Anglicans et ordinations 6

Darras tome 35 p. 220

 

 

   Tous ces témoignages sont incontestables. Le grand défenseur des ordinations, Le Courayer, le reconnaît lui-même. « Je sais, dit-il, que Stapleton, Harding et d'autres écrivains catholiques, contemporains de Parker, ont affirmé à la face des nouveaux évêques qu'ils n'étaient pas de véritables évêques, que leur sacre était une chimère, et qu'ils ne pouvaient prouver leur ordination, l'ayant reçue d'un homme dont l'ordination était également insoutenable. » page 255. — Nous ajouterons même que Mason reconnaît ces té­moignages accusateurs, comme en fait preuve le titre de son ouvrage, dans lequel il promet de disculper les évêques d'Angleterre « des calomnies et des imputations odieuses de Bellarmin, Sanders, Bristow, Harding, Allen, Stapleton, Parsons, Kellison, Endémon, Bé-canus et autres papistes ».

 

De tout ce qui précède, il est permis de conclure : 1° Que le rite de la consécration épiscopale a été estimé de peu d'importance par les premiers réformateurs d'Angleterre ; 2" Que les ordinations an­glicanes ont été fréquemment niées ou mises en question sous le règne d'Elisabeth ; 3° Que ce démenti ne reposait pas sur un défaut légal et canonique qui rendait simplement ces ordinations irrégu­lières et illicites ; mais sur ce fait que les premiers évêques de cette Eglise avaient été placés sur leurs sièges respectifs, uniquement par l'autorité royale et sans ordination.

 

   113 bis. Nous venons maintenant à la question du sacre de Par­ker que les uns disent avoir eu lieu à Nag's-Head, d'autres, dans la chapelle de l'archevêque de Cantorbéry, à Lambeth.

 

   Ce fut le 18 juillet 1559 qu'une ordonnance autorisa l'élection de Mathieu Parker : elle eut lieu le 1er août. Le 9 septembre, la reine Elisabeth confirma l'élection et autorisa la consécration du nouvel élu. La commission royale était adressée à Cuthbert, évêque de Durham ; à Gilbert,  évêque de Bath ; à David, évêque de Peter-

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borough ; à Antoine, évêque de Landaff; à Guillaume Barlow, évêque et à Jean Scory, évêque : ces deux derniers sans désignation de siège. Les quatre évêques titulaires refusèrent l'ordination ; trois furent déposés. A leur défaut, Barlow aurait sacré Parker le 27 décembre 1559 ; mais dès le 29 octobre, nous trouverons une com­mission authentique de la reine, adressée, ipsam per reginam Re-verenissimo in Christo Patri, Matseo, Cantuariensi episcopo, com­mission dont la suscription et l'objet prouvent dès lors que Parker était un évêque en titre (1).

 

Voici maintenant, d'après plusieurs auteurs, comment la chose se serait passée. Le docteur Champney, dans son livre de la voca­tion des évêques (1616), donne le récit en ces termes : « C'est à l'enseigne de Nag's-Head que se rencontrèrent, ainsi qu'il avait été convenu, tous les personnages nommés aux évêchés. Le vieil évê­que de Landaff y vint aussi pour les sacrer ; mais le docteur Bon­net, évêque de Londres et alors prisonnier, ayant été averti de ce projet, lui envoya défendre, sous peine d'excommunication, d'exer­cer dans son diocèse aucun pouvoir de cette nature et de donner l'ordination. Ce message effraya le vieil évêque, qui, d'ailleurs tourmenté par sa conscience, refusa de procéder à cet acte, allé­guant principalement pour motif de son refus la faiblesse de sa vue ; mais cette excuse ne fut regardée que comme un subterfuge qui irrita beaucoup contre le pauvre vieillard. Jusque-là, les futurs évêques avaient eu pour lui toutes sortes de prévenances ; mais ils changèrent, dès lors, de conduite. On l'injurie, on lui donne le nom de vieillard redevenu enfant et d'autres qualifications semblables. Quelques-uns s'écrient. « Ce vieu fou pense-t-il donc que nous ne pouvons pas être évêques à moins que nous ne recevions l'onction? » Autant pour se moquer de lui que du rite admis dans l'Église catho­lique pour la consécration épiscopale. Trompés néanmoins dans leur attente et n'ayant point d'autre moyen d'arriver à l'accomplis­sement de leur désir, ils se déterminèrent à user du concours de Scory, lequel, ayant emprunté le nom d'évêque sous Edouard VI, était regardé comme ayant un pouvoir suffisant pour remplir cet

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(1) Ces actes se trouvent dans les Paela et Conventa.

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office surtout dans une si pressante nécessité. Lui, qui avait jeté bas, avec son habit religieux, tout scrupule de conscience, eut bientôt terminé cette cérémonie qu'il accomplît en cette manière : Pendant qu'il tenait la Bible dans la main, tous se mirent à genoux devant lui, puis il plaça le livre sur la tête ou sur les épaules de chacun d'eux en disant : « Reçois l'autorité pour prêcher sincère­ment la parole de Dieu » et ainsi ils se relevèrent évêques. Tout ce récit auquel pas un mot important n'a été ni ajouté ni retranché, je l'ai entendu plus d'une fois de la bouche de Thomas Bluett, prêtre grave, instruit et judicieux, qui l'avait reçu de Néal, ancien pro­fesseur d'hébreu à l'université d'Oxford. A l'époque où le fait arri­va, Néal était attaché à l'évêque Bonnet, qui l'envoya porter à l'évêque de Landaff le message mentionné plus haut avec ordre d'atten­dre sur place pour voir comment se terminerait cette affaire, Bluett avait d'ailleurs d'autres moyens excellents pour être informé de l'événement, ayant été longtemps prisonnier avec le docteur Wastson, évêque de Lincoln, et d'autres personnages de distinction de l'ancien clergé, eux-mêmes témoins contemporains et oculaires pour ainsi dire de ses choses. Voilà ce qui m'a été raconté par Bluett au château de Wisbeach. Cette dernière circonstance dans l'édition de Paris (1618), est mentionnée en ces termes : « Il y a maintenant autant de témoins de ce récit qu'il y a de prêtres en­core vivants qui ont été prisonniers pour la foi audit château de Wisbeach avec ledit Bluett, et c'est là aussi que moi-même, doc­teur Champney, je l'ai reçu de lui. » (page 499.)

 

Le jésuite Holliwood, qui a écrit sous le pseudonyme de Sacrobosco, l'entendit pareillement de Bluett et le publia en 1663 dans la préface d'un livre intitulé : Discussion. « Que Jewell, dit-il, soit évêque, nous n'en avons pas une si grande certitude, même nous n'en avons aucune. Car qui, je vous prie, l'a fait évêque ? Qui lui a donné sa juridiction? Qui lui a imposé les mains ? Quels ordres avaient-ils ? Quels évêques étaient-ils ? Il est vrai que lui, Sandys, Scory, Horn, Grindall et autres, au commencement du règne d'Elisabeth, se réunirent à l'enseigne de Nag's-Head dans Cheap-side (enseigne bien convenable pour un semblable sacrement), et

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qu'étant frustrés dans leur espérance par l'évêque catholique de Landaff, qui était venu là pour les sacrer, ils s'entendirent avec Scory de Hertford pour faire la cérémonie. Celui-ci, lorsque tous étaient à genoux, fit que Jean Jewel se releva évêque de Salisbury, que celui qui était auparavant Robert Horn se releva évêque de Winchester et ainsi des autres. » Mason a inséré ce récit dans sa Défense des ordinations anglicanes. La seule réponse qu'il essaie de donner est celle-ci : « Nul homme de bon sens ne pourra se per­suader que ces personnages fussent convenus de se réunir dans une taverne pour y être sacrés et encourir ainsi la pénalité de la loi, puisqu'ils avaient déjà un archevêque tel qu'ils le désiraient, pro­fessant leur religion et jouissant paisiblement de son église et de son siège. » Mais où est la loi qui défende de faire un sacre dans une taverne ou ailleurs, en dehors d'une Eglise? Et, de plus, com­ment avancer que Parker était déjà archevêque, puisque son sacre est placé avec ceux qui eurent lieu, dit-on, dans l'occasion pré­sente ?

 

« Il y a un siècle que l'histoire de Nag's-Head est arrivée, dit l'auteur de l'ouvrage intitulé : Nullité du clergé épiscopal d'Angle­terre. Elle a été constamment rapportée et crue par des hommes sages, toujours comme une vérité certaine depuis 1539, l'année même où elle se passa, jusqu'au jour où nos adversaires imagi­nèrent que les nouveaux registres pouvaient être opposés à notre ancienne tradition et faire que l'histoire de Nag's-Head, dont per­sonne n'avait douté dans l'espace de cinquante-deux ans parût improbable en 1613. »

 

Le fait suivant montre jusqu'à l'évidence que Harding, Fitzsimmons et beaucoup d'autres croyaient et déclaraient hautement leur croyance à ce récit. « L'an 1616, l'évêque Godwin publia son livre De prœsulibus Angliœ commentarius. Dans cet ouvrage, p. 219, il fait mention, en passant, du sacre de Parker au 17 décembre 1559, précisément comme Mason en 1613, établit que la chose est arri­vée. Après quoi l'auteur dit : « Si vous cherchez en quel lieu se fit cette consécration, il n'est autre que le lieu ordinaire, savoir, la chapelle du palais archiépiscopal de Lambeth, quoique puissent

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dire autrement des fripons comme Harding, Fitzsimmons et autres... Quel homme de bon sens pourrait ajouter foi à une ca­lomnie aussi absurde et aussi improbable ? »

 

En 1604, Holliwood publia une réponse de l'évêque Bancroft à Guillaume Alabaster, qui lui demandait « comment Parker et ses collègues avaient été sacrés évêques ». — Bancroft y disait : « Je pense que, dans un cas de nécessité, un prêtre peut ordonner des évêques. » — « L'allusion, ajoute Sacrobosco, se rapportait évi­demment à Scory, le consécrateur de Nag's-Head. Le livre de Sacrobosco fut publié pendant la vie de Bancroft, qui jamais ne prononça un mot pour démentir ou désavouer cette parole (1). »


Quoique l'argument tiré du silence d'un historien sur des faits contemporains ne soit pas concluant, il est des circonstances qui lui donnent le poids d'un témoignage positif. Jean Stowe, l'auteur des Chroniques, non seulement vivait du temps de Parker et com­posait ses Annales, le récit des événements arrivés de son temps ; mais encore il fut favorisé d'une manière toute particulière par Parker, qui aimait l'étude des antiquités. Or, Stowe signale le sacre et l'intronisation du cardinal Poole, prédécesseur immédiat de Parker, le jour où il reçut le pallium et celui où il récita sa première messe. Mais du sacre de Parker et des autres évêques, pas un mot, bien qu'il mentionne la déposition des évêques catho­liques faite au mois de juillet précédent. Stowe était protestant : il n'aurait pas assurément gardé le silence à son préjudice. Le sacre de Parker était un événement tout à fait digne de remarque. Tout le monde reconnaît qu'il a rencontré de grandes difficultés. On suppose que deux commissions ont été formées. Six avocats ont été appelés à se prononcer sur la légalité de la seconde, et un évêque, nommé dans l'une et l'autre communion, a chaque fois refusé d'agir. Parker, d'ailleurs, était l'anneau nécessaire pour relier l'ancienne hiérarchie à la nouvelle en ce qui concerne les ordres, si sa prétendue consécration est admise. Quel fait donc plus important à placer dans un recueil authentique ? Parker, le patron de Stowe ; qu'est-ce donc qui a porté ce dernier à ne faire nulle

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(1) Nature de la foi catholique et de l'hérésie, ch. II, p. 8. Rouen, 1057.

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mention d'un événement que ce patron est supposé avoir eu tant à cœur? Le sacre de Parker, déjà important en lui-même, était encore très digne de remarque pour sa forme, car Mason lui-même confesse que, des soixante-neuf archevêques qui l'ont précédé sur le siège de Cantorbéry, aucun avant lui ne fut sacré de cette ma­nière. En un mot, si Parker a été sacré à Lambeth, dans les cir­constances et en la forme indiquée, le silence de Stowe dans ses Annales est tout au moins extraordinaire ; tandis que s'il n'a jamais été sacré ou s'il l'a été à la taverne de Nag's-Head, de la manière et dans le lieu certifiés par les précédents témoignages, son silence est facilement compris. Il serait déraisonnable d'attendre qu'il consignât par écrit la honte de sa secte et l'éternelle infamie de son protecteur.

 

Le silence de Stowe est donc presque un équivalent à un argu­ment positif contre le sacre supposé de Lambeth. Mais on peut alléguer quelque chose de plus fort que ce silence même : c'est le témoignage positif d'hommes dignes de foi, qui prouvent que Stowe a eu connaissance du sacre carnavalesque de la taverne, qu'il l'a cru, qu'il l'a communiqué à d'autres et que la crainte seule l'a empêché de le rapporter dans sa chronique. « Non seule­ment, dit le Dr Champney, les catholiques qui peuvent paraître suspects à nos adversaires sont témoins de cette solennelle ren­contre à Nag's-Head, mais Jean Stowe lui-même, célèbre chroni­queur d'Angleterre et partisan de la religion réformée, lui rend témoignage, non pas à la vérité par ses écrits, il ne l'aurait pas osé, mais dans des paroles qu'il adressa à quelques personnes de sa connaissance et qui sont dignes de toute confiance. Plusieurs de ces personnes vivent encore et l'attestent, mais on ne peut nommer ici des hommes qui n'ont pas moins peur de rendre public ce témoignage de Stowe, que Stowe n'avait peur lui-même de l'écrire lorsqu'il était vivant. »

 

Une très remarquable controverse, qui eut lieu au Parlement anglais, mérite encore mention. L'auteur de la Nullité de l'épiscopat, le même qui rapporte la réponse de l'évêque Bancroft à Alabaster, rapporte qu'à l'occasion d'un livre présenté au Parlement
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par quelques lords presbytériens, livre qui prouvait que les évêques protestants n'avaient ni succession, ni ordination, qu'ils n'étaient donc pas évêques, et, par conséquent, n'avaient pas le droit de siéger au Parlement, le Dr Morton, évêque de Durham, parla pour se défendre, lui et tous les évêques présents. Dans son discours, il s'efforça d'établir la succession qui les reliait aux derniers évêques catholiques, lesquels, dit-il, par l'imposition des mains, ordon­nèrent les premiers évêques protestants à Nag's-Head, dans Cheap-side, comme la chose est connue de tout le monde. Cela a été rapporté par un pair alors présent à la chambre (1). »

 

Peu de temps après, le Dr Bramhall, évêque de Derry, publia son livre : la Consécration et la Succession des évêques protestants justifiées, livre dans lequel il se contente de démentir les propos attribués à Bancroft et de nier le discours du Dr Morton. A ces deux négations de Bramhall répondit, en 1669, l'auteur d'un traité imprimé à Anvers sous ce titre : Nullité de l'épiscopat et de l'Eglise d'Angleterre. Dans cet écrit, se trouve un témoignage de lord Audley, signé de sa propre main, dans lequel ce seigneur contredit directement le démenti opposé au discours du docteur Morton : lui-même, lord Audley, présent en cette circonstance, avait entendu le discours contesté. « Ce qui m'excite, dit lord Audley, à parler sur ce sujet, c'est une note que j'ai remise aux mains de l'évêque de Derry sur sa demande, et dans laquelle je dis en substance la même chose que l'auteur touchant le discours de l'évêque de Durham. Quant au livre contre l'épiscopat, qui fut le sujet de ce discours, ma note certifie seulement qu'il fut apporté à la Chambre, mais elle ne dit pas par qui ni quel était l'auteur de cet écrit. Je m'étonne beaucoup de voir l'évêque de Derry nier ce discours, car je ne puis me rappeler d'avoir jamais entendu ou lu l'histoire de la taverne Tête de cheval, avant le jour où je l'entendis au Parlement, de la bouche de l'évêque de Durham : oui, c'est de lui-même que je le déclare, comme je le déclarerai au tribunal de Dieu. »

 

A ces témoignages sur le fait de la Tête de cheval, le P. Lequien, dans la réfutation de Le Courayer, ajoute encore les témoignages

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(1) Nature of catholic failh and heresy, cli. II, p. 9. Rouen, 16Ô7.

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de Mathieu Kellison, de Henri Constable et de Thomas Brett, ce dernier, théologien et ministre de l'Eglise anglicane. Pour ne pas excéder, nous nous bornons à ces textes. Maintenant, il est hors de doute qu'on ne peut voir, sans horreur, ces misérables, revenus de l'exil, faire, dans une auberge, une comédie de sacre et prendre la tête du clergé d'une grande nation, après une pareille infamie. Cette relation cependant ne blesse pas la vraisemblance. On ne peut attendre aucun décorum, d'apostats qui, sous le règne de Marie, avaient tous été chassés de leurs sièges pour crimes de droit commun et violation formelle des lois tant ecclésiastiques que civiles. Devenus maîtres de la situation, ils se conduisaient en hom­mes pour qui l'ordre n'était pas un sacrement, qui tenaient l'épis-copat pour une institution ecclésiastique, la consécration pour une cérémonie de pure bienséance, parfaitement inutile pour leur entrée en fonctions. L'auberge où ils s'étaient réunis pour une cérémonie de pure forme n'était pas un cabaret vulgaire ; c'était un hôtel où les évêques qui venaient à Londres avaient cou­tume de loger; il y avait, dans cet hôtel, même une chapelle. Il n'est donc pas surprenant qu'ils s'y soient rassemblés pour y rece­voir une ordination qu'ils avaient intérêt à ne pas recevoir à la vue du peuple, encore trop attaché à l'ancienne religion. Du reste, le fait nous est rapporté par des prêtres et docteurs catholiques qui ont défendu la foi au prix de leur fortune et de leur liberté; qui ont souffert, pour sa défense, dans les prisons; qui savent le dan­ger de faire passer pour nulle une ordination véritable et valide. Que les protestants les méprisent, il n'y a rien d'étonnant, mais d'autres protestants et des puritains rendent le même témoignage. On peut donc croire à cette grossière et canonique ordination de Parker à l'auberge de la Tête de bidet ; ou, du moins, en présence de ce fait, on doit concevoir, sur la validité de l'ordination de Parker un doute légitime, que rien, dans l'espèce, ne peut dissiper.

 

   114. De 1559,  date de l'ordination à la Tête de cheval, à 1612,  c’est la commune croyance que l’ordination de Parker a eu lieu en Cheapside. En 1613, Mason, chapelain de Georges Abbot, succes­seur de Parker sur le siège de Cantorbéry, pour se soustraire au

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ridicule croissant d'une pareille origine, publie un ouvrage où il veut établir que Parker a été ordonné à Lambeth et où il cite en preuve le registre de Lambeth contenant l'acte même de l'ordination. La question change de face. Il ne s'agit plus d'une ordination secrète et grotesque dans une auberge de Londres; il s'agit d'une ordination publique, solennelle, en présence d'un concours de peuple et de clergé, ordination où se prononce un discours et dont le procès-verbal, mis sous nos yeux, rapporte par le menu toutes les cérémonies. L'initiative de Mason part d'une bonne âme ; il s'agit seulement de savoir si le registre de Lambeth a quelque force probante, ou, comme on dit dans l'école, s'il est authentique, intègre et véridique.

 

Pour expédier tout de suite la question de paléographie, nous disons que ce registre de Lambeth soi-disant, est tout entier de la même écriture, bien qu'il mentionne un changement de secrétaire; que les actes s'y suivent régulièrement mais ne sont revêtus d'aucune signature qui donne aux actes la moindre autorité. Ce n'est pas un original, c'est une copie dont l'original n'a jamais été vu de personne et qui a pu parfaitement ne pas exister. Tout le monde sait par expérience qu'un registre d'actes de catholicité s'écrit au fur et à mesure des actes dont il porte mention ; rédigé par la même personne, il suffit que ce ne soit pas avec la même plume et d'une même teneur pour que l'écriture change d'aspect ; en hiver, par exemple, on n'écrit pas comme en été ; et il suffit qu'une plume soit fine ou grosse, pour que vous n'ayez plus la même main. Ensuite on change en vieillissant ; les jeunes n'écrivent pas comme les vieux et entre deux âges on calligraphie d'une autre façon. Puisqu'il y a eu changement de secrétaire dans le cours du cahier, il devrait se voir un changement d'écriture, étant impossible ou à peu près que deux personnes écrivent exac­tement de la même manière. Enfin des actes d'authenticité ne valent pas par ce qu'ils disent, mais par les signatures qui les authentiquent. Autrement le premier venu pourrait dresser des actes de faits chimériques et tout changer par ses fantaisies. On peut se tenir à l'adage ;  pas de signature,  pas d'actes. Le

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registre  de  Lambeth  n'est  qu'un  chiffon   sans valeur.

 

Maintenant si, des caractères extrinsèques du manuscrit, nous passons au fond des choses, on nous apprend donc que Mathieu Parker a été sacré solennellement à Lambeth, le 17 décembre 1559, avec toutes les cérémonies prescrites dans le Rituel d'Edouard VI. « Le fait de ces ordinations, dit le P. Lequien, devait donc être, dans le temps voisin, plus connu, plus public, plus notoire, que ne l'étaient les actes qui en furent dressés et qu'on remit dans des armoires. Par exemple, le fait du sacre de M. le cardinal de Noailles, de son vivant, est plus certain, plus public, que la noto­riété de l'acte qui en a été dressé et déposé dans les archives. Or, ces ordinations ont été contestées pour le fait, dans le temps, ou peu d'années après, par des témoins catholiques qui étaient sur les lieux ou qui ne pouvaient ignorer ce qui s'étaient passé dans la promotion de ces évêques. Ils leur reprochèrent de n'avoir jamais été ordonnés ; ils les défièrent de dire quand et par qui ils avaient reçu l'imposition des mains. Il était donc notoire qu'ils n'avaient jamais été ordonnés ; autrement il faut dire que ces docteurs étaient des étourdis, des extravagants, dont la folie et l'imposture ne méritaient point de réponse, et qu'il était aisé de convaincre par autant de témoins qu'il y avait de personnes dans la ville de Londres, et même dans toute l'Angleterre ; et, par conséquent, les actes qu'on a produits après cinquante ans, pour vérifier ces ordi­nations, doivent être très suspects, puisqu'ils sont contraires à la notoriété publique du temps dans lequel on dit que ces ordinations ont été faites (1) ».

 

En second lieu, les actes de Lambeth furent taxés de fausseté par les catholiques dès qu'on commença à les produire. Sur la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième siècle, l'histoire de l'ordination carnavalesque des premiers évêques d'Elisabeth était très connue ; il y avait longtemps qu'on reprochait, aux protestants, la nullité de l'ordination de Parker et de ses compagnons. Quand Georges Abbot voulut leur fermer la bouche avec le livre de Mason, il fit venir devant lui quatre prêtres catho-

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(1) Nullité des ordinations anglicanes, t. I, p. 218, Paris, 1755.

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liques, détenus, pour la cause de la foi, dans diverses prisons de Londres ; il leur montra le manuscrit contenant les actes de la consécration de son prédécesseur Parker et des autres ; il les chargea même de rendre témoignage de tout ce qu'ils venaient de lire, au docteur Fitz-Herbert, alors à Rome, qui avait écrit : Qu'il serait fort obligé à la personne qui lui attesterait avoir vu ces actes que Mason venait d'annoncer. L'évêque protestant Godwin assure qu'ils le lui firent savoir par l'intermédiaire de Kellison, supérieur du séminaire de Douai et que tous reconnurent l'authenticité de ces actes. Mais le fait est que ni les uns, ni les autres ne furent convaincus de la vérité de ces titres.

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