Darras tome 18 p. 548
36. Deux jours après, le 7 octobre 869, la seconde session s'ouvrit avec le même cérémonial et le même nombre de pères et de députés impériaux. Le diacre Paul, chartophylax (archiviste du patriarcat) monta à l'ambon et dit: «Les évêques qui ont succombé sous la tyrannie de Photius se présentent avec un mémoire (libellus) qu'ils veulent soumettre à ce saint et œcuménique synode. Ils demandent à être introduits. — Qu'ils entrent, répondirent les légats et les pères. — On les introduisit donc, et ils se prosternèrent tous la face contre terre, attendant le jugement du concile. — Qui êtes-vous, demandèrent les légats apostoliques, et de qui avez vous reçu la consécration épiscopale ? — Théodore, métropolitain de Carie, répondit : Nous avons été sacrés les uns par notre seigneur le très-saint partriarchc Ignace, les autres par son vénérable prédécesseur Méthodius. —Combien êtes vous? demandèrent encore les légats. —Je ne sais pas au juste notre nombre, répondit Théodore. -Et les légats reprirent : Que venez vous faire ? que voulez vous ?-Tous ces évêques dirent alors : -nous venons implorer la miséricorde du saint et œcuménique concile, nous soumettant d'avance à la pénitence et à la satisfaction qu'il daignera nous imposer. — Que tenez-vous à la main? reprirent les légats. — C'est, dirent-ils, le libellus de notre confession, où sont énumérées les fautes dont nous nous sommes rendus coupables à l'égard de notre seigneur le très-saint patriarche Ignace. —Vous confessez donc que vous avez péché envers lui? ajoutèrent les légats. — Oui, nous le confessons, dirent-ils. » — Sur l'ordre du concile, le diacre et notarius Etienne prit des mains de l'archevêque de Carie le libellus de confession et en donna lecture. Il était conçu en ces termes : « Si les cruautés de Photius étaient inconnues à Rome, nous aurions besoin d'un long discours pour les exposer en détail, il nous faudrait reprendre une à une les atrocités, les tortures, que nous a infligées ce tyran. Jamais la puissance du mal ne s'incarna dans un homme plus pervers;
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' Aci. vin Sy-iod. rj'ncnd., !oc. ct-.ii'., co!. -îi-iT.
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toujours le mensonge sur les lèvres, il pense d'une façon et parle d'une autre ; il propose le bien et finit par le mal ; il excelle à captiver et à séduire les intelligences ; nul ne l'a surpassé et ne le surpassera jamais dans l'art diabolique de tromper. Vous savez à quels excès il a porté son audace contre le très-saint pape Nicolas, la gloire de l'Église, l'honneur de notre siècle, ce pontife incomparable dont la vie fut un miracle de sainteté, dont la science a illuminé le monde. Photius a suborné de faux témoins, il réunit un pseudo-synode où comparurent de faux légats soi-disant venus pour représenter les divers patriarcats de l'Orient; et il a jugé, condamné et anathématisé le grand pape. Notre vénérable patriarche Ignace ne fut pas mieux traité. Photius après l'avoir fait condamner à la prison et à l'exil, lui infligea le supplice de la flagellation, le fit charger de fers, ne lui épargna aucune torture pour en obtenir un acte d'abdication. S'il osa traiter ainsi ce pontife auguste, fils et petit-fils d'empereurs, on conçoit qu'il n'ait reculé devant aucun genre de cruautés pour nous contraindre nous-mêmes à subir sa tyrannie. Un grand nombre d'entre nous furent jetés dans les prisons du prétoire où ils ont souffert la soif et la faim ; d'autres condamnés à scier les marbres des chantiers publics, et livrés à la brutalité de gardiens farouches qui se faisaient un jeu cruel de les frapper à coups de sabre, à coups de pied dans le ventre, arrachant les entrailles de leurs victimes et les laissant inanimées sur le théâtre de leurs sanglantes exécutions. Nous n'étions plus, pour ces barbares, ni évêques, ni prêtres, nous avions perdu à leurs yeux jusqu'à notre condition d'hommes. On nous enchaînait comme des animaux dans une ménagerie, et on nous jetait ironiquement du foin pour toute nourriture. Combien sont morts dans ces cachots infects, entourés de bourreaux qui insultaient à leurs souffrances ! Combien d'autres déportés jusqu'aux extrémités du monde, sont errants au milieu des hordes païennes, sans secours, sans appui, livrés à toutes les horreurs du dénûment et de la détresse ! Nous avons eu la friblesse de nous laisser vaincre par tant de tortures que nous avons souffertes et que nous voyions souffrir aux autres ; nous avons cédé en gémissant. Aujourd'hui nous implorons votre miséricorde, dans les larmes et le repen-
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tir d'un cœur contrit et humilié. Nous anathématisons Photius et son schisme, et nous sommes prêts à accepter la pénitence qu'il plaira au vénérable patriarche de nous imposer. » Les légats apostoliques dirent alors aux évêques pénitents : «La sainte Église romaine ne ferme pas son sein maternel au repentir sincère. Elle vous reçoit tous dans sa communion, pourvu que vous souscriviez le formulaire de foi que le très-bienheureux pape Adrien nous a donné l'ordre de présenter à votre signature. Voulez-vous le souscrire?— Nous le voulons, répondirent les évêques. » On plaça donc le formulaire au pied de la croix sur le livre des Évangiles déposé sur l'autel dressé au milieu de l'assemblée. Chacun des évêques pénitents vint le transcrire et signer de sa main la copie qu'il remettait ensuite entre les mains du patriarche Ignace. Lorsque le métropolitain de Carie, Théodore, le premier de tous présenta sa profession de foi, le patriarche lui dit ces paroles évangéliques : « Voici que tu es guéri, ne pèche plus désormais, de peur qu'il ne t'arrive pire1. » — « Seigneur, répondit Théodore, nous implorons sincèrement de votre sainteté le pardon de nos erreurs et de nos fautes. Nous remettons entre vos mains miséricordieuses cette profession écrite de la foi que nous jurons de garder inviolablement tout le reste de notre vie. —Vous agissez saintement, mes fils bien-aimés, répondit le patriarche. Je vous reçois avec la même allégresse que le père de l'enfant prodigue dans la parabole évangélique. » —En parlant ainsi le patriarche revêtit Théodore du surhuméral. Il fit de même pour chacun des autres pénitents, et quand ils eurent repris leurs ornements épiscopaux, ils vinrent prendre séance chacun selon leur rang. C'étaient, outre Théodore, Euthymius de Catane, Photius de Nacolie, Etienne de Chypre, Etienne de Cyprela, Théodore de Sinope, Basile de Pyrgium, Grégoire de Misène, Eustathius d'AEmonia, Xénophon de Milasso et Léon de Daphnusia. On introduisit alors successivement les prêtres, diacres et sous-diacres, qui avaient cédé aux violences de Photius et accepté sa domination
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1. Eue sanus faclt'S es; jmn noli pecenre, ne deleritis l'Ai aliqmd contingat. (Joann. v, 14.)
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tyrannique. Ils souscrivirent le formulaire de foi et furent reçus à la communion de l'Église. Le patriarche Ignace leur rendit les insignes de leur ordre, et imposa à tous les pénitents réhabilités, évêques et clercs, la pénitence suivante : «Jusqu'aux prochaines fêtes de Noël, ceux d'entre les pénitents réhabilités qui ne sont point d'ailleurs soumis à la xérophagie feront abstinence de viande, de fromage et d'œufs; ceux qui pratiquent la xérophagie y ajouteront le mercredi et le vendredi de chaque semaine l'abstinence de poisson, d'oeufs et de fromage. Tous feront chaque jour cinquante génuflexions en disant à chacune deux fois Kyrie eleyson et deux fois : Seigneur, j'ai péché; Seigneur, pardonnez-moi. Ils réciteront une fois1 par jour les psaumes VIe et XXXVIIe Domine, ne in furore tuo arguas me ; ave le 4e Miserere mei Deus. Enfin ils resteront jusqu'à Noël privés du pouvoir de célébrer les saints mystères. » Tous acceptèrent cette pénitence, et après les acclamations accoutumées la IIe session fut close1.
38. Le lecteur s'est, nous n'en doutons pas, attendri en voyant le métropolitain de Carie, Théodore, et les dix évêques ses compagnons prodiguer de la sorte les témoignages extérieurs de leur repentir, implorer en termes si touchants la miséricorde des légats apostoliques et du concile, accepter enfin avec tant d'humilité la pénitence qui leur était imposée. Ce n'était pourtant là qu'une comédie sacrilège. Théodore, l'un des signataires du pseudo-synode qui avait anathématisé le pape saint Nicolas le Grand, restait de cœur et d'âme dévoué au schismatique Photius, dont il devait plus tard soutenir la cause et embrasser les vengeances avec une ardeur d'autant plus farouche que le souvenir des humiliations passées révoltait davantage son orgueil. Tant était invétérée la plaie schismatique de cette malheureuse Église d'Orient, où la révolte contre le saint-siége, le servilisme césarien, l'esprit d'indépendance étaient passés à l'état de tradition ! L'empereur Basile lui-même, en prenant l'initiative d'une réconciliation avec l'Église romaine, n'obéissait point à une conviction sérieuse ni à un sentiment sincère. Son
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1 Acl, vin, Synod. gênera!., loc. cit.. col. 4S-5J.
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but était exclusivement politique. Il était alors question du mariage de son fils aîné Constantin avec la fille de Louis II d'Italie. L'ambassade du comte Suppo et d'Anastase le Bibliothécaire à Constantinople se rattachait à cette négociation, qui d'ailleurs échoua dans la suite. La convocation du VIIIe concile général, le rétablissement préalable du légitime patriarche Ignace, la déposition de Photius et sa réclusion dans un monastère par ordre du nouvel empereur byzantin, étaient autant de concessions politiques arrachées par la nécessité des circonstances à la volonté du César de Byzance. Les démonstrations pleines d'une emphase obséquieuse qui avaient accompagné l'arrivée des légats apostoliques n'avaient pas d'autre signification. Le métropolitain de Carie et les dix évêques ses compagnons de pénitence le savaient. Photius lui-même ne l'ignorait pas; et telle était dans ces Grecs dégénérés l'habitude de la duplicité et de la fourberie, que nul ne reculait devant les parjures et les plus infâmes sacrilèges, quand il s'agissait de mériter les faveurs de César.
40. La troisième session s'ouvrit le II octobre 869. Les évêques réhabilités y siégèrent de nouveau, ce qui porta le nombre des pères à vingt-neuf. Ce chiffre restreint prouve assez le peu d'empressement que l'épiscopat d'Orient mettait à reconnaître l'autorité du concile et à se rallier à la communion du saint-siége. Au début de la séance, les légats apostoliques en firent l'observation. « Nous sommes informés, dirent-ils, qu'un certain nombre d'évêques compromis dans le schisme de Photius se défient encore de la piété et de la miséricorde de la sainte Eglise; ils refusent de souscrire le formulaire de foi proposé à leur signature par le très-bienheureux et saint pontife Adrien. Il nous semble donc nécessaire que vous alliez leur transmettre une citation canonique formulée en ces termes : Le saint synode vous appelle dans son sein pour y être reçus selon les formes prescrites par l'autorité du saint-siége à la communion de l'Église catholique. Vous y souscrirez la profession de foi déjà signée par les évêques vos frères et collègues, et vous serez comme eux admis à siéger dans le saint et œcuménique concile. » Les trois métropolitains Métrophane de Smyrne. Nicéphore d'A-
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masie, et Nicétas d'Athènes, furent délégués pour communiquer ce message aux opposauts. Ils furent reçus par le métropolitain d'Ancyre, Théodule, et par Nicéphore, métropolitain de Nicée, qui répondirent au nom de leurs collègues et suffragants : « Il n'y a eu jusqu'ici que trop de souscriptions et de signatures données dans un sens ou dans l'autre. Tous nos malheurs viennent de cette manie de souscriptions et de signatures. Nous sommes résolus à n'en plus donner aucune. Pour tout ce qui concerne la foi et la discipline, nous nous en référons au symbole dogmatique et à l'acte de serment que nous avons souscrit le jour de notre consécration épiscopale, et qui sont déposés l'un et l'autre dans les archives du vénérable patriarche.» Après ce refus péremptoire, la session synodale se trouvait forcément inoccupée. Ou lut pour passer le temps la lettre de l'empereur Basile au pape saint Nicolas Ier, et la réponse du grand pontife, qui provoqua les acclamations suivantes : « La lettre du pontife Nicolas est juste, canonique, équitable. Le saint et universel concile déclare que toute l'épître du très-saint pape Nicolas est conforme à la justice, à la vérité, à la tradition apostolique et à la foi orthodoxe. » Puis on répéta les acclamations finales ordinaires, et la séance fut levée 1.
41. Deux jours après, le 13 octobre 869, la quatrième session s'ouvrit avec le cérémonial accoutumé, et le même nombre de vingt-neuf pères, y compris les légats apostoliques. Les opposants avaient persévéré dans leur abstention systématique, sans qu'un seul eût manifesté l'intention de rentrer dans la communion orthodoxe. Le patrice Bahanès prit la parole en ces termes : « Il y a deux évêques, Théophile et Zacharie, ordonnés tous deux par le très-bienheureux patriarche Méthodius, qui continuent à suivre le parti de Photius. Ils s'offrent à prouver que l'Église romaine a reçu Photius dans sa communion. Vous plaît-il de les faire introduire et d'entendre leurs raisons?» — Sur la proposition des légats, on convint d'envoyer à ces schismatiques trois députés synodaux, les religieux clercs Pancratius et Ananie, avec le spathaire et cubicu-
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1. Arl. Vil!, tyipidj fli'HiVi»' , loe. cit., col. JS-G3.
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laire impérial Grégoire. A leur retour, ces délégués rendirent compte de leur mission en ces termes : « Le saint et œcuménique concile nous avait chargés de transmettre aux évêques Théophile et Zacharie cette double question : Qui vous a consacrés évêques? A quelle communion appartenez-vous? Tous deux ont fait la même réponse : Nous avons été sacrés par le seigneur Méthodius ; nous appartenons à la communion du seigneur Photius, patriarche de Constantinople. » —A ces mots, les légats apostoliques s'écrièrent: «Qu'ils partagent donc l'anathème de l'intrus dont ils soutiennent la cause! » — Cette solution ne fut nullement du goût des commissaires impériaux. Leur chef, Bananes, déclara qu'en vertu des instructions formelles de l'empereur leur maître, ni lui ni ses collègues ne consentiraient à signer les procès-verbaux de l'assemblée si l'on y refusait l'entrée du concile à ceux qui voulaient y soumettre leurs observations et y produire leurs moyens de défense. Les légats apostoliques répondirent : Il ne nous est pas permis d'outre-passer les ordres du siège apostolique, ni de laisser enfreindre les décrets des souverains pontifes. C'est vainement que les deux évêques Théophile et Zacharie préfendraient se justifier en disant qu'ils ne connaissent point la sentence d'excommunication, de déposition et d'anathème itérativement portée par les bienheureux papes Nicolas et Adrien contre l'usurpateur Photius. L'univers entier, l'Orient et l’Occident, toutes les églises patriarcales, celle de Constantinople en particulier, le savent. Mais enfin qu'ils entrent; ils se tiendront au rang inférieur et on lira devant eux la lettre du pape Nicolas à l'empereur Michel portant condamnation de Photius. » — « Puisque votre sainteté nous accorde cette faveur, reprit Bahanès, permettez en outre qu'on introduise avec Théophile et Zacharie trois ou quatre autres évêques et autant de laïques qui suivent encore le parti de Photius, afin qu'ils entendent la lecture des pièces officielles et puissent se convaincre de la vérité. » Les légats apostoliques y consentirent sous la réserve expresse qu'on les admettrait uniquement à entendre la lecture de la lettre du pape Nicolas. Mais quand on voulut introduire ces différentes personnes, il se trouva que les autres évêques et les laïques dont avait parlé
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Bahanès s'étaient retirés, laissant Théophile et Zacharie qui comparurent seuls. Quand ils eurent été introduits, les légats apostoliques s'adressant au patrice Bahanès lui dirent : « Ces deux personnages ont-ils un mémoire (libellus) à présenter au concile, ou veulent-ils simplement exposer de vive voix une proposition quelconque? — Nullement, répondit Bahanès. Mais ce sont eux qui égarent le peuple, en soutenant que personnellement ils ont été admis à la communion du très-bienheureux pape Nicolas. Or, ajoutent-ils, puisque nous qui communiquons avec Photius avons été admis à la communion du siège apostolique, Photius lui-même ne saurait en avoir été exclu. Grâce à ce sophisme, ils entretiennent dans tous les esprits la résistance au siège apostolique. — « Demandez-leur, reprirent les légats, s'ils consentent à souscrire le formulaire de foi prescrit par le très-bienheureux pape Adrien.» Bahanès déclina d'abord cette mission. «Il n'appartient qu'à vous seuls, dit-il, de les interroger. » — Mais les légats insistèrent, en sorte que Bahanès dut les interroger lui-même, ce qu'il fit en ces termes : «Par l'autorité des légats apostoliques, je vous demande si vous voulez entendre la lecture du formulaire de foi dont le saint-siége a prescrit la signature? — Non, répondirent-ils, nous ne voulons ni entendre la lecture de ce document, ni le signer. Nous ne voulions pas davantage venir dans cette assemblée ; mais, comme nous étions au palais, l'empereur nous a fait amener ici. — Cependant, dit Bahanès, quand vous étiez au palais, vous disiez publiquement qu'il vous serait facile de prouver envers et contre tous que vous aviez été admis à la communion épiscopale par le très-bienheureux pape Nicolas en personne. —Nous l'avons dit et nous le disons encore, reprirent-ils. Le pape Nicolas nous a reçus comme des évêques doivent l'être, nous l'avons assisté dans la célébration des saints mystères et il nous a communiés de sa main. — A ces mots, les légats s'écrièrent : A Dieu ne plaise ! ces hommes sont des menteurs. — Si nous sommes des menteurs, reprirent Théophile et Zacharie, pourquoi se donne-t-on la peine de nous interroger? — Quoi donc! repartit le diacre et légat apostolique Marinus, est-ce qu'un interrogatoire est un brevet de véracité pour celui qui le
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subit? — L'évoque Théophile s'adressant au concile et désignant le diacre Marinus, reprit : C'est lui-même qu'il vous faut interroger. Demandez-lui s'il n'était pas à Rome au moment où nous y avons été envoyés en ambassade et s'il n'a pas vu de ses yeux l'accueil qui nous fut fait par le pape Nicolas. —Le très-honorable diacre et légat du saint-siége répondit en ces termes : A l'époque dont il est question, j'étais sous-diacre de l'Église romaine, ordre qui m'avait été conféré parle très-saint pontife Léon IV. Depuis l'âge de douze ans, je servais l'Eglise dans la cléricature. Lorsque les deux personnages envoyés avec Arsavir par l'empereur Michel arrivèrent à Rome, j'exerçais les fonctions de mon ordre dans la basilique de Sainte-Marie-ad-presepe. C'est là qu'ils furent reçus par le très-bienheureux pontife Nicolas, après qu'ils eurent souscrit la profession et le serment que l'Église romaine exige de tous les pèlerins qu'elle reçoit à sa communion. Ils ont signé ces deux actes, et ils furent admis à communier des mains du pontife, non pas à leur rang d'évêques, mais seulement parmi l'ordre des laïques. » — Confondus par cette exposition nette et lucide, les deux imposteurs essayèrent vainement d'en atténuer la force. On lut devant eux les lettres de Nicolas Ier à l'empereur Michel et à Photius, afin qu'ils ne pussent à l'avenir arguer d'une prétendue ignorance des censures portées contre l'intrus. Après quoi, les légats apostoliques dirent à Bahanès : « Demandez-leur maintenant s'ils veulent souscrire le formulaire de foi. » Bahanès transmit aux deux rebelles cette interrogation. «Nous n'en voulons même pas entendre la lecture ! » s'écrièrent-ils. » Qu'on les chasse de l'assemblée,» dirent les légats. Il fut fait ainsi, et après les acclamations ordinaires la séance fut levée 1.
42. Après un intervalle de six jours vainement employés à vaincre la résistance des évêques schismatiques qui refusaient obstinément de comparaître au concile, la cinquième session eut lieu le 19 octobre 869. Le nombre des pères s'éleva de vingt-neuf à trente-cinq par l'arrivée des deux métropolitains Basile d'Éphèse, Bar-
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1. Ad. vin, Synod, gênerai., loc. cit., col. Cî-73.
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nabé de Cyzique et des quatre évêques Théodore de Lacédémone, Nicéphore de Zacynthe, Euthymius de Mosynone et Nicétas de Phocée. Le diacre et chartophylax Paul monta à l'ambon et dit : «L'évêque Zacharie, déjà entendu à la séance précédente, est revenu seul et demande à être entendu de nouveau. En outre, le très-chrétien empereur a fait venir Photius pour qu'il comparaisse devant le saint et universel concile. — Photius a-t-il demandé lui-même à comparaître devant cette assemblée? dirent les légats. — Nous ne le savons pas, répondit le diacre. Si votre sainteté le désire, elle peut le faire interroger lui-même sur ce point. » — On désigna pour cette mission cinq laïques, Eutychianus, capitaine des excubiti, le protospathaire Sisinnius, les officiers impériaux Georges, Léon, Cyriaque et Joseph. A leur retour, ils firent connaître le résultat de leur démarche en ces termes : « Le saint et oecuménique concile nous avait chargés de poser à Photius cette question : Voulez-vous ou non venir au sein de notre assemblée? et dans le cas où il répondrait par un refus, de lui en demander le motif. Voici les paroles que nous avons obtenues de lui : Je suis étrangement surpris que vous me mandiez aujourd'hui à un concile pour lequel jusqu'ici je n'avais reçu aucune convocation. Ce ne sera point volontairement que j'y comparaîtrai, mais je ne suis pas libre et on m'y traînera de force. » — Après cette réponse, il fut convenu unanimement qu'il serait passé outre, et après deux autres citations canoniques qui n'eurent pas plus de succès que la première, Photius fut amené par les gardes impériaux. Dès qu'il eut été introduit, les légats apostoliques demandèrent aux sénateurs : «Quel est cet homme qui se tient debout à la dernière place? — C'est Photius, répondirent les commissaires impériaux. — Le voilà donc, dirent les légats, ce Photius qui depuis sept ans n’a cessé d'outrager la sainte Église romaine, qui a désolé par les fureurs du schisme cette ville impériale de Constautinople et l'Orient tout entier ! — C'est lui-même, reprirent les sénateurs. — Consent-il aujourd'hui à recevoir les constitutions des souverains pontifes? demandèrent encore les légats. — Nous ne savons, répondirent les sénateurs. — Demandez-le lui, ajoutèrent les légats. — Les très-glorieux comtes
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du palais Georges et Papias, commencèrent alors l'interrogatoire et dirent à Photius : Recevez-vous les constitutions des saints pères? -Photius ne répondit rien. Recevez-vous les constitutions des saints pontifes de Rome? lui demandèrent les légats. — Photius ne répondit rien. Recevez-vous l'exposition dogmatique promulguée par le très-saint et bienheureux Nicolas, pape de Rome? — Photius ne répondit rien. Recevez-vous les décrets de son successeur le pontife Adrien?— Photius garda le même silence. Nous savons pourtant que vous ne manquez pas d'éloquence, reprirent les légats. Parlez donc. — Photius dit alors : Si je me tais, Dieu n'en entend pas moins ma voix. — Votre silence, reprirent les légats, n'aurait d'autre effet que de rendre plus manifeste la justice de votre condamnation. — Il en fut de même de Jésus-Christ, répondit Photius. Son silence ne l'empêcha point d'être condamné!»