Adrien V et Brberousse 3

Darras tome 27 p. 23

§ III. COURONNEMENT DE FRÉDÉRIC Ier.

 

 

   19. Sur ces mots, le roi coupa court à sa harangue, ne voulant pas que l’indignation l’entrainât trop loin. Quelques seigneurs de son entourage demandent aux députés s’ils désirent parler encore. Après avoir eu l’air de délibérer un instant, les dignes Arnaldites, gravement déconcertés et médiocrement rassurés, mais non à bout de ruses, répondent qu’ils vont rendre compte au sénat de leur première conférence avec le prince, et qu’ils reviendront munis de nouvelles instructions. Ainsi congédiés, ils sortent de la cour et se hâtent de rentrer dans la ville. Soupçonnant quelque fourberie, le roi voulut consulter le pontife Adrien sur cette affaire. « Vous aurez l’occasion, mon fils, lui répondit le Pape, de mieux connaître leur duplicité ; l’expérience vous apprendra que l’astuce les a conduits ici et les a ramenés à Rome ; mais comptons sur le miséricordieux secours de celui qui disait : « Je prendrai les habiles dans leurs propres filets1. » Espérons qu’il vous sera donné de prévenir leurs

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1 Job. v, 13; — I Corinth. m. I9).

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embûches. Envoyez immédiatement une troupe choisie de jeunes et braves guerriers, pour occuper l’église de Saint-Pierre et les points fortifiés de la cité Léonine. Là sont nos chevaliers, qui s’empresseront de les admettre, sachant qu’ils viennent de notre part. Adjoignez à cette troupe le cardinal Octavien, qui descend d’une des plus nobles familles de Rome et vous est entièrement dévoué. » Pendant la nuit, on choisit environ mille hommes de cavalerie, armés de toutes pièces ; au petit jour, ils avaient franchi l’enceinte de la ville, et s’établissaient dans la basilique, occupant de plus les vestibules et les degrés. L’heureux succès de cette entreprise est aussitôt transmis au camp. Une lettre de l’empereur à l’évêque son oncle redit et confirme ces détails1. La cérémonie du couronnement est à peine effleurée par le chroniqueur germanique ; elle est clairement narrée dans les Actes d’Adrien.

 

   20. « Le Pontife et le prince marchent alors vers Rome ; et, quoique le premier eût en son pouvoir les forteresses du Vatican, comme le peuple était visiblement hostile, il fut jugé bon que Frédéric prit position dans la cité Léonine avec la majeure partie de son armée. Il y posa donc son camp sans retard ; et sur l’heure même on tint conseil pour arrêter le programme de la cérémonie, selon la forme antique et traditionnelle. Le même jour, avant la neuvième heure, le candidat impérial, entouré d’une immense troupe de barons, dont les armes étincelaient au soleil, s’approcha de l’escalier de Saint-Pierre. Déposant là les vêtements qu’il portait, il en revêtit de plus magnifiques, de plus conformes à la solennité ; puis il entra dans l’église appelée Sainte-Marie de la Rotonde, où le Pontife l’attendait devant l’autel. Les mains posées sur la table sacrée, il promit de nouveau pleine sécurité, selon la formule consignée dans le Rituel, au seigneur apostolique. En même temps, celui-ci montait à l’autel de Saint-Pierre. Le roi se dirige ensuite du même côte, toujours avec son escorte. Quand il a passé les portes d’argent, dans la Rotonde de porphyre, un cardinal-évêque récite sur lui la

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1.  Cette lettre est citée en tête de la Biographie de l'empereur, commencée par Otton et continuée par Radevic.

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p25 COURONNEMENT DE FRÉDÉRIC 1er.

 

première oraison, et deux autres évêques récitent à leur tour les deux suivantes. Après cela, l’onction est donnée devant la Confession de Saint-Pierre. La messe étant commencée, et le Graduel qui suit l’Epître étant chanté, le roi vient vers le Pontife, lui remet les insignes impériaux, le glaive, le sceptre et la couronne, puis les reçoit de ses mains1. Les Teutons font aussitôt entendre une acclamation si soudaine et si puissante qu’on dirait un terrible coup de tonnerre retentissant dans le ciel ; elle se prolonge sous les voûtes sacrées comme une explosion de bonheur et de reconnaissance. » D’accord avec le poète historien Gunther et plusieurs autres, Otton de Freisingen détermine ainsi la date du couronnement de Frédéric Barberousse : « Avec les bénédictions accoutumées, il reçut la couronne impériale la quatrième année de son règne, le XIV des calendes de Juillet, 48 juin, parmi les acclamations de tous les assistants et les témoignages de leur reconnaissance envers Dieu[1]. » Une lettre de Frédéric au même Otton confirme cette date, en ajoutant que c’était un samedi.

 

   21. Les Actes poursuivent: « Tout cela venait de s’accomplir sans aucun trouble, dans un ordre parfait, quand le peuple romain, qui se tenait en armes et les portes fermées dans le camp de Crescence (l'ancien Mole d’Adrien, aujourd’hui château Saint-Ange) ignorant ce qui s’était passé, sortit de ses lignes, sans délibération ni conseil de la part des chefs, et se glissa dans la cité Léonine. Il attaqua violemment ceux des Teutons qui restaient encore dans le portique, les dépouilla, les mit en fuite et les poursuivit jusqu’au camp de l’empereur. Au bruit de ce tumulte, les clameurs grandissant de plus en plus, on vole aux armes : des deux cotés on combat avec acharnement. Est-il besoin de le dire? Beaucoup sont tués, un plus grand nombre faits prisonniers. Après avoir éprouvé de

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1 « Hos régi titulos,   hoc clari noinen honoris, Quartus ab ingrossu regnorum attulit annus. Plusque ferc medio juvunum se meusis agebat, Ut quarto decimo prodivet julius ortu, Postea Geinmiferam lœta cervice coronaui...

Gltntiieu Lie. in Lib. IV.

2Otto FmsiKG. Yita Frid. h, 23.

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p26   PONTIFICAT   D’ADRIEN IV (1154-1159).

 

sérieuses pertes, le peuple est contraint de rentrer dans son camp. Affligé de cette criminelle tentative, le Pape eut cependant pitié de ce peuple malheureux ; sa compassion était celle d’un fidèle pasteur pour son troupeau, du meilleur des pères pour ses enfants. Dans le but de réparer cette catastrophe et d’obtenir la délivrance des siens, il ne cessa d’implorer la clémence impériale, jusqu’à ce que tous les captifs fussent arrachés aux mains des Teutons et remis à Pierre, le Préfet de Rome. Le Pontife et l’empereur réunis, s’éloignant alors de la ville, s’avancèrent à travers la campagne le long du Tibre jusqu’au gué de Manlianus; là, passant le fleuve avec l’armée, ils entrèrent dans la Sabine, firent route par Farfa et Dépoli, parvinrent la veille de S. Pierre au pont Lucano, et résolurent de séjourner sur ce point, pour célébrer ensemble cette grande solennité. Dans la pensée de donner à l'Eglise aussi bien qu’à l’Empire un plus vif éclat, de rendre à Dieu plus de gloire et de donner au peuple chrétien plus de joie, il fut décidé que les suprêmes représentants des deux puissances porteraient l’un et l’autre la couronne à la messe de ce jour. Il convenait certes, ajoute par manière de conclusion l’historien anonyme, que fût ainsi célébrée dans les transports de l’allégresse par ces deux souverains la fête des deux princes des Apôtres, qui tenant de Dieu le pouvoir de lier et de délier, ouvrent ou ferment à leur gré les portes du ciel. »

 

   22. Estimant l’occasion favorable, les Tiburtins, qui nourrissaient la secrète pensée de se soustraire à la juridiction de l’Eglise Romaine, et de trahir la foi qu’ils avaient jurée au pape Adrien et à ses successeurs, eurent l’audace de se présenter devant le nouvel Auguste, pour obtenir son adhésion à l’accomplissement de leur perfidie: ils lui remirent à genoux les clefs de leur ville, en se déclarant ses sujets. Cet acte doublement inique affecta d’un douloureux étonnement le Souverain Pontife et comme lui toute l’Église Romaine. Ne pouvant rester sous le poids de cette douleur, ni tolérer une aussi criante injustice, il alla sur-le-champ porter sa plainte à l’empereur, et le pria instamment de lui restituer une ville que tout le monde savait appartenir au domaine de S. Pierre,

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p27 COURONNEMENT DE FRÉDÉRIC Ier.   

 

dont lui Frédéric était désormais constitué le protecteur et l’avocat. Ayant reconnu la justice de cette demande, celui-ci s’exécuta sans hésitation ; et voici la lettre qu’il écrivit aux habitants de Tibur : « Frédéric, Empereur des Romains toujours Auguste, à tous les Tiburtins assure sa grâce et sa bonne volonté... Nous mandons à votre cité tout entière qu’elle est remise par nous à notre révérendissime et bien-aimé père le pape Adrien, à la réserve cependant des droits de l'empire. Nous délions donc tous les habitants de Tibur et chacun d’eux en particulier, du serment de fidélité qu’ils m’ont prêté naguère. Nous vous enjoignons de plus d’embrasser la cause du vénérable Pontife, de lui prouver en toute occasion un dévouement absolu, le tenant pour votre seigneur et maître... » L’historien insinue que l’intérêt politique fut en partie la cause et le mobile de cette décision ; nous aimons mieux y voir une mesure dictée par le sentiment de la justice, par un mouvement chevaleresque et désintéressé. Nous aurons assez à blâmer dans la suite pour reconnaître le bien qui se rencontre sur nos pas. Les contradictions où tombent les plus grands caractères n’ont rien qui doivent étonner, notamment dans une époque comme celle que nous parcourons. Dans ce voyage à Rome la conduite de Frédéric fut vraiment juste et noble. Les chaleurs de l’été devenues intolérables pour les hommes du Nord, l’obligèrent bientôt à s’éloigner. Les maladies se multiplièrent de telle sorte que les principaux barons et chevaliers demandèrent avec instance à quitter ce climat brûlant pour retourner en Allemagne.

 

   23. Cette résolution prise à temps ne pouvait être considérée comme une déconvenue ; la prudence la plus ordinaire l’imposait au chef d’une grande armée. Tant que Frédéric se montra fidèle à l’Eglise Romaine, tout lui réussit au gré de ses désirs, disent les chroniqueurs de l’époque; et les faits parlent comme eux. Sa retraite elle-même fut marquée par d’étonnants succès. Notre rôle à nous n’est pas de suivre pas à pas cette marche militaire ; il nous suffira de jeter un coup d’œil sur la lettre que l’heureux monarque écrit à son oncle Otton. Ses idées et son caractère y paraissent à découvert, donnant à ce document sa réelle importance ; on voit

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là de quelle manière le Teuton entend la gloire et le bonheur: « Nous arrivâmes à Spolète, dont les habitants étaient en révolte contre nous et retenaient dans les chaînes nos ambassadeurs. Nous donnâmes l’assaut à la ville ; et, secret jugement de Dieu, non moins admirable qu’insondable ! de neuf heures à trois, nous emportâmes de force une place extrêmement fortifiée, qui comptait dans son enceinte près de cent tours. Après avoir recueilli d’immenses dépouilles, beaucoup plus encore ayant été dévorées par les flammes, nous la détruisîmes jusqu’aux fondements. De là, comme nous approchions d’Ancône, vinrent à nous le noble prince grec Paléologue et son compagnon Maroduc, avec les autres députés de Constantinople. Ils s’engageaient à verser dans nos trésors une somme incalculable, si nous consentions à retourner dans le midi de la Péninsule, afin d’écraser sous un puissant effort le duc Guillaume, ce commun ennemi de l’un et de l’autre empire. Les combats et les travaux déjà soutenus par nos troupes les avaient trop abattues ; nos barons aimèrent mieux continuer leur route vers l’Allemagne que descendre en Apulie. »

 

§ IV. SÉJOUR DU PAPE A BÉNÉVENT.

 

    24. Revenons au pape Adrien IV, et puisons de nouveau dans les Actes de son pontificat, dont l’auteur anonyme a tant de droits à  notre reconnaissance ; son nom méritait d’être connu, pour les do- cuments précieux qu’il a conservés à l’histoire, avec une simplicité qui le fait aimer. Du reste, Guillaume nous retombe ainsi sous la main. « Le roi de Sicile étant depuis peu frappé d’excommunication, à cause de ses attentats sacrilèges, avait encouru la répulsion et le mépris des siens. Vainement on le pressait de donner satisfaction à la conscience publique, en se soumettant humblement au Père commun des fidèles, il dédaignait tous les conseils. Son orgueilleuse et folle résistance était puni par un isolement à peu près complet. Les grands de son royaume, les comtes et les barons des principales cités de l’Apulie, n’ayant pu l’arracher à sa perverse obstination, l’abandonnèrent, pour recourir au Pape leur premier

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p29 SÉJOUR DU PAPE A DÉNÉVENT.

 

suzerain1. Ils le firent prier par une députation de se rendre dans leur province et d’en accepter le gouvernement direct, lui confiant leurs personnes, leurs biens et cette terre qui notoirement appartenait à la juridiction du Prince des Apôtres. Après avoir tenu conseil avec les cardinaux, le Pontife réunit une brillante armée, fournie par la ville de ome, les cités campaniennes et les pays circonvoisins. Aux approches de la fête de S. Michel, vers la fin de septembre, il se rendit à San-Germano. Là lui prêtèrent foi et hommage Robert prince de Campanie, le comte André et beaucoup d’autres personnages des environs2 ; puis Adrien les fit partir en avant pour lui préparer les voies, pour rendre droits les sentiers sinueux, selon l’expression de l’Evangile ; pour aplanir les aspérités du chemin. Lui-même, au bout de quelques jours, se mit en route sous la garde du Seigneur. Passant par la citadelle de Mignano et Capoue, il parvint à Bénévent, où les barons de ces contrées lui renouvelèrent tous leur hommage-lige et leur serment de fidélité. C’est alors que l’Empereur de Constantinople envoyait Paléologue pour négocier avec Frédéric contre le Roi de Sicile, D’autre part, ce même empereur écrivait au Souverain Pontife, le conjurant de lui céder trois villes maritimes de l’Apulie, et s'engageant eu retour à pourvoir le Saint-Siège, pour combattre le tyran et l’expulser de la Sicile entière, de tout ce qu’il faudrait en argent, eu soldat, en armes, jusqu’au succès définitif.

 

   25. Les nuages qui chaque jour s’amoncelaient sur sa tête eurent pour effet de ramener Guillaume à de meilleurs sentiments : il résolut de se soumettre en toute humilité à sa mère la sainte Eglise Romaine et d’implorer le pardon de son père et seigneur le Souverain Pontife. Dans ce but, il dépêcha l’évêque élu de Catane, avec plusieurs grands de sa cour, vers Adrien, qu’il savait devoir incessamment arriver à Salerne. Ces ambassadeurs étaient munis de pleins pouvoirs et n’avaient pas à craindre d’outrepasser les intentions du prince. Avant tout il demandait d’être relevé de l’ex-

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1     lire. Faicand. i/o Calamit. Sicil. ml nmmm 115ô.

2     Guillelm. Tïu. Hisl. rerum Iransmnr. xvm,

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p30 PONTIFICAT d’adrien IV (1134-1159).

 

communication selon toutes les formalités ecclésiastiques ; car il ne reculait devant aucun abaissement. Il promettait ensuite de rendre hommage au Pape et de lui faire serment de fidélité. De plus, il s’engageait à restituer toutes les Eglises de son royaume, en les rétablissant dans la plénitude de leurs droits. Comme garantie de ses promesses, ils offrait dans ses états à l’Eglise Romaine l’absolue possession de trois places fortes. Non content de sa soumission, il se proposait de réduire en obéissance, avec ses troupes et ses deniers, les habitants séditieux de Rome. Enfin, pour compléter sa réparation, la paix étant faite et le triomphe obtenu, il verserait dans le trésor pontifical une somme égale à celle dont avait parlé la jactance des Byzantins. Ces promesses étaient magnifiques : en les apprenant, le Pape se fit précéder à Salerne par le vénérable cardinal Humbald, du titre de Sainte-Praxède, alors évêque d’Ostie, avec mission de s’informer auprès des envoyés de Guillaume, si tout cela reposait sur de solides fondements, ou n’était qu’une habile manoeuvre. Le cardinal, à son retour, affirma l'exactitude des renseignements d’abord transmis et la sincérité des dispositions royales. Dans de telles conditions le Pontife n’hésitait pas à conclure une paix si profitable en même temps et si glorieuse pour l’Eglise. Mais à ce traité s’opposèrent les membres du Sacré Collège qui soutenaient le parti de l’empereur, ne voulant rien admettre, rien sanctionner qui ne dût lui plaire. Par leur fatale obstination et leur aveugle confiance, ils parvinrent à tout enrayer. Le grand historien de cette époque, Guillaume de Tyr raconte les mêmes négociations, en ajoutant quelques détails sans importance et de légères variantes sans intérêt. Son récit est mêlé d'insinuations gratuites constamment démenties par les faits, et qui ne prouvent qu’une chose, combien cet auteur, d’ailleurs si remarquable, s’était laissé prévenir, pour une cause que nous ignorons, en faveur du césarisme allemand et contre la cour romaine. On se prend à regretter que le Pape n’ait pas eu l’énergie de rompre les fils de l’opposition étroite et systématique qu’il rencontrait sous ses pas, pour obéir à ses propres sentiments et s’inspirer de ses lumières personnelles.

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p31 SÉJOUR DU PAPE A BÉNÉVENT.


   Une année ne s’était pas écoulée; dans le mois de juin 1156. Il tombait au pouvoir de ce même Guillaume et subissait les lois de son vainqueur, avec les circonstances les plus déplorables. Enfermé dans Bénévent, non-seulement il ne pouvait plus secourir les barons campaniens qui s’étaient dévoués pour sa cause, en se dévouant à leur patrie, mais encore il tremblait pour lui-même. Le tyran sicilien avait commencé par écraser un corps auxiliaire de Grecs, venus à la suite des ambassadeurs de Constantinople, afin de soutenir la puissance de l’or par la force des armes. Cet or était en grande partie passé dans les mains de celui qu’il devait abattre. Les seigneurs coalisés avaient à leur tour éprouvé de sanglantes défaites. Le plus puissant, Robert prince de Capoue, était devenu le prisonnier de Guillaume, qui, malgré les liens de parenté qui les unissaient, l’envoyait mourir dans un cachot de la Sicile, après avoir eu la barbarie de lui faire arracher les yeux1. Les autres forcément abandonnés par le Pape, avaient pris le chemin de l’exil, et la plupart s’étaient réfugiés en Lombardie, où bientôt ils signaleront leur présence et leur courage. Pour prévenir de plus grands malheurs, Adrien accepta des conditions qui restreignaient les libertés de l’Egise et diminuaient le pouvoir pontifical, mais sans porter atteinte à l’essence même de la religion, au principe vital de la constitution chrétienne. Il ne se pouvait pas cependant qu’elles ne fussent révoquées par les successeurs du malheureux Pontife. Elles le seront en réalité par plusieurs d’entre eux, à peu d’intervalle, et notamment par Innocent III, cet invincible ennemi de toutes les usurpations et de toutes les injustices. Les raisons ne manqueront pas pour revenir sur ce fatal traité; la contrainte n’était que trop évidente. Sur le tyran et sa postérité en retomberont les conséquences. Jamais Guillaume ne justifia mieux le surnom de mauvais qui le distingue des rois ses homonymes. Il n’apparait plus qu’à de rares intervalles comme le descendant et l’héritier des héros: leur gloire est éclipsée, leur dynastie ne va pas tarder à disparaître. C’est

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1.        Hugues  Falcaxd. De Calamit.SiciL ad annum 1KJG.

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p32 PONTIFICAT d’adrien IV (1154-1 lo‘J).

 

pendant le séjour si tourmenté du pape Adrien dans les provinces méridionales qu’abordait en Italie, comme nous l’avons déjà raconté, le patriarche presque centenaire de Jérusalem, accompagné des principaux évêques de la Terre-sainte, venant lui dénoncer les prétentions des Hospitaliers. Les continuels déplacements du Pontife, que le célèbre historien d’outre-mer ose représenter, sous une forme dubitative, comme une fuite calculée, pour lasser la persévérance des appelants, et dès lors comme un déni de justice[2], nous en connaissons maintenant la cause : il nous est, par conséquent, plus facile d’apprécier la valeur de pareilles interprétations. C’est également dans ces contrées et ces conjonctures que Jean de Salisbury vint trouver le Pontife et fut admis à ces touchants entretiens où le successeur de S. Pierre exhala ce cri de sublime douleur: « Il ne faut pas s'étonner que la couronne brille; elle est de feu ! »

 

   27. Malgré ses tribulations et ses angoisses, Adrien était loin de négliger ses devoirs de pasteur suprême. Il saisit l’occasion de ses rapports accidentels avec l’empereur Manuel Comnène pour tâcher de ramener à l'unité de discipline et de foi l'Église Orientale. Dans cette vue surtout, il envoyait des ambassadeurs à Constantinople ; et rien ne prouve l'objet réel de leur mission comme la lettre dont il les chargeait pour l'archevêque de Thessalonique, nommé Basile Hacridénos, dont la réputation était grande en Orient. Il importe de donner cette lettre, puisque nous avons le bonheur de la posséder ; elle se rattache à l'une des plus graves questions et des plus délicates controverses qui se soient agitées dans les siècles chrétiens. Les intérêts qu'elle implique tiennent encore le monde en suspens. « Adrien évêque, serviteur des servi­teurs de Dieu, à son vénérable frère l'archevêque des Thessaloniciens, salut et bénédiction apostolique.—Depuis que par les jalouses instigations de l'antique ennemi, le siège de Constantinople s'est lui-même séparé de la sainte Église Romaine, chose dont nous ne pouvons parler qu'en versant un torrent de  larmes,

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1 Guiiixui. Tvr. Illst. rerum transmar. xvni, 7, S ;

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p33 SÉJOUR DU l’Al’E A BÉNÉVENT.

 

depuis que les enfants cédant à de criminelles suggestions, ont secoué le joug de l’autorité maternelle, et que la dualité s’est mise à la place de l’unité, nos prédécesseurs sur la chaire de S. Pierre n’ont cessé de consacrer leurs soins et leurs efforts à détruire ce malheureux schisme, à reconstituer pour le bonheur de tous l’union de la grande famille. Nous aussi, qui remplissons aujourd’hui cette charge apostolique par la volonté de Dieu, nous sur qui pèse la sollicitude de toutes les Églises répandues dans l’univers entier, quoique n’ayant rien des vertus du bienheureux Pierre, nous devons continuer cet auguste ministère. Pas de moyen que nous ne devions employer pour n’être jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, rangés au nombre de ceux à qui le Seigneur adresse ces reproches par son prophète : « Vous n’avez pas ramené les membres dispersés, guéri ceux qui étaient infirmes; couru après les égarés1, » et la suite. Hâtons-nous donc d’introduire les enfants dans le sein de l’Église, au centre de l’unité ; n’ayons pas de relâche, que la drachme perdue ne soit retrouvée ; excités par le précepte de l’Apôtre, ne cessons d’exhorter ceux qui repoussent la saine doctrine, avertissons-les à temps et à contre-temps.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon