FOI CHRÉTIENNE
hier et aujourd'hui
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III. REFLET DU PROBLÈME DANS LE SYMBOLE
L'unité paradoxale du Dieu de la foi et du Dieu des philosophes, base de l'image chrétienne de Dieu, est exprimée dans le Symbole par la juxtaposition des deux attributs « Père » et « Maître de toutes choses. »
Le deuxième titre ‑ «Pantocrator » en grec ‑ évoque la formule vétéro‑testamentaire de « Yahvé Sabaoth » dont il est impossible d'établir le véritable sens. Littéralement elle signifie « Dieu des multitudes », « Dieu des puissances»; parfois la Septante traduit par “Seigneur des puissances”.
Quoi qu'il en soit de son origine, on peut dire que cette expression vise à désigner Dieu comme le Maître du ciel et de la terre; dans une intention polémique contre la religion astrologique de Babylone, elle voulait surtout le présenter comme le Seigneur à qui même les astres appartiennent, ceux‑ci ne pouvant exister comme puissances divines indépendantes:
les astres ne sont pas des dieux,
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p89 LE DIEU DE LA FOI ET LE DIEU DES PHILOSOPHES
mais les instruments de Dieu, à sa disposition comme les armées le sont à leur chef.
Le mot Pantocrator revêt donc d'abord un sens cosmique; par la suite il prend aussi un sens politique; il désigne Dieu comme le Souverain de tous les seigneurs.
En appelant Dieu à la fois « Père » et «Maître de toutes choses », le Credo a joint un concept familial à un concept de puissance cosmique, pour décrire l'unique Dieu.
Par là, il exprime exactement le problème de l'image chrétienne de Dieu: la tension entre la puissance absolue et l'amour absolu, entre l'éloignement absolu et la proximité absolue, entre l'Être absolu et l'attention portée à ce qu'il y a de plus humain dans l'homme, la compénétration du maximum et du minimum que nous avons mentionnée.
Le mot «Père» qui reste encore indéterminé quant à son objet, rattache le premier article de foi au deuxième; il renvoie à la christologie, reliant ainsi intimement les deux parties et rendant le discours sur Dieu pleinement intelligible par le regard sur le Fils.
Ce que signifie, par exemple, la “toute‑puissance », la « souveraineté », ne devient clair, au sens chrétien, qu'auprès de la crèche et de la croix.
Lorsque Dieu, reconnu comme le Tout‑Puissant, est allé jusqu'à l'extrême limite de l'impuissance, en se livrant à la plus petite de ses créatures, alors seulement il est possible de formuler le vrai concept chrétien de la souveraineté de Dieu.
De là naît un nouveau concept de puissance, de souveraineté et de seigneurerie. Il apparaît que la puissance suprême est celle qui ne craint pas de renoncer totalement à la puissance; sa force vient, non de la violence, mais de la liberté de l'amour qui, même repoussé, est encore plus fort que la force triomphante des puissances terrestres.
C'est ici seulement que se réalise définitivement la correction des critères d'appréciation et des dimensions, annoncée dans la juxtaposition du maximum et du minimum.