quand il était déjà en Mésopotamie. Il était donc déjà sorti de la Chaldée. Et ce que saint Etienne ajoute : « Abraham sortit alors de la terre des Chaldéens et vint demeurer à Charra, » (Ibid. 11) n'indique pas ce qui se fit après l'ordre de Dieu, (car ce n'est pas quand Dieu lui eût ainsi parlé qu'il sortit de la Chaldée,
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(1) Cette solution est de saint Jérôme ; elle s'appuie sur une tradition des Hébreux qui rapporte que les Chaldéens jetèrent Abraham dans le feu qu'il ne voulait pas adorer; elle ajoute qu'il fut miraculeusement délivré.
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puisque saint Etienne dit que cette parole de Dieu lui fut adressée en Mésopotamie,) mais se rapporte à tout le temps compris dans le mot « alors, » c'est‑à‑dire depuis qu'il était sorti du pays des Chaldéens et qu'il demeurait à Charra. Saint Etienne continue de le prouver par les paroles suivantes : « Et après la mort de son père, Dieu l'établit dans cette terre que vos pères ont habitée et que vous habitez encore aujourd'hui; » (Ibid.) il ne dit pas : après la mort de son père, il sortit de Charra ; mais Dieu l'établit ici, après la mort de son père. Il faut donc entendre que Dieu parla à Abraham en Mésopotamie, avant qu'il fut à Charra où il vint avec son père, conservant en son cœur le commandement de Dieu, et qu'il sortit de ce pays, dans sa soixante‑quinzième année et la cent quarante‑ cinquième de son père. Et saint Etienne place son établissement dans la terre de Chanaan et non sa sortie de Charra, après le mort de son père; car son père était déjà mort quand il acheta la terre de Chanaan, et commença à la posséder comme son bien propre. Et lorsque déjà étabii en Mésopotamie, c'est‑à‑dire sorti de la Chaldée, Dieu lui dit : « Sors de ton pays, de ta parenté et de la maison de ton père, » (Gen. xii, 1) ce n'est pas pour en faire partir son corps, ce qui était fait déjà, mais pour en détacher son cœur. Et, en effet, il n'en était pas sorti de cœur, s'il conservait le désir et l'espérance d'y retourner; espoir et désir qui devaient être détruits par l'ordre et avec l'aide de Dieu, ainsi que par l'obéissance de son serviteur. Il est assez croyable qu'après l'arrivée de Nachor auprès de son père, Abraham exécuta l'ordre du Seigneur, en sortant de Charra avec Sara, son épouse et Lot, le fils de son frère.
CHAPITRE XVI.
De l’ordre et de la nature des promesses de Dieu à'
Abraham.
Il nous faut maintenant examiner les promesses divines faites à Abraham. Nous trouvons là, en effet, plus clairement exprimés les oracles de notre Dieu, c'est‑à‑dire du vrai Dieu, en faveur du peuple fidèle prédit avec autorité par les prophètes. La première de ces promesses est ainsi conçue : « Et le Seigneur dit à Abram : sors de ton pays et de ta parenté et de la maison de ton père, et va dans la terre
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p323 LIVRE XVI. ‑ CHAPITRE XVII.
que je te montrerai; je t'établirai chef d'un grand peuple et je te bénirai et je glorifierai ton nom, et tu seras béni ; je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les nations de la terre seront bénies en toi. » (Gen. xii, 1 et suiv.) Remarquons que la promesse a deux objets : l'un, que la race d'Abraham posséderait la terre de Chanaan ; et c'est ce que signifient ces paroles : « Va dans la terre que je te montrerai et je t'établirai chef d'un grand peuple; » l'autre beaucoup plus excellent, qui a rapport non à la postérité charnelle, mais à la postérité spirituelle; or à ce point de vue, il n'est pas seulement le père du peuple d'Israël, mais de toutes les nations qui suivent les traces de sa foi; les paroles suivantes annoncent ce grand événement : « Et toutes les nations de la terre seront bénies en toi. » Eusèbe croit que cette promesse fut faite à Abraham, la soixante‑quinzième année de son âge, comme si le patriarche était sorti de Charra aussitôt après, pour ne pas contredire cette parole formelle de l'Écriture : « Abram avait soixante‑quinze ans quand il sortit de Charra. » (Gen. xii, 4.) Mais si cette promesse fut faite cette année‑là, Abraham demeurait donc à Charra avec son père. Car il n'aurait pu sortir de cette ville, s'il ne l'eût précédemment habitée. Il y aurait donc ici contradiction avec ce que dit saint Etienne : « Le Dieu de gloire apparut à Abraham notre père, lorsqu'il était en Mésopotamie et avant d'habiter Charra? » (Act. vii, 2.) Nullement; mais il faut entendre que tout eut lieu la même année, et la promesse de Dieu qui précéda son séjour à Charra et son séjour en cette ville et son départ. Et il faut l'entendre ainsi, non‑seulement parce qu'Eusèbe dans sa chronique, commence à compter à partir de l'année de la promesse et montre que, depuis cette époque, jusqu'à la sortie d'Égypte, et la promulgation de la loi, il s'écoula quatre cent trente ans; mais encore parce que l'Apôtre saint Paul compte de même. (Gal. 111, 17.)
CHAPITRE XVII.
De trois grandes monarchies et surtout de celle des Assyriens, qui était ici plus florissante au temps d'Abraham.
En ce même temps, il y avait de puissants empires, où florissait supérieurement la Cité de la terre, c'est‑à‑dire la société des hommes vivant selon l'homme, sous la domination des
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anges prévaricateurs, c'étaient les royaumes de Sicyoniens, des Égyptiens et des Assyriens. Mais, celui des Assyriens surpassait de beaucoup les deux autres en puissance et en grandeur; car le roi Ninus, fils de Bélus, avait subjugué tous les peuples de l'Asie, à l'exception de l'Inde. Et j'appelle Asie, non cette contrée qui n'est à présent qu'une province de la haute Asie, mais cet immense territoire qu'on appelle Asie, dont quelques‑uns font la seconde, et d'autres en plus grand nombre la troisième partie du globe qui se partagerait, bien qu'inégalement, entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique ; car, ce qui s'appelle Asie, s'étend du midi, par l'Orient, jusqu'au Septentrion; l'Europe, du Septentrion à l'Occident; et l'Afrique, de l'Occident au midi; en sorte que l'Europe et l'Afrique occuperaient la moitié de la terre et l'Asie toute seule, l'autre moitié. Mais on a fait deux parties de l'Europe et de l'Afrique, parce que l'Océan roulant ses eaux entre les deux terres, les sépare par une grande mer. Et si on divisait le monde en deux parties, l'Orient et l'Occident, l'Asie en serait une, et l'Europe et l'Afrique, l'autre. Aussi, des trois grands empires qui dominaient alors, celui des Sicyoniens, n'était pas soumis à l'empire d'Assyrie, parce qu'il était en Europe; mais comment celui des Égyptiens ne l'était‑il pas, puisque, dit‑on, les Assyriens étaient maîtres de toute l'Asie, à l'exception de l’Inde? C'était donc surtout en Assyrie que la Cité impie faisait prévaloir sa domination; elle avait pour capitale, Babylone, c'est‑à‑dire confusion, nom qui convenait parfaitement à cette cité terrestre. Ninus en était roi, après la mort de son père Bélus, qui, le premier, y avait régné soixante‑cinq ans. Ninus, son fils et son successeur, régna cinquante‑deux ans; il y avait déjà quarante‑trois ans qu'il était sur le trône, à la naissance d'Abraham, environ douze cents ans avant la fondation de Rome, regardée comme la Babylone de l'Occident.
CHAPITRE XVIII.
Dieu parle une seconde fois à Abraham, il promet
à lui et à sa race la terre de Chanaan.
Abraham étant donc sorti de Charra, la soixante‑quinzième année de son âge, la cent quarante‑cinquième année de l'âge de son père, se dirigea avec Lot, le fils de son frère et Sara son épouse vers la terre de Chanaan et s'avança jusqu'à Sichem, où il reçut un nouvel avertissement du ciel, que l'Écriture raconte ainsi : « Et
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le Seigneur apparut à Abraham et lui dit : Je donnerai cette terre à ta postérité. » (Gen. xii, 7.) Ici, il ne lui est rien promis au sujet de cette postérité, par laquelle il devait être le père de tous les peuples, mais seulement au sujet de celle qui le rendait père de tout le peuple d'Israël; car c'est ce peuple qui a possédé la terre de Chanaan.
CHAPITRE XIX.
Dieu protége en Egypte la chasteté de Sara qu’Abraham faisait passer pour sa soeur.
Abraham ayant dressé un autel en ce lieu (Gen. xii, 7 etc.), et invoqué le nom du Seigneur, sortit de là pour se rendre au désert ; pressé ensuite par la famine, il alla en Egypte. C'est là qu'il fit passer sa femme pour sa sœur, et cela sans mentir, car elle était aussi sa proche parenté, comme Lot, qui était au même degré, puisqu'il était son neveu, est appelé son frère. Il garda donc le silence sur le titre d'épouse, il ne le nia pas, remettant à Dieu le soin de son honneur et se défiant, comme homme, des artifices des hommes; et s'il n'eût pris alors toutes les précautions possibles contre le danger, il eût plutôt tenté Dieu qu'espéré en lui. Nous avons, à ce sujet, amplement répondu aux calomnies de Fanstus le Manichéen. (Liv. XXII, c. VI.) Enfin il arriva, ce qu'Abraham avait espéré de Dieu. Pharaon, roi d'Egypte, qui avait pris Sara, pour l'épouser, se voyant rigoureusement frappé , la rendit à son mari. Loin de nous de croire qu'elle ait été déshonorée par l'adultère, en effet, il est bien plus croyable que les fléaux du ciel ne permirent pas à Pharaon d'exécuter son crime.
CHAPITRE XX.
La séparation d'Abraham et de Lot se fait de commun accord.
Abraham étant donc revenu d'Egypte dans le lieu d'où il était sorti, Lot, fils de son frère, se sépara de lui, sans qu'il y eût mésintelligence entre eux, et se retira dans la contrée des Sodomites. Ils étaient devenus riches et les pasteurs de leurs nombreux troupeaux se disputant ensemble, ils voulurent par ce moyen mettre un terme aux querelles de leurs serviteurs ; car, et c'est une conséquence facile à prévoir dans les choses humaines, ces disputes pouvaient faire naître aussi entre eux quelques démêlés. Aussi, pour prévenir ce malheur, Abraham dit à Lot : « Qu'il n'y ait point de différents entre vous et moi, entre vos pasteurs
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et les miens, car nous sommes frères. Est‑ce que toute la terre n'est pas devant vous? Séparez‑vous de moi; si vous allez à gauche, j'irai à droite; ou si vous allez à droite, j'irai à gauche. » (Gen. xiii, 8 et 9.) De là peut‑être est venue, parmi les hommes cette coutume pacifique, que lorsqu'il y a quelque terre à partager, l'ainé fait les lots et le plus jeune choisit.