Darras tome 35 p. 577
63. Depuis deux ans,
Marie était veuve ; elle devait, pour ne pas compromettre l'honneur de sa
personne et les intérêts de ses États,
se remarier. Il fallait un roi. Le roi de Suède se présenta le premier,
mais ne fut pas du goût de la reine. Don Carlos, fils de Philippe II,
eût
été un meilleur parti, s'il eût été mariable, mais l'Angleterre et la France
s'opposaient à une union qui eût changé l'assiette de la
politique. Ferdinand offrit le plus
jeune de ses fils, l'archiduc Charles, et Catherine de Médicis son quatrième
fils, le duc d'Anjou. Elisabeth eût souhaité que Marie vécût comme elle dans le célibat ; elle crut agir plus
sagement en l'unissant à un parti dévoué à l'Angleterre, et, par une initiative
qui marque un total défaut de pudeur,
elle osa préconiser un de ses nombreux concubains, Dudley, qu'elle fit duc de
Leicester. Au milieu de ce chassé-croisé, l'opinion destinait, à Marie
Stuart, Henri Darnley. Darnley descendait, par sa mère, de Henri VII,
et
avait, à ce titre des droits au trône d'Angleterre ; le comte de Lennox, son
père descendait de la maison des Stuarts. Descendant des familles royales
d'Ecosse et d'Angleterre, Darnley était donc par sa naissance, le prétendant le
plus capable de fixer un choix. Cette alliance avait cependant ses difficultés.
La famille de Lennox avait quitté l'Ecosse
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depuis l'invasion ; le comte obtint cependant d'Elisabeth la permission de se rendre en Ecosse pour soutenir les prétentions de sa femme au comté d'Angus. Darnley fut aussi l'objet d'attentions délicates de la part de la reine ; mais Elisabeth, qui avait exhorté Marie à soutenir la famille de Lennox, changea de ton quand elle vit la reine d'Ecosse entrer dans cette voie. Dans l'intention de complaire aux familles que froisserait l'élévation de Darnley, Elisabeth chargea son ambassadeur de combattre ce projet d'alliance. Fatiguée d'être le jouet d'Elisabeth, Marie déclara qu'elle passerait outre. Vaincue sur le terrain diplomatique, la reine d'Angleterre poussa à la révolte contre sa sœur, Jacques Stuart, devenu lord Murray. Pour déjouer ce complot, Marie précipita ses résolutions. Du 7 au 13 avril, elle s'unit à Darnley par un mariage secret et l'épousa solennellement le 19 juillet 1565. Murray avait quitté brusquement la cour, sous prétexte de ne pouvoir supporter les pratiques superstitieuses de la chapelle royale ; il publia un manifeste pour soulever contre sa sœur le peuple et la noblesse ; il tenta même de pénétrer en armes à Edimbourg pour surprendre traîtreusemcntla reine et son époux. Dans cette extrémité, Marie fit appel à ses sujets et l'on peut juger de sa popularité par le nombre des combattants qui volèrent à sa défense. Daruley se mit à leur tête. Incapable de tenir la campagne, Murray, d'Arran, Glencaim, Argyle, Rolhes et plusieurs autres rebelles se réfugièrent en Angleterre, prêts à profiter de la première occasion pour troubler de nouveau l'Ecosse.
64. Au lendemain de son mariage, Marie rappelait les exilés des temps antérieurs et soutenait son gouvernement avec beaucoup d'habileté. Malheureusement, elle s'était donné, dans le mari de son choix, un terrible embarras et un triste écueil. Ce Darnley avait été fort mal élevé par sa mère ; c'était d'ailleurs une tête faible et un plus faible cœur. Ce jeune inconsidéré, qui avait blessé tout le monde par ses hauteurs, en vint bientôt à ne respecter Marie pas plus comme femme que comme reine; chaque jour il s'abandonnait à l'ivresse et à de honteuses liaisons. Marie, qui le comblait de tendresses, lui avait accordé plus de pouvoirs que
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n'en méritaient, ses dix-neuf ans et la médiocrilé presque vile de son caractère; cependant il ne cessait de l'importuner pour obtenir ce qu'on appelait, en Ecosse, la couronne matrimoniale, c'est-à-dire le partage égal de l'autorité avec la reine. Marie refusait, non pas par opiniâtreté, mais par prudence : ni Darnley, n1 Lennox, son père, n'étaient capables de gouverner : l'un était trop faible ; l'autre trop ambitieux ; tous deux trop ingrats. Céder à leurs instances, c'était mécontenter la noblesse et compromettre la tranquillité qu'on avait eu tant de peine à établir. La reine, au surplus, ne pouvait concéder cette faveur qu'avec l'autorisation du Parlement : il fallait savoir attendre et se montrer digne. Ces délais et cette condition irritaient l'orgueil du prince époux ; il s'imagina avoir, dans le secrétaire de la reine, le Piémontais Riccio, un ennemi ou un rival. Dans sa colère, il s'ouvrit à la noblesse pour s'en défaire. Il fut résolu que le roi serait couronné, à la condition de protéger le protestantisme, d'assassiner Riccio et de soutenir ceux qui feraient le coup (1). Georges Douglas, Ruthven, Lindsay, Morton, tous les exilés, entrèrent dans le complot ; Elisabeth, instruite de ces menées criminelles, les autorisait au moins par son silence. Le samedi soir, 9 mars 1566, Morton, Ruthven, Lindsay se rendirent avec deux cents hommes au palais d'Holyrood. Darnley avait soupé et les attendait. A huit heures, il monta dans la chambre de la reine et l'embrassa. Un instant après, survint Ruthven, couvert d'une armure ; il fut suivi presque aussitôt de Georges Douglas, de Faudeside et de Patrick Rellenden, portant des dagues et des pistolets. Marie demanda pourquoi cette invasion de ses appartements ; Ruthven répondit en montrant Riccio. La reine répliqua que s'il avait fait quelque mal, elle le livrerait à la justice. Ruthven s'approcha de Riccio pour Je saisir; celui-ci se précipita vers la reine, en criant : « Sauvez-moi, madame ! » Dans le mouvement, la table fut renversée sur la reine, enceinte de six mois, et, parce qu'elle arrachait son secrétaire aux assassins, des épées et des pistolets la menacèrent. Le pauvre Italien fut traîné dans une chambre voisine. Morton et Lindsay voulaient le
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(1) Price Labnaxoff. t. YII, p. O'i.
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garder jusqu'au lendemain pour le pendre; Douglas, plus impatient, le frappa avec le poignard du roi. Aussitôt les autres le frappèrent de cinquante-six coups et jettèrent son cadavre par la fenêtre.
65. On se représente le plus ordinairement, dit Menneval, David Riccio comme un jeune troubadour, un musicien de bonne mine, une sorte de chevalier de cour, dont le métier était de jouer du luth, de composer de jolis vers et de chanter. Riccio était, sans doute, un homme lettré, un musicien agréable ; mais il était avant tout et par-dessus tout un homme d'affaires, ferme, entreprenant, habile, sincèrement et courageusement attaché aux croyances et aux intérêts catholiques, dont il était, à la cour de Marie Stuart, le défenseur le plus ardent. Arrivé en 1502 en Ecosse, à la suite de l'ambassadeur de Savoie, le comte Moretta, il avait été, l'année suivante, attaché à la personne de la reine, en qualité de secrétaire, et il était devenu l'intermédiaire de cette princesse dans ses relations avec le Pape et les princes catholiques du continent. Ces fonctions justifiaient donc pleinement sa présence à la cour ; et il n'est pas inutile d'ajouter que, loin d'apporter en Ecosse la tournure élégante d'un jeune page musicien, Riccio était ridiculement contrefait et déjà avancé en âge quand il obtint la confiance de Marie Stuart. Bien qu'il n'occupât près de la reine aucune position d'État et qu'il fût d'ailleurs d'une origine obscure, (son père était maître de musique), il avait conquis, par son dévouement et son mérite, une place considérable dans la confiance de sa souveraine. « Il réussit si bien dans son emploi, écrivait l'ambassadeur de Toscane à Edimbourg, que la plus grande partie des affaires du royaume passe par ses mains ; il les dirige avec tant de prudence et les mène à une si belle issue qu'il est très aimé de Sa Majesté. » C'est lui dont les vues politiques, conformes sur ce point avec les sentiments de Marie Stuart, tendaient à la lier étroitement avec le Pape, les rois de France et d'Espagne et à la séparer, par conséquent, du parti protestant qui s'appuyait sur l'Angleterre. C'est encore lui qui avait encouragé et soutenu de son crédit la candidature catholique de lord Darnley ; c'est lui enfin, (ce qui n'est pas le
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fait d'un amoureux, ni d'un rival,) qui avait préparé la célébration du mariage secret qui unit prématurément ce jeune prince avec la reine. Darnley s'était d'abord montré reconnaissant de ces services, et il s'était établi, entre Riccio et lui, une sorte de familiarité, qui allait jusqu'à partager quelquefois la même chambre et le même lit (1) ». Le faible esprit et le plus faible cœur de Darnley ne tinrent pas longtemps à la reconnaissance : cette vertu est difficile aux âmes lâches. Ce pauvre fou se forgea des imaginations qui le menèrent jusqu'au crime. Les nobles qui trempèrent leurs mains dans le sang « n'avaient pas à venger l'honneur de leur roi. Morton et Ruthven, dans une lettre publiée par Goodall, déclarent qu'ils tuèrent Riccio mus par le désir de venir en aide à leurs frères exilés et à la religion, c'est-à-dire au calvinisme. Riccio ne fut pas victime de ses excès, mais fut égorgé seulement pour sa foi et son courage.
60. Pour innocenter ce forfait abominable, on affecta de dire que Riccio, appelé par la nature de ses fonctions, à de fréquents tête-à-tête avec la reine, était a la fois son conseiller et son amant. Marie sérait donc coupable : 1e Parce que les documents contemporains l'accusent ; 2° Parce que l'élévation subite d'un musicien ne se conçoit pas sans une grande passion ; 3e Parce que ceux qui ont tué Riccio, l'ont fait pour venger l'honneur de la couronne. Sur le premier point, deux textes surtout incriminèrent Marie : la narration de Ruthven et une lettre de Paul de Foix à Catherine de Médicis. Ruthven n'est pas recevable, parce que c'est un assassin qui veut, par la calomnie, se laver d'un crime ; son récit ne mérite aucune croyance : 1° Parce qu'il est invraisemblable ; il renferme des traits d'esprit, des réflexions morales, de beaux discours, des faits absolument indignes de foi ; 2° Parce qu'il doit être rejeté parmi les apocryphes ou qu'il doit être relégué parmi ces papiers trompeurs que Keith dit pulluler dans le dossier de Cécil. La dépêche de Paul de Foix n'a pas plus de valeur, car elle impute une légèreté à Marie quelques jours avant le crime, tandis que dès le 13 février, les assassins s'étaient entendus pour le commettre. Donc
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(1) La vérité sur Marie Sluart, p. Ci.
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la cause principale est inadmissible. De plus il est certain que jamais Darnley ne reprocha cette familiarité à la reine, ni en particulier, ni en public et que, devant le conseil privé, six mois après, il avoua « qu'elle ne lui avait donné aucun sujet de se fâcher ». Melvil et Knox, si empressés à parler mal de Marie ne dirent rien de ces familiarités indécentes. Il n'est pas vrai que Marie ait fait inhumer Riccio dans les sépultures royales ; il fut enterré d'abord au cimetière, puis sous le porche d'une église. Aussi David Hume n'hésite point à conclure qu'on ne peut admettre raisonnablement une liaison criminelle entre Marie et le secrétaire piémontais, et que l'idée même en est absurde (1). Sur le second point, savoir: si l'élévation de Riccio ne se conçoit pas sans passion, il est certain : 1° Que Riccio rendit à la reine de grands services, notamment dans l'affaire du mariage; et 2° Que Riccio sut se concilier l'estime de la noblesse. Knox lui-même constate que les hommes de qualité lui faisaient la cour. Murray lui écrivit une lettre, où il avait enfermé un gros diamant, l'assurant qu'il serait à l'avenir son ami et son protecteur. Spothiswoode le qualifie de fin politique ; lord Herries dit qu'il était politique actif et homme de bon conseil; Eytzinger le dépeint comme un homme prudent, sagace et rusé; et Brantôme ajoute que, « comme il était homme d'esprit, la reine l'aimait pour le maniement des affaires. Sur le troisième point, si les assassins ont voulu venger l'honneur du roi : c'est, en effet, la prétention de Ruthven, de Crawfurd et de Buchanan ; mais la vraie cause est toute différente et le Piémontais ne mourut que par la jalousie des nobles. Non seulement la famille de Lennox, mais la grande majorité de la noblesse était blessée de se voir gouvernée par un étranger. Riccio se montrait hautain ; on le disait pensionnaire du Pape. Les haines s'amassent peu à peu ; le fanatisme presbytérien s'allie à l'orgueil des nobles pour monter le complot contre cet Italien qui gouvernait tout à plaisir,» dit Calderwood. Les discours de Knox, le bond d'assassinat, les Mémoires de Melvil, les aveux de Keith, de Stevenson, Sanderson, Herries, Mackensie, Goodall disent
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(1) L.vbaxoff, VII, 72; Teulet, II, 287; IIi.me, Histoire d'Angleterre, X, 28-4.
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tous la même chose. Les assassins dans l’ Information par Bedford, confessent qu'ils n'ont tué iliccio que pour établir la religion, conserver l'amitié entre les deux royaumes et soutenir ses frères ; et, dans le livre de Chalmers, Bedford s'écrie : «Maintenant qu'on est débarrassé de cet ennemi de la religion, tout va marcher pour le mieux (1). Pour revenir à l'accusation contre Marie, cette fable de l'adultère n'est appuyée d'aucune preuve et la vraisemblance même la contredit. Comment la reine aurait-elle attendu la conclusion de son mariage pour s'éprendre d'un homme qui n'avait rien de séduisant et qui, depuis deux ans, était à son service ? Comment est-il possible de croire que quelques mois après un mariage d'amour, quelques mois avant de mettre son enfant au monde, en pleine floraison de sa grossesse, une femme, jusque-là digne, ait tronqué pour la première fois et tout à coup, l'honnêteté d'une vie, honorée jusque-là même par ses ennemis? Jusqu'à son mariage, si j'en crois Randolph, Cécil, Maitland et tous les autres, Marie était la princesse la plus digne et la plus honorable dans toutes ses actions ; depuis, ce n'est pas seulement une vulgaire gourgandine, mais une louve et une hyène. Comprenne qui pourra cette métamorphose, même dans des circonstances où elle est inconcevable. La liaison adultère de la reine avec Riccio est un mensonge grossier, inventé pour les besoins d'une cause abominable, et ceux même qui l'ont colporté ont oublié, le crime commis, de s'en servir. Le meurtre de Riccio est un assassinat politique.
67. L'assassinat de Riccio à Holyrood et la révolte précédente de8 Murray avaient été deux complots aristocratiques, accomplis avec la conspiration du parti protestant et les encouragements de l'Angleterre. Le prétexte de ces complots avait varié; mais le but était toujours le même ; c'était toujours la dépossession, le renversement, la captivité de la reine, attentat jugé nécessaire pour assurer le triomphe des nobles, des calvinistes et de la reine Elisabeth. Les conspirateurs voulaient enfermer la reine et faire gouverner l'Ecosse par Murray et Morton, sous le nom de Darnley, à qui, pour amuser
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(1) Cf. Pktit, Hlst. de Marie Stuart, t. II, p. 273. Il y a là une excellente dissertation sur ce sujet.
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sa fatuité étourdie, on donnerait la couronne matrimoniale. En quittant Holyrood, ils dirent au roi : « Si par suite de la confiance que nous avons en vous, il est versé du sang, ce sang retombera sur votre tête. » Darnley, aussi pusillanime que cruel, ses complices partis, se montra épouvanté et consentit à les combattre. Afin d'assurer sa victoire, en les privant de leurs auxiliaires, Marie pardonna au comte de Murray, qui rentra en Ecosse, pendant que les meurtriers de Riccio allaient chercher abri à la cour d'Elisabeth. Le 19 juin 1568, Marie accoucha d'un fils, qui fut Jacques VI ; Elisabeth l'apprit avec chagrin, mais après avoir trahi son dépit, sut garder au moins les dehors de la bienveillance. Cependant les discussions entre Darnley et la reine allaient toujours croissant ; ce pauvre fou faisait à Marie des scènes incessantes et s'éloignait d'elle de la façon la plus extravagante. Il était difficile, à Marie, d'aimer tendrement un homme qu'elle savait ivrogne, libertin, assassin; mais elle le respectait, lui témoignait des attentions, espérait toujours qu'il reviendrait et se refusa noblement à s'en séparer. Les complices de Darnley, qu'il avait trahis, le tenaient pour un misérable, et, afin de s'en débarrasser, ne parlaient de rien moins que de le traiter comme un simple Riccio. Darnley, devenu un obstacle à leurs desseins impies, devait disparaître au besoin sous leurs coups. Epouvanté pour sa sûreté personnelle, Darnley parlait de quitter l'Ecosse, lorsqu'il fut atteint de la petite vérole à Glascow. La reine lui envoya son médecin, puis se rendit près de lui, et, se réconciliant encore une fois, ils revinrent ensemble à Edimbourg, le 31 janvier 1567. Le roi fut logé dans la jolie maison de Kirk of Field, hors de la ville ; dans la crainte que l'enfant ne prit la petite vérole, la reine et son fils habitèrent Holyrood, mais Marie était remplie d'attention pour son mari, la paix était faite et, ce semble, pour toujours. Dans la soirée du 9 février, Marie vint encore voir Darnley et resta jusque près de dix heures. Alors elle retourna au palais pour assister aux réjouissances du mariage d'une de ses suivantes. Après le départ de la reine, les nobles, qui s'étaient liés à Wittingham par un bond pour assassiner Darnley, vinrent en secret à Kirk, pénétrèrent à l'aide de fausses clefs au rez-de-chaussée,
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et déposèrent un baril de poudre dans une mine ouverte sous la maison. Vers deux heures du matin, l'explosion eut lieu, qui jeta l'alarme dans toute la ville. On trouva, dans un verger voisin, le cadavre de Darnley et le corps inanimé de son jeune page. Tous deux avaient été étranglés et portés dans le verger avant l'explosion, qui n'aurait eu lieu que pour masquer le crime.
68. Nous touchons à des catastrophes épouvantables. On se demande comment a pu se perpétrer ce nouveau crime et pourquoi. La réponse ressort naturellement des faits. Les nobles ont conçu le dessein de servir, par leur action politique, le triple intérêt de la noblesse et du calvinisme de l'Angleterre; ils ont tué Riccio, coupable à leurs yeux d'entraver cette politique de criminel égoïsme; ils tuent maintenant Darnley devenu, à son tour, un obstacle à cette politique. Pour le tuer ils choisissent Bothwell, et, pour le déterminer à l'assassinat, ils lui promettent, comme à Darnley, la couronne matrimoniale. Jacques d'Hepburn, comte de Bothwell, était un homme de trente à quarante ans, qui avait joué un certain rôle dans ces temps de trouble. Chef de la puissante et ancienne famille d'Hepburn, il exerçait beaucoup d'influence dans le Lothian et dans le comté de Berwick, où l'on trouvait toujours d'exellents soldats. La conduite de Bothwell était licencieuse; son ambition effrénée. Cependant, quoique protestant, il détestait l'Angleterre et avait rendu des services à la reine. Dans le meurtre de Riccio, il avait essayé, au péril de sa vie, de dégager la reine; après son évasion, il avait été un des premiers à son aide pour la ramener triomphante à Edimbourg. Murray tenta de le gagner aux desseins de l'aristocratie écossaise ; pour le décider, il lui promit la main de la reine et le pouvoir suprême; et pour lui donner des complices, il profita du baptême de Jacques VI en obtenant, en faveur des assassins de Riccio, un décret d'amnistie. Il n'y eut d'excepté que Georges Douglas et Karr de Paudenside ; l'un avait dirigé son pistolet sur la reine Marie, l'autre avait frappé du poignard le malheureux Italien. Cet acte de clémence intempestive était une faute; au lieu d'amnistier ces scélérats, la reine eût dû lesvexterminer jusqu'au dernier. Leur retour avait irrité Darnley, qui
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les avait trahis; non content de les provoquer à tout instant par desrécriminations et des menaces, il avait rompu avec la reine, ajoutant ainsi à ses torts la maladresse d'autoriser, par ses extravagances, les accusations que les assassins élèveront bientôt contre Marie. Le secret de la conspiration ourdie contre lui avait fini par se répandre. Darnley lui-même en avait été informé par Robert Stuart, frère naturel de la reine. Murray les rassura tous les deux, prétendant qu'un complot, s'il existait, n'aurait jamais pu lui échapper. Cet incident, qui aurait pu mettre sur les traces de la conjuration, en précipita l'effet. A défaut de Ruthwen, qui venait de mourir, de Murray et de Morton qui se réunirent, les conjurés s'adressèrent à Bothwell et firent miroiter, sous ses yeux, leurs grossières amorces. Abusé par les brutales convoitises de son ambition, ne sachant, ni deviner, ni prévoir les vues de ceux qui le poussaient, Bothwell se prépara sans retard à frapper sa victime. Son plan paraît avoir été d'assaillir Darnley dans une ambuscade à travers champs; mais instruit des ruines pratiquées dans la maison des Champs, il résolut de s'en servir; fixa le coup à la nuit du 8 au 9 février; et, à cause de la présence de la reine cette nuit-là dans la maison, le remit à la nuit suivante. Il est indubitable que Bothwell avait reçu des conjurés la mission de tuer le roi et il est certain que, présent sur le théâtre du crime, il en fut l'exécuteur. Mais ce qui révèle le vrai caractère de cet assassinat, c'est l'active participation de tous les conjurés qui, sauf Murray et Morton, y prêtèrent la main. Archibald Douglas, Karr de Bardenside, les deux Balfour, John Maitland et la plupart des conjurés accompagnaient Bothwell. Conçoit-on que la reine, pour assassiner son mari, ait appelé les assassins de Riccio, ceux-là mêmes qu'elle avait exclus de l'amnistie et rappelé seulement sur les instances de Murray, leur complice? Ce qui écarte encore même l'idée d'une complicité de Marie Stuart, c'est la connivence de l'Angleterre et les informations précises que reçut Elisabeth, le lendemain même de l'assassinat. « Le roi, écrivait à lord Cécil le prévôt de Berwick, fut long à mourir et défendit sa vie de toutes ses forces. » Ce douloureux détail, qu'il ne pouvait tenir que des assassins, se trouve
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confirmé par une lettre du nonce, insérée dans le recueil du prince Labanoff et qui raconte, à la date du 10 mars 1037, les incidents de la résistance de Darnley. La correspondance du comte Moretta, qui se trouvait à Edimbourg au moment de l'explosion, ne laisse, non plus, aucun doute sur l'assassinat de Darnley. Deux femmes virent l'assassin, l'une d'elle en arrêta même un qui était vêtu de soie et portait un masque. Comment enfin, si l'on suppose Marie Stuart dans l'affaire, comprendre que ses complices se retournent immédiatement contre elle, pour la renverser, l'incarcérer et la faire décapiter ?