Napoléon et Pie VII 3

Darras tome 40 p. 163


§ III. LES ARTICLES ORGANIQUES, LEUR OBJET, LEUR VICE, LEUR NULLITÉ


En présentant le Concordat aux corps constitués de la nation, le premier Consul y avait adjoint des articles dits organiques de la convention du 26 messidor. Ces articles arrivaient, avec le Con­cordat, en présence des assemblées délibérantes comme formant un tout unique, et comme ils étaient censés constituer un traité intervenu diplomatiquement entre les deux puissances, ils devaient être admis ou rejetés in globo ; ils furent admis sans discussion d'articles, mais seulement après des considérations générales, par le Corps législatif et le Tribunal. Nanti de cette ratification parle­mentaire, le premier Consul se retourna vers le Saint-Siège et le pria de publier le Concordat accepté par les deux parties, ensem­ble les mesures de police réservées à l'article premier du Concordat et édictées par le gouvernement français. On demande quelle est la valeur de ces articles.

 

Nous pensons qu'elle est nulle à tous les points de vue, nulle pour l'Église, nulle pour l'État, nulle par défaut de pouvoir dans la puissance qui l'a produite, nulle par défaut de compatibilité avec le régime de l’Église, nulle par défaut d'acceptation de la part du Saint-Siège, nulle par défaut d'accord avec les principes constitu­tionnels et législatifs de la France. Nous allons développer succes­sivement ces différentes preuves de nullité et envisager ainsi, sous le rapport de leur objet, de leurs vices et de leur valeur, ces divers articles.

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(1) Hilar, Contra Constanlium^

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13. Les articles organiques sont nuls et de nulle valeur par défaut de pouvoir compétent dans la puissance civile qui les a pro­duits.

 

Dans leur ensemble, ces articles traitent : l° du régime de l'Église catholique dans ses rapports généraux avec les droits et la police de l'État ; 2° des archevêques, des évêques, des vicaires généraux, des séminaires, des curés, des chapitres cathédraux et de l'admi­nistration du diocèse pendant la vacance; 3° du culte; 4° de la circonscription des archevêchés, des évêchés et des paroisses, des édifices destinés au culte et du traitement des ministres.

 

Ces articles, pris dans leur ensemble et considérés dans leur objet, forment une véritable constitution civile du clergé français, un Corpus juris laïque appliqué à l'Église, une législation civile déterminant la condition des personnes et des choses spirituelles, un Nomo-Canon comme à Bysance.

 

Or, l'Église ne se prête pas à ces manipulations de l'État et l'État n'a aucune qualité pour imposer à l'Église une telle législation.

 

L'Église est par elle-même une société complète et d'institution divine. C'est Jésus-Christ qui a déterminé sa fin, son objet, ses dogmes, ses lois, ses sacrements, son sacrifice, sa hiérarchie; c'est l'homme-Dieu qui, comme rédempteur des âmes et prince des nations, a envoyé ses apôtres pour enseigner tous les peuples et leur prescrire les règles de la discipline ecclésiastique, c'est le divin Sauveur qui a dit à Simon, fils de Jona, le Tu es Petrus, le Pasce oves, le Confirma fratres, et créé, d'un seul jet, la monarchie infaillible et souveraine de la papauté. Les successeurs des apôtres ont le droit plein de dicter des règles aux nations. Ils ne doivent pas en recevoir, du moins pour le gouvernement de l'Église. S'ils sont soumis à César, comme citoyens, César doit leur être soumis comme fidèle et comme détenteur de la puissance publique. « Tout, s'écrie Bossuet, tout est soumis à Pierre : rots et peuples, pasteur et troupeaux. » Qui dit tout n'excepte rien.

 

Au contraire la société civile est créée, constituée, maintenue par les chefs de familles pour leur commune protection ; elle n'a pour objet que le bien temporel, pour fin que la paix civile ; elle n'a des

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chefs que par délégation ou par succession, mais chefs qui ne peuvent pas avoir plus de pouvoir que n'en possèdent leurs com­mettants. Non seulement, par sa constitution, l'Église est soustraite à leur autorité, mais en vertu de leur mandat, par eux-mêmes et pour l'objet de leur gouvernement, ils n'ont nul pouvoir sur les âmes, aucune autorité pour régler la foi et la conscience, aucune mission pour se substituer à Pierre et au corps des évêques. Tout acte, émané de leur puissance, ayant pour objet l'Église, est un excès de pouvoir et non une loi qui oblige à l'obéissance, s'il déroge à l'œuvre de Jésus-Christ.

 

Au point de vue des principes généraux, on ne comprend donc pas un pouvoir civil édictant des articles organiques de l'Église. L'Église a tous les organes en dehors de son initiative et au dessus de sa sphère d'action; si le pouvoir s'ingère à des œuvres de cette nature, ce n'est pas un pouvoir créateur, c'est un enfant qui s'amuse à souffler sur la poussière pour s'aveugler lui-même.

 

Au point de vue du droit positif, on ne comprend pas mieux l'acte du premier consul. C'est au lendemain du jour où il a signé le Con­cordat, c'est-à-dire reconnu que, pour la publicité du culte, son droit de règlement se borne à la police des rues; c'est quand il a cédé cette restriction longtemps disputée, quand il a accepté cette inter­prétation convenue d'un traité solennel, qu'il prend la plume de Léonce et des Copronyme, pour tisser à l'Église un vêtement de servitude. On ne peut pas se mettre en contradiction plus flagrante avec soi-même et plus maladroitement découvrir la nullité de son acte. Que le César des organiques ait joué habilement de ruse pour tromper les assemblées française, et presser sur le Saint-Siège, on ne peut en disconvenir. Mais ces démarches tortueuses ne montrent que plus explicitement le sentiment qu'il avait de sa conduite. En tout cas, ce n'est pas par des ruses, des violences et des contra­dictions qu'on fait des lois valables ; c'est ainsi qu'on les brise et qu'on se déshonore.

 

On ne peut pas le contester, le pouvoir civil, en France, avait, après le Concordat, le droit d'édicter des règlements de police pour son application ; mais il est certain aussi qu'il ne pouvait exercer

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ce pouvoir que dans la limite tracée par le Concordat même et expressément spécifiée par les négociateurs. Que si le pouvoir civil voulait dépasser cette limite et étendre plus loin ces mesures d'application, il devait s'en concerter avec le Pape, pour savoir si ces dispositions cadraient avec le droit de l'Église et pouvaient obtenir la ratification de son cbef. Seul et faisant ce qu'il a fait, le premier Consul n'est, par les organiques, qu'un imposteur faisant acte de tyrannie et posant la pierre d'attente de la persécution.

 

14. Les articles organiques sont nuls, de nulle valeur, de nul effet parce qu'ils ne cadrent pas avec les lois de l'Église et ne peuvent, dans la plupart des dispositions qu'ils édictent, s'accorder avec le libre fonctionnement des services ecclésiastiques. Pour prouver cette seconde cause de nullité nous n'avons qu'à abréger rapidement les très justes observations faites par le cardinal-légat, lorsque, à sa grande stupéfaction, il vit les articles organiques s'adjoindre audacieusement aux stipulations diplomatiques du Con­cordat.

 

D'après les articles 1 et 3, les Bulles, Brefs, Rescrits, les décrets même des conciles généraux ne peuvent être reçus en France sans l'autorisation du gouvernement, et qu'après avoir été examinés et enregistrés. C'est cet examen que les jurisconsultes appellent droit d'annexé, droit essentiel du gouvernement, disent-ils. C'est même, suivant Pithou et Dupin, une liberté de l'Église gallicane et un titre de gloire du clergé. Ainsi tous les matins, le plus frivole auteur peut lancer ses articles au public, il peut les faire parvenir, par la voie du journal, jusqu'aux lieux les plus reculés ; et le vicaire de Jésus-Christ ne peut, sans la permission du pouvoir temporel, écrire à ses frères pour condamner l'erreur, enseigner la soumission aux puissances, expliquer les doctrines pures de la religion. Nous avons cependant, comme les catholiques des autres parties du monde, le droit et le besoin d'entretenir parmi nous les bons sentiments, par une libre et sainte correspondance, qui répande sur les enfants l'esprit et la doctrine du père commun et qui conserve les rapports de l'unité et le bon ordre de la discipline.

 

 Ce droit d'examiner les Bulles des Papes et les canons des conci-

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les généraux ne peut être essentiel à la puissance civile. Autrement il faudrait dire que les princes païens ou hérétiques ont eu le droit de s'opposer à la prédication de l'Évangile. Et si, sous un prétexte politique, on peut arrêter les lettres doctrinales du souverain pon­tife et les décrets des conciles, une puissance qui favorisera l'erreur et secondera les ennemis de l'Église, dira aussi, au mépris des grands intérêts de la religion, que la politique l'oblige à interdire la publication des lettres apostoliques. Le grand S. Athanase ne reconnaissait pas ce droit essentiel du souverain, lui qui deman­dait depuis quand l'Empereur donnait quelque autorité à un décret de l'Église : Quandonam Ecclesiœ decretum ab Imperatore accepit auctoritatem ? (1) Les juriconsultes défenseurs de ce droit essentiel des couronnes admettraient volontiers que la permission des empe­reurs romains était nécessaire pour la prédication de l'Evangile et la promulgation des règles de la discipline que les Apôtres prescri­virent aux Églises naissantes.

 

  Non: un semblable droit, dont une puissance ennemie de l'Église pourrait se servir pour détruire la religion, ne peut être le droit essentiel de l'autorité civile. Si le gouvernement veut qu'une Bulle du Pape devienne une loi de l'Etat, il peut s'il le veut, avant de lui donner force de loi, l'examiner. Mais cette formalité de l'autorisa­tion gouvernementale n'est qu'extérieure et accidentelle ; elle ne tombe point sur la substance de l'acte; elle ne peut avoir pour effet de laisser parler Pierre et de lui imposer silence, attendu que le gou­vernement n'a nulle juridiction au spirituel et qu'il ne peut, en matière religieuse, commander aux consciences.

 

   Mais, demande le cardinal Gousset, les décrets des Papes et des conciles généraux sont-ils obligatoires dans l'ordre spirituel, indé­pendamment de l'autorisation du conseil d'État? En chargeant S. Pierre, prince des Apôtres, de gouverner l'Eglise, Jésus-Christ, a-t-il soumis les actes de son gouvernement au bon plaisir de la Synagogue ou des magistrats romains, au placet des consuls, des rois, ou des présidents de république? N'a-t-il pas, au contraire, annoncé à ses disciples qu'ils seraient traduits devant les tribu-

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(1) S. Athanase, Hist. arianorum ad monach., n° 52.

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naux, pour lui rendre témoignage en présence des rois? Quoi ! Le souverain pontife est le père et le docteur de tous les chrétiens ; il est le chef de l'Église universelle, il a reçu du Sauveur du monde l'ordre de paître les agneaux et les brebis, de confirmer ses frères dans la foi; et il ne pourrait faire entendre sa voix à tous les chré­tiens ! Et il lui serait défendu de communiquer avec les catholi­ques ! Et ses décrets n'auraient d'effet sur les consciences qu'avec le permis des gouvernements ! Si, sous le vain prétexte que les décrets et rescrits du Saint-Siège peuvent n'être pas d'accord avec les maximes et les droits du pays, le gouvernement a droit de blâ­mer ou de punir un évêque pour avoir correspondu avec le Pape, ou pour avoir fait part à ses ouailles des grâces spirituelles qu'il a obtenues du vicaire de Jésus-Christ, ou pour avoir publié les enseignements de l'Église mère et maîtresse de toutes les Églises, sans y avoir été autorisé par le conseil d'État, on ne pourra donc plus être catholique ou du moins remplir ses devoirs comme catholi­que qu'avec la permission du gouvernement? Ce ne sera donc plus l'a­pôtre S. Pierre, mais César qui aura été établi chef suprême de l'É­glise ; et à la différence des apôtres qui se croyaient obligés d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, nous serions obligés d'obéir aux hommes plutôt qu'à Dieu, ou, ce qui revient au même, dispensés d'obéir à Dieu toutes les fois que le conseil d'État jugera que Dieu, par l'organe de son Église, ne se montre par assez gallican ou trou­ble arbitrairement la conscience des citoyens. Évidemment, les articles organiques qui tendent à faire dépendre les décrets de l'Église de l'autorisation du gouvernement, seraient impies s'ils n'étaient absurdes. Aucune puissance humaine n'a le droit d'inter­cepter, entre le chef et les membres de l'Église, la correspondance nécessaire pour enseigner, pour juger, pour réformer, pour com­mander, puisque cette correspondance est de droit divin et qu'elle entre nécessairement dans la constitution de l'Église (1).

 

Au reste, ce n'est que depuis Louis XI, par l'édit de 1484, que les écrits émanés du Saint-Siège sont soumis à l'examen du gou­vernement. L'Église aurait autant le droit de soumettre au sien les

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(1) Gousset, Théologie dogmatique, 1.1, p. 715.

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pièces diplomatiques, les traités entre les puissances temporelles. Et certes, si les traités eussent été soumis à son approbation, elle n'aurait jamais souffert que les droits des peuples fussent méconnus et foulés aux pieds, jusqu'à diviser des provinces catholiques, pour en jeter arbitrairement, et sans les connaître, des lambeaux à des puissances ennemies de leur foi et persécutrices de leurs croyances. L'Église aurait tenu un peu plus de compte de leur religion, de leurs sympathies et de l'héroïsme de leurs sentiments, et elle eût fait, par là, une meilleure politique. Quand François Ier, plus occupé de ses débauches que de la conservation de la foi, a dit que ce droit d'examen des Bulles concernait grandement l'autorité, puissance et prééminence du roi, il a prononcé une de ces paroles qui ne le relèveront pas de tant de mauvaises actions. Joseph II, l'empereur sacristain, avait, dans sa déclaration de 1782, affran­chi de tout examen les Bulles dogmatiques. L'examen, en effet, est ici irrévérencieux et sans titre, et s'il arrête la Bulle, il attente directement à l'autorité du Siège apostolique.

 

Au sujet des entraves que l'art. 1er met à la correspondance des évêques, il faut observer avec Fleury : « Que la nécessité de l'union et de la subordination devrait obliger les évêques de tous les pays à avoir une correspondance continuelle, comme elle était dans les premiers siècles, même pendant la persécution . » Fleury ne croyait pas non plus que ce commerce fût dangereux à l'Etat (1). On nous assure toujours que les libertés gallicanes ne sont que le retour à l'antiquité chrétienne. Eh bien, dans l'antiquité chrétienne, on lais­sait les évêques correspondre librement entre eux et avec le sou­verain pontife.

 

Enfin cet article blesse la délicatesse et le secret constamment observés dans les affaires de la pénitencerie. Tout particulier peut s'y présenter sans crainte de voir ses faiblesses dévoilées. Cepen­dant, cet article qui n'excepte rien, veut que les brefs, même per­sonnels, émanés de la pénitencerie, soient vérifiés. Il faudra donc que les secrets des familles et la suite malheureuse des faiblesses

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(1) Fleury, Discours sur les libertés de l'Église gallicane, p. 26, des Nouveaux opuscules.

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humaines soient mises au grand jour, pour obtenir la permis­sion d'user de ces brefs ? Quelles gênes ! quelles entraves ! Le par­lement lui-même ne les admettait pas, car il exemptait de la vérification «les provisions, les brefs de la pénitencerie, et autres expéditions concernant les affaires des particuliers.»

 

L'article 2, contre les légats, complète l'article 1er L'un frappe la liberté de l'enseignement dogmatique dans sa source, l'autre dans ses agents ; le premier, met des entraves à la publication de la vérité, le second à l'apostolat de ceux qui sont chargés de l'annon­cer. Cependant Jésus-Christ a voulu que sa divine parole fût cons­tamment libre, qu'on pût la prêcher sur les toits, dans toutes les nations et auprès de tous les gouvernements. Comment allier ce dogme catholique avec l'indispensable formalité d'une véri­fication de pouvoirs et la permission civile de les exercer. Les apôtres et les premiers pasteurs de l'Église naissante eussent-ils pu prêcher l'Évangile si les gouvernements eussent exercé sur eux un pareil droit ?

 

Cet article, pris dans toute son extension, serait donc attentatoire à la mission de l'Église ; il tombe par son excès même. Considéré comme ambassadeur politique, un légat peut très bien n'avoir pas d'autre juridiction en France que les facultés spécifiées dans les bulles de son pouvoir. Sous ce rapport, les exigences ombrageuses du gallicanisme obtiennent, de la condescendance du Saint-Siège, tout ce qu'il est possible d'obtenir, surtout dans les temps où l'on voit engagés ici la conscience des peuples et la paix. A part ces concessions, nul homme de bonne foi n'oserait poser une limite à la juridiction spirituelle que le Pape aurait conférée à un représen­tant de son autorité suprême. Il s'ensuit donc, d'une part, que le gouvernement peut ne point accueillir un légat dont il n'obtiendrait ni serment ni promesses ; mais d'autre part, le Pape, qui ne peut rien perdre de sa juridiction, exercerait par une légation apostoli­que ce qu'il ne pourrait espérer d'une légation diplomatique. La France serait considérée comme les royaumes infidèles ; c'est là tout ce que gagneraient les gallicans du royaume très chrétien.

 

Il est donc bien certain que si les exigences du gallicanisme sont

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subies par la Chaire apostolique, c'est sans préjudice pour les droits inadmissibles du Pape. II n'y a ni liberté ni licence tolérable à l'enontre de ce principe ; et l'état de suspicion dans lequel on veut constituer gratuitement les représentants du Saint-Siège, est un abus manifeste dont les gouvernements, soi-disant chrétiens, assurent devant Dieu toute la responsabilité.

 

L'article 3 étend, aux canons des conciles généraux, l'ordre l'examen avant réception. La discussion de cet article, quant au droit, est la même que pour l'article Ier. Quant au fait, il présente deux faces : ou il s'applique à l'avenir, et il n'a guère été encore applicable, ou il s'applique au passé, pour exclure en effet certains canons ou certains conciles ou certaines décrétales.

 

Les conciles n'ont obtenu, nulle part plus qu'en France, le respect et la vénération ; comment se fait-il donc qu'aujourd'hui, au sein de cette nation, ils éprouvent tant d'obstacles, et qu'une formalité civile donne le droit d'en éluder, d'en rejeter même la lécision ?

 

Un catholique pourra donc s'appuyer sur un défaut d'examen ou de réception pour refuser à l'Église son obéissance ? Ce catholique indépendant sera-t-il encore catholique ?

 

On veut, dit-on, examiner les conciles. Mais la voie d'examen en matière religieuse est proscrite dans le sein de l'Église catholiqae : il n'y a que les communions protestantes qui l'admettent et de là est venue cette étonnante variété qui règne dans leurs croyances.

 

Quel serait d'ailleurs le but de ces examens ? Celui de reconnaître si les canons des conciles sont conformes aux lois fran­cises ? Mais si plusieurs de ces lois sont en opposition avec le dogme catholique, il faudra donc rejeter les canons, et préférer ces lois, quelque injuste ou erroné qu'en soit l'objet? Qui pourra adopter une pareille conclusion ? Ne serait-ce pas sacrifier la reli­gion, ouvrage de Dieu même, aux ouvrages toujours imparfaits et souvent injustes des hommes ?

 

Je sais que notre obéissance doit être raisonnable, mais n'obéir qu'avec des motifs suffisants n'est pas avoir le droit non seulement

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d'examiner, mais de rejeter arbitrairement tout ce qui nous déplaît.

 

Dieu n'a promis son infaillibilité qu'à son Église : les sociétés humaines peuvent se tromper ; les plus sages législateurs en ont été la preuve. Pourquoi donc comparer les décisions d'une « auto­rité irréfragable » avec celle d'une puissance qui peut errer, et faire, dans cette comparaison, pencher la balance en faveur de cette dernière? Chaque puissance a d'ailleurs les mêmes droits, ce que la France ordonne, l'Espagne et l'Empire peuvent l'exiger; et comme les lois sont partout différentes, il s'en suivra que l'ensei­gnement de l'Église devra varier suivant les peuples pour se trou­ver d'accord avec les lois.

 

Dira-t-on que le parlement français en agissait ainsi? Je le sais: mais il n'examinait, suivant sa déclaration du 24 mai 1768, que ce qui pouvait, dans la publication des canons et des bulles, altérer ou intéresser la tranquillité publique, et non leur conformité avec des lois qui pouvaient changer dès le lendemain.

 

Cet abus d'ailleurs, ne pourrait être légitimé par l'usage, et le gouvernement en sentait si bien les inconvénients qu'il disait au parlement de Paris, le 6 avril 1757, par l'organe de d'Aguessau:

 

« Il semble qu'on cherche à affaiblir le pouvoir qu'a l'Église de faire des décrets, en le faisant tellement dépendre de la puissance civile et de son concours que, sans ce concours, les plus saints décrets de l'Église ne puissent obliger les sujets du roi. »

 

Enfin, ces maximes n'avaient lieu dans les parlements, suivant la déclaration de 1766, que pour rendre les décrets de l'Église lois de l'État, et en ordonner l'exécution, avec défense, sous les pei­nes temporelles, d'y contrevenir. Or, ces motifs ne sont plus ceux qui dirigent aujourd'hui le gouvernement, puisque la religion n'est plus la religion de l'État, mais uniquement celle de la majorité des Français.

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