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53. Cependant les Congrégations générales et les commissions constitution du Concile poursuivaient leurs pacifiques travaux. Après la cérémonie d'obédience du six janvier, on avait espéré qu'une troisième session pourrait se célébrer aux fêtes de la Purification, de saint Joseph et au plus tard de l'Annonciation. Le soin scrupuleux avec lequel les Pères traitaient chaque question n'avait pas permis d'avancer assez prompteinent les travaux. A l'arrivée de chaque fête, il fallait de nouveaux délais. Déjà les ennemis de l'Église, attribuant ce retard aux divisions, triomphaient de ce qu'ils appelaient l'impuissance du Concile. Le dimanche de Quasimodo 24 avril, vint démentir les espérances de leur impiété.
Ce jour-là, vers neuf heures du matin, les Pères et les officiers du Concile se rendaient à leur place. Le Pape, assisté de plusieurs cardinaux, vint à son tour. Lorsque le Pontife fut assis sur son trône, Mgr Fessler, évêque de Saint-Hippolyte, alla placer sur le petit trône préparé sur l'autel le livre des saints Évangiles. Alors commencèrent les supplications, après lesquelles le Saint-Père récita les oraisons prescrites, les chapelains-chantres chantant l'antienne voulue. Suivirent les litanies, et Sa Sainteté, arrivée aux invocations pour que le Tout-Puissant daignât bénir, diriger et conserver le Synode et la hiérarchie ecclésiastique, se leva et répéta ses invocations en faisant six fois avec la main droite le signe de la croix sur la vénérable
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assemblée. Après les prières liturgiques fut lue et approuvée, à l'unanimité des suffrages, la Constitution Dei filius. Après lecture, Pie IX ajouta ces quelques paroles:
« Vous voyez, révérendissimes Pères, combien il est bon, combien il est doux de marcher avec unanimité dans la maison du Seigneur. Marchez toujours ainsi, et puisque en ce jour Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné sa paix à ses apôtres, moi aussi, son Vicaire indigne, je vous donne la paix en son nom. La paix, vous le savez, bannit la crainte; la paix, vous le savez, ferme les oreilles aux paroles insensées. Oh! que cette paix vous accompagne donc tous les jours de votre vie. Que cette paix soit votre consolation, que cette paix soit votre force dans la mort, que cette paix soit votre joie éternelle dans le ciel! »
Et tous les Pères répondirent : Amen!
Quelle cérémonie! quel spectacle! quelle différence entre ces assemblées de l'Église où tout se fait en priant sous l'œil de Dieu, où tous les cœurs sont unis, avec ces assemblées tumultueuses de la politique, où chaque parti ne songe qu'à renverser l'autre, où l'on ne cherche si souvent que son propre intérêt sous les apparences de l'amour du bien public, et où l'on vote des lois, des constitutions qui ne durent que quelques jours! Ici, voilà six cent soixante-sept vieillards qui s'agenouillent devant le Saint-Sacrement, qui prient, qui chantent les louanges de Dieu, et qui, appelés à donner leur avis sur les propositions qui ont été soumises à leur examen et qu'ils ont étudiées pendant des mois entiers, se trouvent tous d'accord pour affirmer que ces propositions sont l'expression de la vérité, qu'ils les croient vraies, qu'ils sont prêts à donner leur vie pour en attester la vérité. Et le Vicaire de Jésus-Christ, le représentant de Dieu sur la terre, celui à qui il a été dit que sa foi ne défaillirait pas, à qui il a été ordonné de confirmer ses frères, le Pape prend la parole; en vertu de son autorité apostolique, il définit la vérité, il confirme les canons et les décrets du Concile, ad perpetuam memoriam, et cette constitution, qui ne s'appuiera sur aucune force matérielle, cette constitution sera valide jusqu'à la fin du
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monde; rien ne pourra prévaloir contre elle, ni le glaive des tyrans, ni les subtilités des sophistes, ni les passions, ni les supplices, ni la mort.
54. La constitution Dei fliius procédait à la condamnation des erreurs philosophiques modernes, sous les points de vue qui touchent à la foi et à la doctrine révélée. Saint Paul de la Croix, dit-on, avait vu en esprit un siècle misérable, ayant besoin de s'entendre rappeler les vérités premières, non seulement de la foi chrétienne, mais de l'ordre naturel. On l'avait entendu prononcer cette phrase prophétique : «Le manque de foi dans le monde sera tel, qu'un Concile devenu nécessaire, devra commencer par l'article de l'existence de Dieu. Le Concile découvre la pente qui mène à cet abîme; il montre que les protestants, avec leur libre examen, ont posé le principe du rationalisme, et que ce rationalisme, après avoir nié le Christ et Dieu même, s'est jeté dans l'abîme du panthéisme, du matérialisme, de l'athéisme, à ce point que, « niant la nature rationnelle elle-même, et toute règle du droit et du juste, ils s'efforcent de détruire les fondements de la société humaine. » A ces négations homicides, le concile oppose quatre chapitres : 1° De Dieu créateur de toutes choses; 2° De la révélation ; 3°De la foi; 4. De la foi et de la raison. A ces quatre chapitres sont annexés dix-huit canons qui en résument toute la doctrine, dans cette langue claire, précise et décisive qui jette, sur les questions les plus difficiles, les lumières d'une irréfragable solution.
Dans le premier chapitre, le Concile traite de Dieu créateur. S'il n'y a pas d'athées convaincus, il y a, du, moins, des athées qui disent que l'ordre physique actuel a toujours existé ou que la matière a existé d'abord sous forme d'atomes qui se sont rapprochés par la suite des âges. Après avoir frappé cet athéisme, le Concile vient au matérialisme qui ne fait pas l'âme humaine distincte du corps, qui la dit périssable et nie la vie future; et par là sont atteints Jouffroy, Cabanis, Broussais et une partie de l'école médicale de Paris. L'athéisme a pris une nouvelle forme, le panthéisme des Spinoza, Kant, Fichte, Schelling,
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Hegel, Saint Simon, qui confondent l'infini avec le fini et détruisent par la base, la distinction du bien et du mal. On écarte ces monstres d'erreurs. On frappe aussi Cousin et les éclectiques pour autant qu'ils nient la création ex nihilo.
Le second chapitre traite de la révélation. On entend ici par révélation, la manifestation extérieure et surnaturelle faite par Dieu des vérités religieuses, c'est-à-dire de lui-même et des moyens pour l'homme d'arriver à la béatitude. L'Église nous enseigne que nous avons deux sources de connaissances: 1° la raison pour les choses qui sont de sa compétence; 2° la révélation par laquelle Dieu nous fait entrer dans la connaissance des choses infiniment supérieures à la raison. La révélation ne serait pas absolument nécessaire, si Dieu ne nous eût élevés à l'ordre surnaturel; mais dans la condition que nous a faite sa bonté, une manifestation surnaturelle de Dieu était indispensable. Par là, le Concile frappe, d'un côté, le fidéisme de Bautain et le sens commun de Lamennais, qui niaient la raison; de l'autre, Jouffroy, Daniron et tout ce troupeau de rationalistes qui nient la révélation surnaturelle.
Le troisième chapitre traite de la foi. C'est par la foi que Dieu élève notre âme à l'état surnaturel et nous fait entrer dans la notion des choses qu'il nous fait connaître par la révélation. Cette foi est commandée à la raison et par là sont écartées les théories d'Hermès. Mais la foi n'est pas tellement l'effet de la grâce que la libre coopération de l'homme n'y ait part, en s'appuyant sur les motifs de crédibilité, savoir, les prophéties, les miracles et l'autorité de l'Église. Par là sont condamnés les protestants qui ne donnent, pour motif de croire, que l'inspiration de l'Esprit-Saint ; les semi-rationalistes qui n'acceptent, pour motif d'adhésion, que le sentiment religieux et les critiques impies qui nient avec audace les miracles et les prophéties. La foi est donc libre, mais pas au point que, devant l'Église, le fidèle ait la liberté du doute.
Qu'il nous soit permis d'appeler en passant l'attention sur ce passage si remarquable du quatrième chapitre : «Quoique la
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« foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de véritable désaccord entre la foi et la raison (nulla unquam inter fidem et rationem vera dissensio esse potest); car c'est le même « Dieu qui révèle les mystères et communique la foi, qui a répandu dans l'esprit humain la lumière de la raison, et Dieu ne peut se nier lui-même ni le vrai contredire jamais le vrai. » Que l'incrédulité, que l'impiété viennent donc dire, après cela, que l'Eglise cherche à étouffer la raison, qu'elle est l'ennemie de la science, et que le catholique est condamné par sa foi à ne pouvoir jamais connaître les plus intimes secrets de la nature, ni même chercher à les connaître.
La loi catholique ne craint pas la vraie science. Dieu est l'auteur de notre foi comme il est l'auteur de la nature : rien de ce que nous pouvons lire dans le livre de la nature ne contredira jamais ce que nous apprenons par la révélation, pourvu que nous lisions bien. Or quel avantage pour la science même profane d'avoir dans l'Église un guide infaillible qui nous dit : Voilà ce qui est certainement vrai ; tout ce que vous trouverez qui s'accordera avec cette vérité, vous pouvez le considérer comme également vrai; tout ce qui n'y contredira pas, vous pouvez le considérer comme probable; mais si vous croyez découvrir une vérité contraire à ce que je vous dis être la vérité, prenez garde, vous êtes dans l'erreur; cherchez mieux, suspendez votre jugement, et, je vous l'assure, ou vous trouverez enfin, en sachant mieux, la conciliation entre votre science et la religion, ou vous reconnaîtrez que vous devez renoncer à ce que vous croyiez être la vérité et qui n'était qu'une erreur.
L'expérience vient confirmer la parole de l'Eglise : quels sont les peuples chez lesquels les sciences naturelles et philosophiques ont fait le plus de progrès, si ce n'est chez les chrétiens? quels sont les grands inventeurs qui ont le plus honoré l'humanité, si ce n'est des hommes qui respectaient profondément les grandes vérités religieuses? Et dans quelles absurdités, dans quelles erreurs, au contraire, ne sont pas tombés les savants qui ne cherchaient dans la science, dans la philosophie, dans la géo-
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logie, dans l'archéologie, que des armes qu'ils pussent tourner contre la vraie religion (1)?