un candidat différent. La lutte prit des proportions regrettables, le peuple en vint aux armes; il y eut du sang répandu de part et d'autre. L'empereur Constantin fut informé de ces dissensions. Par ses ordres, le préfet de la ville, Porphyrius, réunit les principaux évêques de la Gaule, pour arriver à une solution pacifique. Les pères, assemblés à Orléans, trouvèrent dans les esprits une telle animosité, qu'ils renoncèrent à l'idée de faire adopter une voie de conciliation aux deux partis. Dieu seul, dirent-ils, fera cette élection. Les hommes n'y réussiraient point. — En conséquence, ils ordonnèrent un jeûne de trois jours, après lesquels tout le peuple, réuni dans la basilique, devrait attendre que le Seigneur fît connaître l'homme de son choix. Or, le second jour de ce jeûne solennel, un étranger, pauvrement vêtu, entra dans la ville et vint prier à l'église. Après sa prière, il sortit et se tint sous le porche attendant que quelqu'un lui offrît l'hospitalité. Un ostiarius (portier) l'ayant aperçu, lui dit : Serviteur de Dieu, qui êtes-vous?
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2. Bolland., Act., tooi. cit., pag. 48.
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d'où venez-vous, et quel est le but de votre voyage ? — Je suis, dit l'étranger, un sous-diacre de l'Église romaine. Jeparcours la Gaule dans l’intention d'apprendre quelques nouvelles sur le sort de ma sœur et de mon frère, qui ont été emmenés en captivité lors de la dernière expédition 1. — Comment se nomment votre sœur et votre frère?— Cassia et Eumorphius. — Je n'ai jamais entendu parler d'eux, répondit le portier. Mais venez vous reposer dans ma cellule ; vous y demeurerez autant qu'il vous sera nécessaire pour vos investigations. —L'étranger accepta cette offre. L'humble ostia-rius, selon la pieuse coutume de l'Église, lava lui-même les pieds de son hôte, et lui fit partager son pauvre repas du soir. Le lendemain, dès l'aurore, l'étranger se disposait à reprendre sa route. Ami de Dieu, lui dit l’ostiarius, ne savez-vous donc point ce qui se passe dans cette ville? — Non, répondit le Romain. — Le portier lui apprit alors que ce jour-là même devait avoir lieu l'élection d'un nouvel évêque. Une grande foule de peuple, ajouta-t-il, se réunira dans la basilique à cette occasion. Peut-être, à la faveur de cette affluence, pourrez-vous obtenir quelques renseignements utiles. — Je n'y compte guère, dit le sous-diacre; cependant que votre volonté soit faite. — Et ils se rendirent à l'église. L’ostiarius se tint près de la porte, pour remplir son office, et l'étranger demeura à ses côtés. Cependant les évêques, prosternés le front sur le pavé du sanctuaire, supplièrent le Seigneur avec larmes de manifester sa volonté, et de mettre un terme aux afflictions de son peuple. Les prières de la litanie étaient répétées au milieu des sanglots des fidèles. Tout à coup, par une fenêtre supérieure, on vit entrer une colombe qui voltigea quelque temps sur l'assemblée en battant des ailes ; on eût dit qu'elle cherchait parmi la foule un
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1 Si l'on rapportait ce récit à l'époque de Constantin le Grand, il faudrait, par l'expédition dont parle Evurtius, entendre celle qui eut lieu contre le tyran Maxence. Mais cette expédition victorieuse de Constantin le Graud, auquel elle valut l'empire, ne coûta aucun prisonnier à la ville de Rome, et par conséquent n'expliquerait pas, d'une manière satisfaisante, la servitude du frère et de la sœur d'Evurtius. Ce n'est pas la seule invraisemblance que la fausse date de Constantin le Grand ait amenée sous la plume de l'hagiographe du VIe siècle. Nous en signalerons d'autres un peu plus loin.
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personnage sur qui se reposer. Tous les regards la suivaient dans son vol. Elle s'arrêta enfin sur la tête de l'étranger. Celui-ci étendit les mains pour la chasser. Après une lutte de quelques instants, la colombe reprit son essor et s'envola par la fenêtre ouverte; mais elle reparut bientôt, et, comme pour accentuer davantage le ministère dont elle était chargée, elle vint directement, après avoir parcouru une seconde fois toute l'église, se reposer encore sur la tête de l'inconnu. Les efforts de celui-ci pour la chasser recommencèrent. Cependant la foule demandait le nom de cet homme. On le confondit d'abord avec l’ostiarius, près duquel il se tenait. Mais bientôt l'erreur fut reconnue et les évêques donnèrent l'ordre de l'amener dans le sanctuaire. Il fut obligé de décliner son nom. Je m'appelle Evurtius, dit-il. Je suis sous-diacre de l'Église romaine. — Et il fit connaître l'objet de son voyage. En apprenant sa qualité de clerc romain, les évêques rendirent grâces au Dieu Tout-Puissant de ce qu'il destinait aux Aurelii un pasteur venu de la cité apostolique, d'où jadis, aux temps anciens, les très-pieux prédicateurs de la foi avaient été envoyés dans les Gaules. Puis ils s'agenouillèrent, ayant au milieu d'eux Evurtius. Mentalement ils adressaient à Dieu cette prière : Seigneur Jésus-Christ, vous dont la bénédiction se repose sur le juste, si c'est par un ordre secret de votre Providence que cet étranger est venu parmi nous, s'il est vraiment le pasteur que vous avez choisi pour cette congrégation chrétienne, daignez une troisième fois nous en donner la preuve, afin que toute incrédulité cesse devant la manifestation de vos saints décrets. — Telles étaient leurs prières. En ce moment la colombe rentra dans l'église. Elle revint près de la porte, où, les deux premières fois, elle avait rencontré Evurtius. Mais ne le trouvant plus, elle se mit à voltiger au-dessus de l'assemblée, comme pour chercher l'homme de Dieu. Les évêques placèrent alors à côté d'Evurtius les deux candidats rivaux, les serrant les uns contre les autres en un groupe dont les têtes se touchaient, et attendirent en silence ce qui allait se passer. La colombe, après avoir exploré inutilement la foule, vint enfin au sanctuaire. Là, s'élevant jusqu'à la voûte, elle redescendit en droite
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ligne sur la tête d'Evurtius et s'y reposa. Son vol avait été si précis qu'elle n'effleura même pas, de ses ailes étendues, la chevelure des deux autres candidats. A cette vue, la foule éclata en transports d'allégresse : Voilà l'élu de Dieu ! s'écria-t-elle. Il est digne ! Il est juste ! Evurtius est notre pasteur, notre évêque, notre père! — L'élu de Dieu se montra digne de sa vocation. Je ne raconterai point en détail, dit le chroniqueur, les guérisons miraculeuses, les grâces surnaturelles obtenues par sa médiation. Il me suffira de rappeler brièvement une série de faits qui sont connus pour ainsi dire du monde entier : quœ universo pene mundo innotuerunt. Un an après l'ordination d'Euverte, la cité des Aurelii fut menacée d'une destruction complète. Pendant un orage épouvantable, le feu du ciel enveloppa la ville, et les flammes jaillirent de partout à la fois. Les habitants éplorés se pressaient autour du très-bienheureux évêque, lui disant : Homme de Dieu, sauvez-nous! — Evurtius se rendit à l'église. Là, prosterné devant l'autel, il dit : Seigneur, Dieu d'Israël, vous avez jadis sauvé les trois jeunes hébreux dans la fournaise ardente, éteignez en ce moment les globes enflammés qui tombent sur cette ville. — A peine eut-il prononcé ces paroles que l'orage cessa et l'incendie s'éteignit de lui-même. La foule poussait des cris de joie et de reconnaissance. L'évêque reprit la parole, et, s'adressant au peuple : Voici, dit-il, que dans sa miséricorde, le Seigneur nous a délivrés des flammes. Ne voulez-vous pas perpétuer, par un monument durable, le souvenir d'un tel bienfait? — Toutes les voix et tous les cœurs répondirent par des acclamations enthousiastes. Or c'était le temps où le trésor de la croix sainte du Sauveur venait d'être retrouvé à Jérusalem par la pieuse Hélène, mère de Constantin. Il fut résolu que l'église des Aurelii, qui avait jusque-là été un fort modeste édifice, serait remplacée par une somptueuse basilique, sous le vocable de Sainte-Croix. Une collecte fut faite dans ce but; tous les habitants y prirent part, chacun dans la mesure de ses ressources. Au jour fixé poour l'inauguration des travaux, le bienheureux évêque, entouré du clergé et du peuple, vint bénir les premières fouilles. Selon l'usage de certaines provinces, il mit lui-même la main à
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la pioche, traça d'abord une grande croix sur le sol, puis creusa la tranchée environ à trois pieds de profondeur. Or Voici qu'à ses regards s'offrit un vase de terre cuite, soigneusement fermé et enduit extérieurement de goudron (olla clausa atque bituminata). L'évêque l'ouvrit, et trouva à l'intérieur une quantité de pièces d'or, frappées à l'effigie de Néron, et dans un état de conservation parfaite. On eût dit que la Providence divine les avait tenues jusque-là en réserve, pour subvenir à la construction de la basilique. Mais le bienheureux évêque, appelant son archidiacre : Mon frère, lui dit-il, prenez ce trésor et portez-le à l'empereur. Nous devons l'exemple du respect des lois, nous qui sommes préposés au gouvernement des âmes 1. — Constantin reçut donc l'envoyé de saint Euverte et son précieux dépôt. Mais l'empereur ne voulut rien retenir de son droit d'aubaine. Il en fit l'abandon pour les frais de la nouvelle basilique, et y ajouta de nombreux et riches présents. L'église d'Orléans fut consacrée le cinq des nones de mai (3 mai), jour auquel on célèbre l'invention de la Sainte-Croix. Deux événements mémorables signalèrent cette cérémonie. On se rappelle que le voyage de saint Euverte dans les Gaules avait pour but la recherche d'un frère et d'une sœur emmenés en captivité par des guerriers de ce pays. Or, pendant qu'on achevait les travaux de la basilique de Sainte-Croix, Mansuetus, archidiacre de la cité des Suessiones (Soissons), vint à Orléans, chargé d'un message pour Euverte. L'évêque de Soissons lui mandait qu'étant un jour au tombeau des bienheureux martyrs Crespin et Crespinien, il avait remarqué l'attitude profondément recueillie d'un homme et d'une femme, lesquels, agenouillés près du sépulcre, répétaient à mi-voix cette prière : Glorieux témoins de Jésus-Christ, obtenez-nous la grâce de revoir un jour, et d'embrasser, avant de mourir, notre frère Evurtius.—L'évêque de Soissons
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1 Si quis in Cœsavti loco (thesaurum) invenerit, dimidium Ccesaris esse staluit Adrinmn. Tel était le texte du droit romain. (Justinian., /nj(iï.,lib. II, lit. 1.) On voit que saint Euverte se conforme au précepte légal, et va même au delà, puisqu'il transmet le trésor tout entier à l'empereur, laissants celui-ci le soin d'en faire la répartition selon son bon plaisir.
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les interrogea. Nous sommes citoyens romains, dirent-ils. Des soldats gaulois nous ont emmenés en captivité. Or, nous avons à Rome un frère bien-aimé, le sous-diacre Evurtius. C'est lui que nous voudrions revoir, et tel est le sens de la prière que nous adressons aux saints martyrs. —L'évêque de Soissons apprit d'eux qu'ils étaient en ce moment esclaves d'une pieuse chrétienne de la ville, nommée Juliana. Telles étaient les nouvelles que l'archidiacre Mansuetus apportait à la cité des Aurelii. Les deux esclaves de Soissons étaient réellement le frère et la sœur de l'évêque d'Orléans. Ils vinrent bientôt, versant des larmes de joie, embrasser leur bienheureux frère. La cité d'Orléans voulut fournir le prix de leur rançon. La pieuse Juliana reçut une somme considérable en échange de ses deux esclaves. L'allégresse publique fut portée au comble par l'arrivée d'Anatolius, chargé par l'empereur Constantin de rapporter au bienheureux évoque le trésor trouvé dans les fouilles de la nouvelle basilique, et de lui remettre en outre sept grands bassins d'or pur 1 et sept calices de même métal. Le prince voulait de plus que durant trois ans, le territoire de la ville fût déchargé d'impôts, et que toute la décoration intérieure de la basilique fût faite aux frais du trésor impérial. Les fêtes de la dédicace furent célébrées avec magnificence. Pendant qu'à l'autel le bienheureux évêque, après avoir offert le pain et le vin, traçait, selon les rites liturgiques, le signe de la croix sur les espèces sacramentelles, on vit une auréole de gloire resplendir sur sa tête. Au milieu de ce foyer de lumière, les assistants distinguèrent une main céleste qui bénissait avec l'évêque, et qui demeura visible jusqu'à la fin des cérémonies de la messe. « Le bruit de ce miracle, ajoute le chroniqueur, fit le tour de la terre : peragravit hujus miraculi visio omnem mundum. Son effet sur les païens de la contrée fut tel qu'en
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1 Lances aurl purissimi septem. Le lecteur pourra remarquer l'analogie qui existe entre les présents faits par Constantin à la basilique Sainte-Croix d'Orléans, tels que le biographe de saint Euverte les éuunière, et ceux dont le Liber Ponlificalis, fait si souvent mention, en parlant du mobilier des basiliques romaines. Les lances de la biographie sont les patente du Liber Pon-tificalis, c'est-à-dire les vastes et larges plateaux d'or, sur lesquels les diacres portaient les pains sacrés de l'Eucharistie pour les distribuer aux fidèles.
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trois jours on en compta jusqu'à sept mille qui vinrent se jeter aux pieds du bienheureux, el lui demander la grâce du baptême. — Le reste du pontifical de saint Euverte fut accompagné des mêmes bénédictions et des mêmes prodiges. « A chaque heure, ou plutôt à chaque moment, la gloire du Christ resplendissait par les mains de l'homme de Dieu. Tous les malades qui venaient à lui recouvraient la guérison ; aux sourds il rendait l'ouïe, la vue aux aveugles, aux boiteux l'usage de leurs jambes, aux paralytiques la santé. A tous il imposait les mains, et l'Esprit de Dieu, diversifiant ses dons sur chacun, opérait ces nombreux miracles. Après vingt ans d'un pareil épiscopat, le bienheureux s'étant rendu selon son ordinaire à la psalmodie des matines, eut une révélation qui lui annonçait sa mort prochaine. Il célébra les saints mystères, puis réunissant le clergé et quelques fidèles, il leur dit : Je vais vous quitter. Dimanche prochain, j'émigrerai vers le Seigneur. Que cette nouvelle ne vous afflige point, je vous en supplie, et prêtez une attention calme et tranquille à ce qui me reste à vous dire. Pour éviter les discussions qui régnaient ici lors de mon élection, faites dès maintenant, et sous mes yeux, le choix de mon successeur. Je vous recommande Anianus1. »
17. Telle est la première partie des actes de saint Euverte; il nous semble qu'elle ne méritait pas le dédain qu'ont professé pour elle les critiques du xVII0e siècle. A part l'erreur chronologique évidente qui consiste à donner Anianus (saint Aignan) pour successeur immédiat à un évêque contemporain de Constantin le Grand, les faits qu'elle mentionne s'enchaînent avec une telle précision qu'on ne saurait guère y voir l'œuvre d'un faussaire. Quant aux miracles de saint Euverte, leur souvenir fut gardé si fidèlement par la tradition, qu'un diplôme de Charlemagne 2 les rappelle comme des événements de notoriété publique. Nos évêques du Ve siècle furent donc à la fois des saints et des thaumaturges. Anianus, en montant à son tour sur le siège d'Orléans, y porta
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1. Bolland Aci., torn. cit.
2. Ce diplôme est reproduit intégralement lom. VIII de la Gnllin ■:hristiana3 pag. 480, et reconnu pour authentique par les Bollandistes, tom. cit., pag.60
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cette double auréole. Il fut très-réellement, croyons-nous, le successeur immédiat de saint Enverte. Les actes ont ici raison pour le fond de l'histoire, mais tort relativement à la question chronologique. Sur ce dernier point, il nous paraît très-facile de remonter à la source de l'erreur involontaire qui s'est glissée dans la biographie de saint Euverte par le sous-diacre du VIe siècle, tout en laissant au fond du récit le caractère de véracité parfaite dont la narration elle-même porte l'empreinte. Lucifer, le sous-diacre qui a remanié la légende primitive, trouvait le nom de l'empereur Constantin étroitement mêlé à celui de saint Euverte. Il dut en conclure que cet empereur Constantin ne pouvait pas être différent du fils de sainte Hélène. Grégoire de Tours, contemporain du sous-diacre d'Orléans, est tombé, nous l'avons vu, dans des erreurs analogues. Il prenait soin lui-même d'avertir ses lecteurs que les monuments historiques avaient disparu, pour !a plupart, à l'époque de l'invasion; et que le peu qui en restait demeurait lettre close, parce qu'il ne se trouvait plus personne en état de les expliquer. Or, l'an 407, un usurpateur du nom de Constantin régna dans les Gaules, avec le titre d'empereur. Nous allons le faire connaître et raconter les péripéties de son règne qui dura près de cinq ans. Sans nul doute, ce Constantin de l'an 407 aura été confondu de très-bonne foi par le sons-diacre Lucifer avec Constantin le Grand, fils de la pieuse Hélène. Dès lors toutes les difficultés, tous les anachronismes, toutes les prétendues contradictions s'évanouissent d'elles-mêmes, et, sauf une erreur de nom, les actes de saint Euverte concordent parfaitement avec ceux de saint Aignan. Il devient inutile de recourir, ainsi que l'ont fait les hagiographes postérieurs, et après eux les Bollandistes , à l'hypothèse d'une série d'évêques intermédiaires pour remplir le prétendu intervalle qui se serait écoulé entre Evurtius (315) et Anianus, sauveur de sa ville épiscopale sous Attila, en 452. Bon nombre de décisions ont été prises ainsi, prématurément, sur des sujets fort controversés, sans tenir compte de cette lacune produite dans la science historique par l'invasion des barbares. On nous pardonnera d'avoir signalé à la critique moderne une voie jusqu'ici
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inexplorée et qui pourrait conduire à beaucoup d'autres solutions du même genre.