St Maxime 2

Darras tome 16 p. 114

 

   21. Le samedi suivant, Maxime et son disciple Anastase furent de nouveau amenés au palais sénatorial pour un second interrogatoire. Le deux patriarches Pierre de Constantinople et Macaire d'Antioche assistaient à cette séance, mais ni l'un ni l'autre ne jugea à propos de prendre la parole. Anastase comparut le premier. « Est-il vrai que tu aies anathématisé le type? lui demandèrent les juges. — Non-seulement je l'ai de vive voix anathématisé, mais j'ai signé une profession de foi renfermant cet anathème. — Ne veux-tu pas main­tenant reconnaître ta faute?— A Dieu ne plaise, s'écria-t-il, que je considère comme une faute l'accomplissement d'un devoir sa-

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1 Act. S. Maxim., tom. cit., col. 120-125.

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cré ! » Rien ne put lui arracber un désaveu, et il fut ramené en prison. Maxime fut alors introduit dans l'assemblée, et le patrice Troïlus lui dit : «Abbé, comprenez votre situation, dites la vérité, et l'empereur vous fera miséricorde. Si vous nous forcez à une enquête légale sur les griefs articulés contre vous, le texte de la loi emporte une sentence de mort. — Vous savez fort bien, répondit Maxime, que les accusations dont vous parlez sont autant de calom­nies et de mensonges. Maintenant faites de moi ce que vous voudrez. Je sers Dieu, aucune injure ne saurait m'atteindre. — Mais, dit Troïlus, n'avez-vous pas anathématisé le type?— Oui, répondit Maxime, je vous l'ai dit déjà plusieurs fois. — Vous avez anathé­matisé le type, donc vous avez anathématisé l'empereur. — Non, reprit le serviteur de Dieu, je n'ai point anathématisé l'empereur, mais seulement un écrit condamné comme hérétique. — Où donc cet écrit fut-il condamné ? — A Rome, par un concile réuni dans l'église de la Mère de Dieu au Latran. » Le préfet du prétoire lui demanda : « Veux-tu, oui ou non, communiquer avec l'église de Constantinople ? — Non, répondit-il, je ne le veux pas. —Et pour­quoi ? répliqua le préfet. — Parce que l'église de Constantinople rejette l'autorité des conciles œcuméniques. — Elle la rejette si peu, objecta le préfet, que dans les diptyques sacrés elle nomme à l'autel les conciles généraux. — Qu'importe qu'on les nomme, dit le saint, quand on renverse leur croyance? — Pourrais-tu, dit le préfet, nous le démontrer? — Si le sénat le désire, dit Maxime, je suis prêt à lui fournir des preuves péremptoires. » — L'as­semblée ne répondit pas à cette mise en demeure. Il y eut un moment de silence, après lequel le sacellaire demanda à Maxime : « Pourquoi as-tu juré une telle haine aux Grecs, et réserves-tu pour les Romains tout ton amour ? — Le serviteur de Dieu répondit : La loi de Jésus-Christ nous défend de haïr personne. J'aime les Romains, leur foi est la mienne ; j'aime les Grecs, leur langue est ma langue, leur pays est ma patrie. — Quel âge as-tu? — Soixante-quinze ans. — Et ton disciple? — Il en a trente-sept. — Un des clercs qui assistaient à la séance s'écria : Vieillard, Dieu te rend tout ce que tu as fait souffrir au bienheureux Pyrrhus ! —

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Maxime ne répondit rien à ce lâche insulteur. » On remarqua beaucoup le silence des deux patriarches de Constantinople et d'Antioche, lesquels ne prirent pas une seule fois la parole. A propos du concile de Latran dont il venait d'être question, Démosthénès pré­senta à Maxime une objection ainsi formulée : «Ce concile est sans valeur, puisque celui qui le présidait, le pape Martin, a été déposé. — Il ne fut point déposé, répondit le serviteur de Dieu, mais exilé. Montrez-moi, si vous le pouvez, les actes canoniques du synode où aurait eu lieu sa prétendue déposition. — Le patrice Troïlus interrompit le confesseur en ces termes : Abbé, vous ne savez ce que vous dites. Ce qui est fait est fait 1. » Sur cette belle théorie des faits accomplis, que notre siècle a empruntée tant de fois au bas empire, la séance fut levée, et le prisonnier reconduit dans son cachot.


   22. Le 48 mai 635 jour de la Pentecôte, Maxime reçut dans sa prison la visite de deux émissaires du patriarche byzantin. Voici en quels termes il écrivit dès le lendemain à son disciple Anastase le procès-verbal de cette conférence. «A quelle église appartenez-vous, me demandèrent-ils, à celle de Constantinople, de Rome, d'Antioche, d'Alexandrie ou de Jérusalem ? Toutes sont mainte­nant, ainsi que les provinces qui en dépendent, unies dans la même profession de foi. Si donc vous voulez encore rester membre de l'Église catholique, il faut vous rallier à sa doctrine. N'ayez pas la prétention de frayer au monde une voie nouvelle dont seul vous auriez fait la découverte. Autrement vous pourriez, mais trop tard, vous en repentir. — L'Église catholique, leur dis-je, a été fondée par notre Seigneur et souverain maître en la personne de Pierre, le jour où ce glorieux apôtre confessa la divinité de Jésus-Christ. Je serais heureux d'apprendre les bases sur lesquelles l'union dont vous me parlez s'est accomplie entre les diverses églises; je souscrirai volontiers à tout ce qui aura été légitimement et canoniquement accompli. — Bien qne nos ins­tructions soient muettes sur ce point, répondirent-ils, pour ne pas

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1. Act. S. Maxim.; Pdtr. lat., tom. cit., col. 126-130.

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vous laisser l'ombre d'un prétexte à alléguer encore, nous consen­tons à vous en faire la confidence. Nous avons reconnu deux opé­rations en Jésus-Christ en raison de la distinction des natures, et une seule en raison de leur union. — Prétendez-vous, demandai-je alors, que ces deux opérations n'en font qu'une à cause de l'u­nion hypostatique, ou bien qu'outre ces deux opérations il y en a une autre? — Nous disons simplement, répliquèrent-ils, qu'en raison de l'union hypostatique les deux opérations n'en font qu'une.—Mais, répondis-je, confondre les deux opérations en une seule à cause de l'union des natures, les diviser ensuite à cause de la distinction des natures, c'est en réalité ne laisser subsister ni une seule ni deux opérations. Il m'est impossible de souscrire une telle profession de foi. Dites-le à ceux qui vous envoient, et qu'ils fassent de moi ce qu'ils voudront, puisqu'ils en ont la puis­sance. — S'il en est ainsi, me dirent-ils, si vous refusez d'obéir vous serez anathématisé par une sentence du pape, et la peine capitale suivra l'anatbème. Telle est la décision prise par l'empe­reur et le patriarche. — Que les desseins de Dieu s'accomplissent, répondis-je. Ma vie et ma mort le glorifieront dans les siècles des siècles 1. » L'entretien finit de la sorte, et les envoyés se reti­rèrent. La défection des apocrisiaires qui venaient de sanctionner la nouvelle formule monothélite et de communiquer in divinis avec le patriarche, durant les solennités de la Pentecôte, portait déjà ses fruits. L'autorité de ces indignes légats compromettait celle du pape lui-même. Maxime allait être anathématisé par eux au nom du souverain pontife. L'injustice, la fourberie, l'erreur triom­phaient à Constantinople, par la connivence de ceux-mêmes qui avaient reçu mission de les combattre jusqu'à la mort. Il importait que le pape saint Eugène fût promptement et sûrement informé d'un état de choses si lamentable. Anastase réussit à faire parvenir aux moines grecs réfugiés dans l'île de Sardaigne, à Gagliari, une lettre où il expose la situation. « Trouvez un prétexte, leur dit-il, pour être autorisés le plus tôt possible à faire le voyage de Rome.

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1 S. Maxim., ad Anastas. monach. ; Pair, grœc, tom. cit., col. 132.

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   Vous vous adresserez aux hommes pieux et fermes qui gouver­nent cette église fondée comme le rocher sur la foi immuable de Pierre, vous les instruirez de la défection des légats et des nou­velles manœuvres de l'hérésie 1. »

 

23. Le 19 mai 655 lendemain de la conférence de saint Maxime avec les envoyés du patriarche, un conseil se tint au palais impé­rial, « conseil, disent les actes, qui rappela celui de Pilate et des Juifs lors de la passion du Sauveur 2. » La peine de mort précé­demment portée contre les confesseurs y fut cependant commuée en celle de la déportation. Les clercs byzantins firent grand bruit de la mansuétude du patriarche, lequel avait arraché, non sans peine, disaient-ils, le consentement de l'empereur. Saint Maxime fut con­duit pieds nus, à travers les rochers, dans la forteresse de Byzias ; son disciple, séparé de lui, fut écroué à Perbère, et le prêtre Anastase à Sélimbrie. C'étaient les dernières places encore occu­pées par les Romains sur les frontières de Thrace. Aucun ordre ne fut donné ni pour l'habillement ni pour la subsistance des proscrits. Ils pouvaient mourir de froid et de faim, peu importait à la clémence impériale. La charité chrétienne prévint ce crime, et en prolongeant la souffrance des confesseurs, permit à la cruauté byzantine d'achever son œuvre et de consommer leur martyre.

 

    24. Un an plus tard, le 24 août 656, le castrum de Byzias recevait la visite de trois illustres personnages, Théodose évêque de Césarée en Bithynie, les patrices Paul et Théodose, désignés aussi dans les actes sous le nom de consuls, ce qui laisse supposer que le titre, sinon l'autorité des anciens consuls, était toujours en usage à Byzance. L'évêque était délégué par le patriarche de Constantinople, les deux consuls par l'empereur lui-même, pour essayer encore de séduire le saint abbé Maxime. Ils déployèrent dans cette mission toute l'hypocrisie, la souplesse, la ruse, les mensonges familiers aux grecs. Arrivés dans le cachot du confesseur, ils le firent asseoir au milieu d'eux. Les rôles avaient été partagés à

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1 S. Anastas., ad monach. Calaritan. ; Ibid., col. 134. — 2. S. Maxim., Vita ac certamen; Ibid., col. 95.

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l'avance. L'évêque seul devait diriger la controverse, et les deux patrices, juges et témoins du débat, n'intervenir que pour la con­clusion. « Seigneur abbé, dit l'évêque, comment vous trouvez-vous? — Je me trouve, répondit Maxime, dans l'état que la prédestination divine réservait de toute éternité à ma misérable existence. » Sur ce mot de prédestination, Théodose engagea amicalement une espèce de tournoi théologique où le saint abbé déploya les ressources de sa dialectique vive et serrée. L'évêque semblait l'écouter avec plaisir. « Par la vérité de Dieu lui-même, dit-il enfin, j'ai la plus grande joie à vous entendre ; c'est tout profit pour moi. Cependant nous avons, les seigneurs consuls et moi, un autre sujet à traiter avec vous. Le motif de notre voyage à travers les solitudes et les rochers du Caucase intéresse le monde entier ; l'allégresse sera universelle si notre mission près de vous peut réussir. — En quoi donc, reprit le confesseur, un misérable captif tel que je suis pourrait-il contribuer à la joie de l'univers? — Nous sommes délégués près de vous, répondit Théodose, par l'empereur lui-même et par le patriarche de Constantinople. Ils veulent savoir pourquoi vous rejetez leur communion. — Avez-vous, demanda le confesseur, une procuration écrite soit du patriarche soit du très-pieux empereur? — Seigneur abbé, répli­qua Théodose, vous ne devriez pas nous faire une pareille injure ni suspecter notre bonne foi. Quelque indigne que je puisse être d'un pareil honneur, je suis évêque. Les deux patrices qui m'ac­compagnent sont membres du sénat. Nous ne venons ici ni vous tenter ni vous surprendre ; à Dieu ne plaise ! — Quelles que soient vos intentions, reprit Maxime, je vous répondrai avec une entière franchise. » Reprenant alors l'histoire du monothélisme depuis Cyrus d'Alexandrie et le patriarche Sergius, il exposa les raisons théologiques qui avaient fait condamner cette erreur par l'église romaine. II insista en particulier sur l'impossibilité d'admettre le type comme règle de foi et de conduite. « Ce décret interdit l'usage des termes de une ou deux opérations en Jésus-Christ, dit-il. Cependant l'un de ces termes exprime la vérité, et il faut absolument s'en servir. Autrement vous seriez forcés

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de conclure à l'absurde et de reconnaître qu'il n'y a ni une ni deux ni aucune opération dans le Verbe incarné ; en d'autres termes, vous seriez contraints de nier la réalité de son existence. — Mais, objecta Théodose, on n'a pas prétendu toucher à la question dogmatique, laquelle reste entière. Le type est simplement une mesure admi­nistrative et non la définition d'un dogme. — En ce cas, reprit Maxime, si la question reste entière et qu'on soit libre après le type de professer sur les opérations en Jésus-Christ telle ou telle croyance,  pourquoi m'avoir jeté  dans  ces   contrées   barbares comme un athée et un scélérat? pourquoi la sentence qui me con­damne à l'exil dans cette forteresse de Byzias ? pourquoi mon dis­ciple est-il déporté à Perbère ; pourquoi le prêtre Anastase l'est-il à Sélimbrie ? » L'évêque de Césarée s'attendait-il à cet argument sans réplique; l'avait-il habilement provoqué pour assurer le suc­cès de sa comédie sacrilège, et se donner l'apparence d'avoir été convaincu par les raisons de son interlocuteur? il est impossible de le deviner. Après quelques instants de silence, il fixa les yeux sur Maxime, comme pour mieux attirer son attention sur ce qu'il allait dire; puis d'un ton grave et solennel il articula, en les accentuant une à une, les paroles suivantes : « Au nom de l'empereur notre maître, et sous la foi du serment, nous jurons que si vous com­muniquez avec nous le type sera révoqué. — Cela serait encore loin de suffire, dit Maxime. Que ferez-vous de l'ecthèse, confirmée en synode par les patriarches Sergius et Pyrrhus? — Vous savez bien, dit Théodose, que l'ecthèse a été rejetée et publiquement lacérée. — On l'a déchirée sur les murailles, répondit le saint, mais on l'a conservée dans les cœurs. Il n'est qu'un moyen de faire tomber le mur de séparation entre vous et nous, c'est de recevoir les pieuses définitions et les décrets du concile de Latran. Qu'on le fasse, et l'union est consommée. — Le concile de Latran n'a aucune autorité, interrompit l'évêque, puisqu'il s'est tenu sans l'autorisation impériale. — Eh quoi ! s'écria Maxime, est-ce donc la volonté de l'empereur qui règle les définitions de foi, et donne une valeur intrinsèque aux canons des conciles? Dans ce cas, il faut vous faire ariens, car les empereurs ont fait approuver l'aria-

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nisme en vingt synodes tenus sous leur pression immédiate, à Tyr, à Séleucie, à Sirmium, au latrocinium d'Éphèse. Mais non, évêque mon seigneur, vous savez vous-même et vous enseignez aux autres la loi canonique. Or, les canons prescrivent de célébrer chaque année deux synodes par province ecclésiastique pour le maintien de la foi et de la discipline ; jamais ils ne parlent ni d'un ordre à recevoir ni d'une autorisation à solliciter de l'empereur. » Théodose n'insista point ; « Vous dites vrai, je m'empresse de le reconnaître, ajouta-t-il. La rectitude dogmatique fait seule la va­leur des décisions synodales. » Ce mot était emprunté textuelle­ment aux conciles d'Antioche et de Chalcédoine. L'évêque, en le citant, faisait donc preuve d'une certaine érudition canonique. Il crut le moment favorable pour produire une série de textes em­pruntés, disait-il, aux pères les plus illustres, en faveur de la thèse monothèlite. «Le patriarche de Constantinople me les a remis lui-même avant mon départ. Ils sont du pape de Rome Jules, de Gré­goire le Thaumaturge, d'Athanase et de Jean Chrysostome. » La discussion de ces fameux textes mit au jour la déplorable habileté des Grecs en fait de falsifications littéraires. Le patriarche et son délégué avaient cru sans doute que, jeté aux confins de l'empire sur les frontières de la Thrace, enfermé dans le cachot d'une forteresse, n'ayant que fort peu de livres sous la main, le confesseur ne sau­rait rien répondre à un ensemble de témoignages dont il ne pourrait ni vérifier l'exactitude ni contrôler l'authenticité. Mais la mémoire du saint vieillard et son érudition valaient toutes les bibliothèques, et défiaient tous les faussaires de Byzance. Il prouva que les pré­tendues citations de saint Jules I, de Grégoire le Thaumaturge et d'Athanase, loin d'appartenir à ces grands hommes, étaient tirées des œuvres de l'hérétique Apollinaire. Deux témoignages prêtés à saint Jean Chrysostome furent restitués immédiatement par lui à Nestorius, avec indication précise du livre et de la page. L'évêque confondu sortit un instant de son rôle, et laissant déborder sa colère : «Effronté moine, s'écria-t-il, c'est Satan lui-même qui parle par ta bouche 1 ! »

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1 S. Maxim, Acia ; Pair, grœc, tom. XC, col. 138-147.

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   23. Ce coup de tonnerre, éclatant soudain au milieu d'une conférence jusque-là si paisible, n'était pas dans le programme. L'évêque se hâta d'en atténuer l'effet; il réussit même à le faire complè­tement oublier. Il se rejeta dans une longue controverse sur les deux opérations en Jésus-Christ, et à mesure que saint Maxime établissait dans toute sa netteté le dogme catholique, il affectait de paraître plus touché de ses raisons. II exposa successivement divers scrupules, et provoqua des explications dont il se mon­trait bientôt pleinement satisfait. « Nous aussi, soigneur, dit-il, nous confessons en Jésus-Christ deux opérations comme deux natures, l'une divine, l'autre humaine. L'âme humaine du Sauveur était douée de volonté propre ; la divinité avait la sienne. Toute­fois nous nous abstenons de dire deux opérations, deux volontés, dans la crainte d'indiquer un dualisme contradictoire, une lutte permanente en la personne du Verbe incarné. — Mais, répliqua Maxime, quand vous admettez en Jésus-Christ deux natures, est-ce que vous les supposez en lutte l'une contre l'autre? — Non sans doute, répondit l'évêque. —Pourquoi donc supposeriez-vous entre les deux volontés et opérations naturelles la lutte que vous ne reconnaissez nullement entre les deux natures?» L'évêque proposa une dernière difficulté. « Je ne saurais, dit-il, adopter un langage différent de celui des pères. Or, aucun n'a adopté ce terme de deux opérations, deux volontés en Jésus-Christ. » Saint Maxime prit alors les actes du concile de Latran qu'il avait emportés dans son exil, et montra les témoignages explicites des docteurs et des pères en faveur du dogme catholique. Le consul Théodose, intervenant pour la première fois, voulut lire lui-même à haute voix toute la série de ces témoignages. Quand la lecture fut terminée, l'évêque s'écria, comme si la vérité triomphait enfin de tous ses scrupules : « Dieu m'est témoin que j'eusse souscrit avec enthousiasme et depuis longtemps les actes de Latran, s'ils ne renfermaient des anathèmes nominatifs contre des personnes que je révère. Mais il faut en finir avec les considérations personnelles. Ce que les pères ont dit, je le dis avec eux. Qu'on apporte du parchemin; je vais souscrire ma profession de foi à deux natures, deux volontés, deux opérations

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en Jésus-Christ. Seulement communiquez avec nous, et l'union sera scellée. — Seigneur, répondit Maxime, je ne suis qu'un pauvre moine. Il ne m'appartient pas de recevoir la souscription d'un évêque en pareille matière. Si Dieu a incliné votre cœur au repen­tir, si vous consentez à recevoir l'enseignement des pères, c'est au pontife de Rome que, d'après les règles canoniques, l'empereur, le patriarche et le synode byzantin doivent adresser par écrit leur rétractation. Tant qu'on n'agira point ainsi, il m'est impos­sible d'entrer avec vous en communion, par la raison péremptoire que dans les saints mystères vous faites mémoire de personnages soumis à l'anathème. J'aurais dès lors tout lieu de craindre que l'excommunication qui les frappe ne m'atteignît personnellement comme complice. — Je respecte votre scrupule, dit l'évêque, et ne saurais aucunement blâmer ceux qui le partagent. Mais, au nom du Seigneur notre Dieu, donnez-nous votre avis sur la meilleure manière d'arriver à une pacification définitive. — Quel conseil puis-je vous donner? répondit Maxime. Il n'y a pas d'autre voie que celle que je viens d'indiquer. Obtenez de l'empereur et du patriarche qu'ils entrent tous deux dans l'esprit de mansuétude et d'humilité dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple. Que l'em­pereur adresse un rescrit et le patriarche une lettre synodique au pontife romain, pour faire profession de la foi catholique, et la paix des églises sera assurée. — Oui, nous allons agir ainsi, affirma l'évêque. Promettez-moi que, si l'on fait choix de ma personne pour m'envoyer au pape, vous viendrez avec moi. — Seigneur, répon­dit Maxime, il vaudrait mieux vous faire accompagner par le prêtre Anastase, actuellement exilé, à Sélimbrie. Il est romain ; depuis vingt ans il a lutté et souffert pour la foi qu'on professe à Rome ; son courage et ses malheurs lui ont valu l'affection et l'estime de ses compatriotes. — L'évêque repoussa cette idée. En plusieurs circonstances, dit-il, j'ai eu des discussions avec le prêtre Anas­tase. Il me serait peu agréable de l'avoir pour compagnon de voyage. — Qu'à cela ne tienne, répondit Maxime. Exécutez fidèle­ment les conventions, et je vous suivrai partout où vous voudrez. — Tous alors se levèrent, pleurant de joie et se félicitant d'avoir

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   posé les premières bases de la réconciliation. Puis s’agenouillant ils prièrent ensemble. Chacun d'eux fit serment de fidélité, tou­chant d'abord de la main et baisant ensuite les saints évangiles, la croix et une image de Notre-Dame Mère de Dieu. Au départ, l'évêque remit à saint Maxime un subside en argent, un manteau et une tunique. Le consul Théodose lui dit : Avec l'aide de Dieu, je rendrai un compte fidèle à l'empereur de toutes nos conven­tions, et j'espère les lui faire agréer. — Ils embrassèrent le con­fesseur et reprirent le chemin de Byzance1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon