Ire victoire des Francs contre les Sarrasins 

Darras tome 16 p. 556

 

   3. « Cependant les Lombards en pleine paix firent une entreprise frauduleuse contre la citadelle de Cumes (castrum Cumanum1), et s'en emparèrent. Le très-saint pontife multiplia vainement près d'eux les instances et les prières pour les faire retirer. Dans une lettre énergique, il les menaça de la colère divine : les Lombards ne l'écoutèrent pas davantage. Enfin il alla jusqu'à leur offrir des

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1 La forteresse de Cumes appartenait alors au duché de Naples, lequel relevait de la domination des empereurs grecs. Cf. Muratori, Annal. liai, ad ann. Le duc de Bénévent qui s'en empara était Romuald II. Saint Grégoire intervint près de Romuald, pour obtenir une restitution volontaire qui ne lui fut point accordée. La papauté continuait donc son rôle de média­trice entre tous les pouvoirs qui se disputaient l'Italie. Elle demeurait fidèlement attachée à tous les droits légitimes, même quand ils tombaient aux mains des plus ardents persécuteurs de l'Église.

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sommes considérables pour leur racheter la forteresse : tout fut inutile. Ce peuple orgueilleux et endurci résista à tous les avertis­sements ; Grégoire plongé dans sa douleur n'avait plus d'espé­rance que dans le secours de Dieu. Sa confiance ne fut point trom­pée. Le duc de Naples avec lequel le pontife entretenait une correspondance suivie, prit des mesures énergiques : à la tête d'une troupe dévouée, il réussit à pénétrer durant la nuit, avec le sous-diacre et recteur Théotime, jusqu'au cœur de la place. Trois cents Lombards avec leur castaldio (capitaine) furent passés au fil de l'épée. Les autres au nombre de plus de cinq cents furent emme­nés captifs à Naples, et la forteresse fut ainsi reprise. Le très-saint pape fit néanmoins compter aux Lombards soixante-dix livres d'or, somme qu'il leur avait promise auparavant, afin d'assurer pour l'avenir la tranquillité du pays. Vers ce temps, il répara la char­pente et la toiture de l'église Sainte-Croix-en-Jérusalem1, érigea dans l'intérieur un ambon de marbre, et enrichit cette basilique d'ornements sacrés et de vases précieux. — Il y avait dix ans déjà que l'infâme race des Agaréniens occupait la province d'Espagne, lorsque ses innombrables bataillons franchirent les Pyrénées, en­vahirent la Gaule méridionale et s'avancèrent jusqu'aux bords du Rhône pour entrer au pays de France (ad Francias occupandum 2). Or, le duc Eudes commandait alors en Aquitaine. Tous les Francs à son appel vinrent l'aider à combattre les nuées de Sarrasins, qui perdirent dans une seule bataille trois cent soixante quinze mille hommes. Tel est le chiffre indiqué par le duc lui-même, dans la lettre qu'il adressa au pape à ce sujet. Du côté des Francs, il n'y eut que quinze cents morts. Eudes ajoutait une particularité très-intéressante. L'année précédente, le saint pontife lui avait envoyé, comme gage de bénédiction, trois éponges qui avaient servi aux

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1 L'église Sainte-Croix-en-Jérusalem, l'une des basiliques érigées à Rome par Constantin le Grand, occupe l'emplacement du palais de Sessorius habité jadis par Héliogabale et par son successeur Alexandre-Sévère.

2. C'est la première fois que nous trouvons dans un monument ecclésias­tique ce nom de la France, la fille aînée de l'Église, si chère au cœur des souverains pontifes. Jusqu'ici l'ancien nom de Gallia avait seul été en usage.

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p558   PONTIFICAT DE  SAINT  GRÉGOIRE  il  (715-731).

 

ablutions sacrées sur l'autel de Saint-Pierre 1. Or, la veille du grand combat, le duc d'Aquitaine fit découper ces reliques en un nombre infini de parcelles qui furent distribuées aux soldats francs. Pas un de ceux qui s'en munirent ne reçut la moindre blessure 2 (721). Vers cette époque, dans quelques localités de la Campanie, on vit tomber du ciel, comme une pluie  noire ,  des

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1    Voici la note de Baldini, l'un des commentateurs du Liber Pontificalis, re­lativement aux éponges envoyées par saint Grégoire II au duc Eudes d'Aqui­taine : o Ântiquissimus ritus est basilicce Vaticance, quem eadem basilica adhuc reiinetet custodit, in die Cœnce Domini majus altare vino abluere, aspergillis verrere, ac demum spongiis primum, dein mapputis diligenter abstergere. Hujus ritus meminere veteres Rituum collectores, Isidorus Ilispalensis, lib. I, De ecclesiasticis officiis; Alcuinus, Ub.deDivinis officiis; Amalarius, lib. deEccl.o/fîc; Rabanus Maurus, lib. Il de Clericorum institutione. Hoc majus altare basilica; Vaticance imminet confessioni sancti Pétri, seu inferiori sacello in quo sanctorum Pétri et Pauli sacra pignora coluntur. Super illud, prozter summum pontificem nemini sacrum facere fas est, nisi ei cui summus pontifex facultaiem dederil; prœvia tamen speciali bulla quœ prope idem altare affigenda est, ut prœscribit Ordo romanus. » (In Lib. Pontifical, not.; Pair, lat., tom. CXXVI1I, col. 1018.) Les trois éponges envoyées au duc d'Aquitaine étaient donc celles qui avaient servi pour l'ablution de l'autel de Saint-Pierre , à la cérémonie du jeudi-saint. Les détails donnés par Baldini nous paraissent concluants; ils expli­quent le texte très-laconique, et par la même fort obscur, du Liber Pontificalis, dont voici les paroles : «Adjiciens quod anno presmisso in lenedictionem a preedicto viro eis directis tribus spongiis, quibus ad usum mensœ pontificis apponuntur, in hora qua lellum committebatur, idem Eudo Aquitaniœ princeps populo suo per modicas partes tribuens ad sumendum eis, nec unus vulneratus est nec
mortuus ex his qui participât! sunt.
» (Lib. Pontifie. ; Pair, lat., tom. cit., col. 878.) Entendu dans la rigueur du terme, le mot liturgique sumendum pourrait s'interpréter en ce sens que les menues parcelles de ces reliques furent prises et absorbées en communion par les soldats du duc d'Aquitaine. En l'absence de renseignements plus précis, il nous est impossible de véri­fier ce détail.

2.   Les modernes compilateurs de l'histoire de France n'ont garde de rap­peler cet incident. Cependant le judicieux Fleury l'a enregistré au liv. XL1I, n° 13, de son Histoire ecclésiastique. Ajoutons que le fait est constaté par d'autres témoignages que celui du Liber Pontificalis. Bien que ce monument s'appuie dans son récit sur la lettre officielle du duc d'Aquitaine à saint Grégoire II, lettre qui existait dans les archives du saint-siège et que l'au­teur de la notice avait certainement en main puisqu'il en donne une ana­lyse complète, nous désespérerions de faire prendre au sérieux par les écri­vains rationalistes un fait surnaturel qui n'aurait d'autre garantie que
l'autorité du Liber Pontificalis. Mais nos anciens chroniqueurs ont également

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grains de blé, d'orge et autres plantes à demi-brûlés1. Le pon­tife rendit obligatoire pendant le carême le jeûne de chaque cin­quième férie, lequel ne se pratiquait pas auparavant, et il composa une messe propre pour ces jours2. Il restaura l'oratoire dédié au bienheureux Pierre dans le palais patriarcal de Latran, le décora de marbres et de métaux précieux, et fit exécuter en argent, du

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raconté le prodige. Voici entre autres le témoignage de Flodoard, dans son poème de Christi iriumphis :

Externes etiam benediciio lata triumphos Concélébrât papce, victores spongia Francos Dum reddens Agarenorum tutatur ab armis, Participes ferri neque lassos vulnere tantum, Prostratis tali vacuis pro tegmine paucis.

(Flodoard., De Christ, triumph., lib. XI, cap. v; Patr. lat., tom. CXXXV, col. 795.)

1 Nous aurons l'occasion de raconter plus en détail les bouleversements géologiques et les éruptions de feux sous-marins qui donnèrent lieu à ce phénomène, dont les historiens profanes fixent la date en l'année 726.

2. Hic quadragesimali tempore, ut in quinta feria jejunium atque missarum celebritas fieret in ecclesiis, quod non agebatur, institua. Pour comprendre ces paroles du Liber Pontificalis il convient de les rapprocher de quelques autres textes qui les élucident et en déterminent le véritable sens. La notice consacrée au pape saint Melchiade (310-314) s'exprimait en ces termes : « Par une constitution apostolique, Melchiade défendit à tous les fidèles de j'eûner le jeudi et le dimanche, parce que les manichéens, véri­tables idolâtres, qui infestaient alors la ville de Rome avaient choisi ces deux jours pour leurs jeûnes solennels. » (Cf. tom. VIII de cette Histoire, pag. 606.) En vertu de cette ordonnance, le jeûne même quadragésimal n'avait pas lieu à Rome le jour de la Ve férie, c'est-à-dire le jeudi. Par la même raison, saint Grégoire le Grand dans son Sacramentaire n'avait inséré aucune messe propre pour les jeudis de carême. En rétablissant ce jeûne, qui n'avait plus d'inconvénient après la disparition des manichéens, Grégoire II se préoccupa de composer des messes et des offices propres pour chacune des ves féries de carême. C'est ce que nous apprend Walafrid Strabon en ces termes : Quia Melchiades xxxm ordine Romce prœsulatum agens, statuii ut nulla ratione Dominka aut quinta feria jejunium quis fidelium ageret, pagani enim las diebus quasi jejunia frequentabant ; idco beatus Grego-rius I in dispositione officiorum anni infra quadragesimam, quintam feriam va-cantem dimisit, ut quia fesiiva erat veluti Dominica, etiam officio diei Dominical celebris haberetur. Quce quinta feria, quoniam postmoduin cœpit ut çceterœ jeju-niis applicari, Gregorius 11 statuit earn missis et orationibus esse solemnem-j et undecumque colligens, ejusdem diei augmentavit officia. (Walafr. Strab., De rébus ecclesiasticis, cap. XX; Pair, lat., tom. CXIV, col. 942).

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