Daras tome 27
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CHAPITRE XIII.
Ce n'est point par la puissance, mais par la justice que l'homme devait étre arraché à la puissance du diable.
171. Ce n'est point par sa puissance, mais bien par sa justice, que Dieu doit vaincre le diable. Car qu'y a‑t‑il de plus puissant que ce qui est tout‑puissant? Ou quelle est la créature dont la puissance peut être comparée à celle du Créateur? Mais quand le diable, par l'effet de sa perversité, fut devenu ambitieux de la puissance, il est devenu en même temps transfuge et ennemi déclaré de la justice; et les hommes marchent d'autant plus sur ses traces que négligeant davantage ou même allant jusqu'à hair la justice, ils ambitionnent la puissance et se félicitent s'ils l'obtiennent ou s'enflamment de plus grands désirs de l'obtenir. Il a plu à Dieu, pour arracher l'homme au pouvoir du diable, de vaincre ce dernier non par la puissance, mais par la justice, en sorte que les hommes qui imiteraient le Christ, cherchassent à vaincre de même le diable non par la puissance, mais par la justice. Ce n'est pas que la puissance doive être fuie comme un mal, mais c'est qu'il faut observer l'ordre d'après lequel la justice est la première. En effet, quelle peut être la puissance d'êtres mortels? Qu'ils cultivent la justice, et la puissance leur sera donnée avec l'immortalité. Comparée à cette puissance, celle des hommes qu'on appelle puissants sur la terre, quelque grande qu'elle soit, n'est qu'une faiblesse risible, et dès que les méchants semblent avoir une grande puissance, c'est pour creuser la fosse sous les pas du pécheur. Quant au juste, il s'exprime ainsi dans ses chants: « Heureux l'homme que vous avez vous‑même instruit, Seigneur, et à qui vous avez vous‑même enseigné votre loi, afin que vous adoucissiez les maux qu'il a à souffrir pendant les jours mauvais, jusqu'à ce qu'on ait creusé une fosse sous les pieds du pécheur. Car le Seigneur ne rejettera point son peuple, et il n'abandonnera point son héritage, jusqu'à ce que sa justice fasse éclater son jugement et que tous ceux qui ont le coeur droit paraissent devant elle. » (Ps. XCIII, 12, 15.) Quand sera venu le temps jusqu'où est différée la puissance du peuple de Dieu, le Seigneur ne rejettera point son peuple et n'abandonnera point son héritage. Quels que soient les traitements pénibles et indignes qu'il endure dans sa faiblesse et dans son abaissement, jusqu'au jour où la justice qui est maintenant le lot de la faiblesse des hommes pieux, se change en jugement, c'est‑à‑dire recevra la puissance de juger, ce qui attend les justes à la fin du monde, lorsque la puissance viendra en son rang, après la justice qui l'aura précédée. La puissance unie à la justice, ou la
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justice s'ajoutant à la puissance constitue la puissance judiciaire. Or, la justice se rapporte à la bonne volonté; aussi les anges ont‑ils dit à la naissance du Christ: « Gloire à Dieu, au plus haut des cieux, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté. » (Luc, II, 14.) Quant à la puissance, elle doit venir après la justice, non point la précéder. Voilà pourquoi on la place parmi les choses secondes ou prospères, car elles sont appelées ainsi secunda, du mot suivre, sequi. Comme il y a deux choses, ainsi que je l’ai dit plus haut, qui font l'homme heureux, vouloir selon le bien et pouvoir ce qu'on veut, il ne doit point s'y trouver ce genre de perversité signalée dans le même endroit de notre discussion, qui consisterait, pour l'homme, à choisir celle qu'il lui plaîrait des deux choses qui font le souverain bonheur, et à négliger de vouloir ce qu'il faut, puisqu'il doit commencer par avoir une bonne volonté, et n'avoir qu'ensuite une grande puissance. Or, la bonne volonté doit être purifiée des vices qui ne peuvent avoir pour effet, sur l'homme, s'il est vaincu par eux, que de lui faire vouloir le mal, et dès lors comment sa volonté sera‑t‑elle une bonne volonté ? Il faut donc souhaiter que la puissance nous soit accordée dès maintenant, mais contre les vices. Or, ce n'est point pour vaincre les vices, mais leurs semblables, que les hommes veulent la puissance. Pourquoi cela, sinon pour que, véritablement vaincus, ils ne remportent qu'une fausse victoire et pour n'être vainqueurs que dans l'opinion des mortels, non en réalité? Que l'homme veuille être prudent, qu'il veuille être fort, qu'il veuille être tempérant, qu'il veuille être juste, et qu'il ne désire la puissance qu'afin de pouvoir être tout cela, qu'il ambitionne d'être puissant au fond de son cœur et même, d'une manière admirable, puissant contre lui, mais pour lui. Quant aux autres choses, qu'il veut d'une volonté bonne, mais qu'il ne peut avoir, telles que l'immortalité et la vraie et complète félicité, qu'il ne cesse de les désirer et qu'il les attende avec patience.
CHAPITRE XIV.
Par la mort qu'il n'avait point méritée, le Christ a délivré les hommes de la mort qu'ils avaient méritée,
18. Quelle est donc la justice qui a vaincu le diable? Laquelle cela peut‑il être sinon celle de Jésus‑Christ? Comment a‑t‑il été vaincu? car bien que le démon ne trouvât en Jésus‑Christ rien qui fût digne de mort, cependant il le fit périr. Et certainement c'est justice que les débiteurs qu'il tenait asservis s'en aillent délivrés, en croyant en celui qu'il a tué sans qu'il eût mériré la mort. Voila pourquoi il est dit que nous sommes justifiés par le sang du Christ (Rom. V, 9), c'est ainsi, en effet, que le sang innocent a été versé pour la rémission de nos péchés. Aussi dans les Psaumes, se proclame‑t‑il libre
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entre les morts (Ps. LXXXVII, 6); il est en effet le seul qui soit mort libre de la dette de la mort. De là vient encore que dans un autre psaume, il dit : «J'ai payé ce que je n'ai point pris, » (Ps. LXVIII, 5) voulant faire comprendre par là que le péché est un vol, attendu que c'est une usurpation contre le droit. Voilà pourquoi encore il dit de sa bouche mortelle, comme nous le lisons dans l'Evangile : « Voilà le prince de ce monde qui vient, mais il n'a rien trouvé en moi, » (Jean, XIV, 30) c'est‑à‑dire il n'y a trouvé aucun péché, « mais c'est afin que le monde connaisse que j'aime mon Père et que je fais ce que mon Père m'a ordonné; levez‑vous donc et sortons d'ici. » Or, il partit de là pour sa passion et afin de payer ce qu'il ne devait point, pour nous qui étions les vrais débiteurs. Est‑ce que le diable aurait été vaincu par ce droit plein de justice si le Christ avait voulu le combattre sur le terrain de la puissance non de la justice? Mais il ajourna l'exercice de sa puissance pour commencer par faire ce qu'il fallait. Voilà pourquoi il était nécessaire qu'il fût Dieu et homme; car s'il n'avait point été homme, il n'aurait pu être mis à mort, et s'il n'avait point été Dieu, on ne croirait point qu'il n'a pas voulu faire une chose qu'il avait le pouvoir de faire, mais qu'il n'a point pu faire ce qu'il voulait, et nous ne penserions point qu’il a voulu faire passer la justice avant la puissance, mais que la puissance lui a manqué. Mais à présent ce qu'il a souffert pour nous est d'un homme, parce qu'il était homme ; or s'il n'avait point voulu, il aurait pu ne point souffrir cela, parce qu'il était Dieu en même temps. La justice a donc été rendue agréable par son abaissement, parce qu'il eût eu dans la divinité une puissance assez grande pour ne point souffrir toutes ces choses s'il ne l'avait point voulu. Voilà comment par sa mort, ce Dieu si puissant, nous recommande la justice à nous qui sommes mortels et sans force, et nous promet la patience. Il fit en effet l'une des deux choses en mourant et l'autre en ressuscitant. Car quoi de plus juste que d'aller jusqu'à la mort de la croix pour la justice? et quoi de plus puissant que de ressusciter d'entre les morts et de monter au ciel dans la même chair dans laquelle il avait été mis à mort ? Il vainquit donc le diable d'abord par la justice et ensuite par la puissance; par la justice, attendu que n'ayant point commis le péché il fut mis à mort par le démon avec la plus grande injustice; par la puissance, attendu que mort il ressuscita pour ne plus mourir jamais. (Rom., VI, 9.) Mais il aurait également vaincu le diable par sa puissance quand bien même il n'aurait pu être mis à mort par lui, quoique ce soit le fait d'une puissance plus grande, de vaincre la mort même en ressuscitant, que d'y échapper en vivant. Mais il y a autre chose qui fait que nous sommes
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justifiés dans le sang du Christ, quand nous sommes ravis au pouvoir du diable par la rémission des péchés, et cela a rapport à ce que le Christ a vaincu le diable non par sa puissance, mais par sa justice; en effet, ce n'est point dans son immortelle puissance, mais dans la faiblesse qu'il a empruntée à notre chair mortelle, qu'il fut crucifié; il est vrai que c'est en parlant de cette faiblesse que l'Apôtre a dit : « Ce qui parait en Dieu une faiblesse est plus fort que la force des hommes. » (I Cor., I, 25.)
CHAPITRE XV.
Suite du même sujet.
19. Il n'est donc point difficile de voir le diable vaincu quand celui qui a été mis à mort par lui est ressuscité. Mais ce qui est plus grand et plus profond pour l'intelligence, c'est de voir le diable vaincu au moment même où il lui semblait qu'il remportait la victoire, c'est‑à‑dire, quand le Christ a été mis à mort. C'est alors en effet que ce sang, le sang d'un homme qui n'avait point commis le péché, fut répandu pour la rémission de nos péchés, en sorte que ceux que le diable avait justement sous son pouvoir, parce qu'il les tenait dans les liens de la mort à cause des péchés qu'ils avaient commis, il se trouvait forcé par la justice de les laisser en liberté à cause de celui qu'il venait de frapper injustement de la peine de mort, bien qu'il n'eût commis aucun péché. C'est par cette justice qu'il a été vaincu, et de ce lien que s'est vu enchaîné ce fort, dépouillé de tous ses vases qui dans ses mains avec lui et avec ses anges avaient été des vases de colère, pour être changés en vases de miséricorde. (Marc, III, 27.) Ce sont en effet les paroles mêmes que l'apôtre Paul nous raconte lui avoir été adressées, du ciel, par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, le jour où il fut appelé par lui. En effet entre autres choses qu'il entendit, il nous rapporte ce discours : « Car je vous ai apparu afin de vous établir ministre et témoin des choses que vous avez vues et de celles aussi que je vous montrerai en apparaissant de nouveau, et je vous délivrerai des mains de ce peuple, et de celles des Gentils, au sein desquels je vous envoie maintenant ouvrir les yeux des aveugles, afin qu'ils se détournent des ténèbres et de la puissance de Satan vers Dieu, et qu'ils reçoivent la rémission de leurs péchés, et aient part à l'héritage des saints en partageant leur foi en moi. » (Act., XXVI, 16 à 48.) Aussi le même Apôtre exhortant les fidèles à rendre grâces à Dieu le Père, s'exprime‑t‑il ainsi : « Il nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transférés dans le royaume de son Fils bien‑aimé en qui nous sommes rachetés et nous avons obtenu la rémission de nos péchés. » (Col., I, 13.) Or, pour ce rachat, c'est le sang du Christ qui a été donné en paiement
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pour nous, si je puis parler ainsi; mais en l'acceptant, le diable n'en devint pas plus riche, il se vit seulement garrotté, et nous, nous étions dégagés de ses liens, et il ne pouvait plus charger de nouveau des chaînes du péché pour les entraîner avec lui dans le gouffre d'une seconde et éternelle mort, ceux que le Christ, libre de toute dette, avait rachetés au prix de son sang injustement versé. (Apoc., XXI, 8.) Mais la mort avait atteint ceux mêmes qui appartenaient à la grâce du Christ, qui avaient été prédestinés et élus avant la création du monde (I Pier., 1, 20), tant que le Christ n'était point mort pour eux, non point de la mort de l'esprit, mais de celle du corps.
CHAPITRE XVI.
Les restes de la mort et les maux de ce siècle tournent à l'avantage des élus.
20. Car bien que la mort de la chair soit la suite de la faute originelle du premier homme, cependant le bon usage qu'en ont fait certains hommes a produit les glorieux martyrs. Aussi non‑seulement la mort en elle‑même, mais encore tous les maux de ce siècle, les souffrances et les peines des hommes, bien que n'étant que la conséquence du péché en général, et particulièrement du péché originel, qui est cause que la vie même s'est trouvée enlacée dans les liens de la mort, n'ont point laissé que de devoir subsister même après la rémission des péchés, afin que l'homme combattît contre eux, pour la vérité, que la vertu des fidèles eût occasion de s'exercer, et que l'homme nouveau se préparât par un nouveau testament à un siècle nouveau au milieu des maux du siècle présent, en supportant avec patience les misères qu'a méritées la vie présente, quand elle a été condamnée, et en se félicitant prudemment de ce qu'elles finiront un jour, puis en attendant avec foi et patience la béatitude qui doit être sans fin le partage d'une vie délivrée de toutes ces misères. Car le diable dépouillé de son empire et exclu des cœurs des hommes damnés et infidèles sur lesquels, bien que damné lui‑même, il étendait son royaume, n'a plus la permission de les combattre dans cette vie mortelle, qu'autant que le lui permet le juge bon pour eux, dont les saintes lettres parlent en ces termes par la bouche d'un Apôtre : « Dieu est fidèle et il ne permettra point que vous soyez tentés au‑dessus de vos forces ; mais il vous fera tirer de l'avantage de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. » (I Cor., X, 13.) Or, ces maux que les fidèles supportent avec piété, leur servent à expier leurs péchés, à exercer et éprouver leur justice, ou à montrer la misère de cette vie, et à leur faire désirer plus ardemment, et rechercher
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avec plus de persévérance la vie qui ne connaît que la vraie et éternelle béatitude. Mais en eux s'observe ce que l'Apôtre nons dit en parlant d'eux : « Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qu'il a appelés selon son décret pour être saints. Car ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'ainé entre plusieurs frères. Et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rom., VIII, 27 à 30.) Nul de ces prédestinés ne périra avec le démon, nul ne demeurera jusqu'à la mort sous le pouvoir du diable. Puis on lit ces paroles que j'ai déjà rappelées plus haut (voir chap. II) : « Après cela, que devons‑nous dire? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Car, puisque Dieu n'a point épargné son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera‑t‑il point aussi toutes choses? » (Ibid., 31 et 32.)
21. Pourquoi donc le Christ ne serait‑il point mort? Bien plus, pourquoi, laissant de côté tous les autres moyens innombrables dont il pouvait se servir, dans sa toute‑puissance, pour nous délivrer, n'aurait‑il point choisi la mort de préférence, dès que sa divinité n'en était ni diminuée ni altérée en quoi que ce que fût, et l'humanité seule qu'il avait prise, devait procurer un si grand bienfait aux hommes, en permettant qu'une mort temporelle imméritée fût infligée au Fils éternel de Dieu qui était en même temps Fils de l'homme, mort par laquelle il devait les délivrer de la mort éternelle qu'ils avaient méritée ? Le diable retenait nos péchés et, par eux, nous retenait justement dans la mort. Mais celui qui n'avait point de péché, remit ces péchés et il fut injustement conduit à la mort par le démon. Le sang du Christ eut tant de vertu que celui qui lui avait infligé pour un temps une mort qu'il n'avait point méritée, ne put plus retenir dans les liens d'une mort éternelle méritée ceux qui se sont trouvés revêtus du Christ. Aussi: « Est‑ce en cela même que Dieu a fait éclater son amour pour nous, puisque c'est quand nous étions encore pécheurs que Jésus-Christ est mort pour nous dans le temps destiné de Dieu; maintenant que nous sommes justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère de Dieu. » (Rom., V, 8 et 9.) L'Apôtre dit : « Nous sommes justifiés par son sang, » justifiés, en ce sens que nous avons été délivrés de tous nos péchés; or, nous avons été délivrés de tous nos péchés parce que le Fils de Dieu qui n'en avait commis aucun, a été mis à mort pour nous. « Nous serons donc sauvés de la colère de Dieu par lui, » de la colère de Dieu dit l'Apôtre, laquelle n'est autre chose que sa juste vengeance; car il n'en est point de
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Dieu comme des hommes en qui la colère est une émotion de l'âme; la colère de Dieu est celle dont la sainte Ecriture parle, quand, s'adressant au Seigneur, elle lui dit: « Mais vous, Seigneur des vertus, vous jugez avec tranquillité.» (Sag., III, 18.) Si la juste vindicte divine a reçu un tel nom, il n'y a donc de réconciliation avec lui, ce qui s'entend dans un bon sens, que lorsque cette colère est finie? Nous n'étions pas non plus ennemis de Dieu d'une autre manière que les péchés ne sont ennemis de la justice, une fois remises, ces inimitiés sont finies et ceux que Dieu lui‑même justifie sont réconciliés avec sa justice. Toutefois il les a aimés même quand ils étaient ses ennemis, puisqu'il n'a point épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous, alors que nous étions encore ses ennemis. C'est donc avec raison que l'Apôtre poursuit en ces termes: « Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, » (Rom., V, 10) par qui nous a été faite la rémission de nos péchés, « à plus forte raison étant maintenant réconciliés avec lui, serons‑nous sauvés par la vie de ce même Fils;» nous serons donc sauvés par sa vie, parce que nous avons été réconciliés par sa mort. En effet, qui peut douter qu'il donnera sa vie à ses amis quand il leur a donné sa mort lorsqu'ils étaient ses ennemis ? « Non- seulement, » poursuit l'Apôtre, « nous sommes réconciliés, mais nous nous glorifions même en Dieu par Jésus‑Christ Notre‑Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation. » (Ibid., 11.) «Non‑seulement,» dit‑il, «nous serons sauvés, mais encore nous nous glorifions, » non point en nous, mais, «en Dieu, » non point par nous, mais «par Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation, » suivant l'explication que nous en avons donnée plus haut. Après cela l’Apôtre ajoute : « Car comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est passée dans tous les hommes, par ce seul homme en qui tous ont péché, » (Ibid., 12) et le reste où il parle avec étendue des deux hommes, de l'un, le premier Adam, dont le péché et la mort sont devenus, pour sa postérité, comme des maux héréditaires, et de l'autre, le second Adam qui non‑seulement est homme, mais Dieu, et qui ayant payé pour nous ce qu'il ne devait point, nous a délivrés des dettes qui nous venaient de notre Père et de nous. Par conséquent, comme ce n'est qu'à cause du premier que le diable retenait tous les hommes nés de la concupiscence charnelle et viciée d'Adam, il est juste, à cause du second, qu'il laisse en liberté tous les hommes régénérés par sa grâce spirituelle et immaculée.
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CHAPITRE XVII.
Autres avantages de l'Incarnation.
22. Il y a encore beaucoup de choses à considérer et à méditer avec profit pour le salut dans l'Incarnation du Christ qui déplaît aux orgueilleux. L'une d'elles, c'est la connaissance donnée à l'homme du rang qu'il occupait parmi les choses que Dieu a faites, puisque la nature bumaine a pu s'unir à Dieu de manière à ne faire qu'une seule personne des deux substances et, par suite, même de trois, de Dieu, de l'âme et du corps, en sorte que les esprits malins qui se placent entre nous et Dieu comme pour nous venir en aide, mais en réalité pour nous tromper, ne sauraient oser se préférer à l'homme, sous prétexte qu'ils n'ont point de corps; mais surtout ne sauraient lui persuader de les adorer comme des dieux, parce qu'ils semblaient immortels, depuis que le Fils de Dieu a daigné mourir dans cette même chair. Ensuite il résulte encore, du fait de l'incarnation, que la grâce de Dieu nous est rendue recommandable dans l'Homme‑Christ, sans aucun mérite précédent de sa part; car cet homme ne s'est rendu digne par aucun mérite précédent de s'unir lui‑même aussi intimement avec le vrai Dieu et de ne faire plus avec lui qu'une seule personne; mais du jour où il a commencé à être homme, il est Dieu, voilà pourquoi il est dit: « Le Verbe s'est fait chair. » (Jean, I, 14.) De là encore vient que l'orgueil de l'homme, son plus grand obstacle pour s'unir à Dieu, peut nous être reproché et être guéri en nous par une si grande humilité de Dieu. L'homme apprend encore là combien il s'est éloigné de Dieu, et de quel secours ce peut lui être pour le guérir de ses maux, de revenir à un tel Médiateur qui, en tant que Dieu, secourt les hommes par sa divinité, et, en tant qu'homme, se rapproche de lui par sa faiblesse. Quel plus grand exemple d'obéissance pouvait‑il nous être donné, à nous qui avions péri par notre désobéissance, que Dieu le Fils obéissant jusqu'à la mort de la croix à son Père? (Philip., II, 3.) Où la récompense de cette obéissance pourrait‑elle paraître mieux que dans la chair d'un tel Médiateur, ressuscité pour la vie éternelle ? Il y allait aussi de la justice et de la bonté du Créateur, que le diable fût vaincu par la même créature raisonnable qu'il se félicitait d'avoir lui‑même vaincue venant de la souche même qu'il tenait tout entière en son pouvoir par un seul homme qui en avait vicié l'origine.
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CHAPITRE XVIII.
Pourquoi le Fils de Dieu prit un corps et une âme de la descendance d’Adam et dans le sein d'une vierge.
23. Certainement pour être le médiateur entre Dieu et les hommes, Dieu pouvait ne point prendre un corps et une âme de la race de cet Adam qui avait chargé le genre humain de chaînes par son péché, de même qu'il ne prit point, dans un autre genre, cet Adam même qu'il a créé. Il pouvait donc de la même manière ou de tout autre qu'il lui eût plu, créer un autre corps et une autre âme pour vaincre le vainqueur du premier homme; mais il jugea préférable de prendre un corps et une âme dans le genre même qui avait été vaincu, pour vaincre l'ennemi du genre humain; mais il les prit dans le sein d'une vierge, conçus de l'Esprit saint, non de la chair; c'est la foi non la passion qui a prévenu cette conception. Elle ne fut point accompagnée de la concupiscence dans laquelle sont déposées et conçues les formes des autres hommes qui traînent après eux ce péché originel; la concupiscence écartée, c'est par la foi non par le rapprochement des sexes que la sainte virginité est devenue féconde, en sorte que le fruit qui devait naître de la souche du premier homme, n'en eut que le genre sans en avoir le crime d'origine. En effet, ce n'était point une nature viciée par la contagion de la transgression qui naissait alors, c'était l'unique remède de tous et de tels vices. Il naissait homme, dis‑je, mais il n'avait et ne devait jamais avoir aucun péché, pour que par lui fussent régénérés et délivrés du péché tous ceux qui ne pouvaient naître sans péché. Car bien que la chasteté conjugale ne fasse rien de mal en cédant à la concupiscence de la chair qui enflamme les sens, cependant cette dernière a des mouvements dans lesquels la volonté n'est pour rien qui montrent qu'elle n'existait point dans le paradis terrestre, avant le péché, ou du moins qu'elle n'était point ce qu'elle est maintenant, si elle a existé, et ne résistait point à la volonté. Or, maintenant elle se fait tellement sentir et secoue si bien la loi de l'esprit, qu'en dehors même de la pensée d'avoir des enfants, elle nous fait éprouver des mouvements qui ne tendent qu'à cette fin, qu'on apaise en leur cédant, mais par un péché, et qu'on ne refrène si on n'y cède point que par les efforts d'une volonté contraire. Or, qui peut douter que ces deux choses n'aient été également inconnues dans le paradis terrestre, avant le péché? Car l'honnête qui y régnait ne faisait rien de contraire à la décence, et la félicité qu'on y goûtait ne souffrait aucune révolte. Il fallait donc que cette même concupiscence de la chair fût tout à fait étrangère à la conception de la vierge, alors qu'elle devint
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p467 LIVR XIII. ‑CHAPITRE XIX
mère d’un fils en qui l'auteur de la mort ne
devait rien trouver qui fût digne de mort, bien qu’il dût le faire tomber sous les coups de la mort, dans une victoire où il devait lui‑même être vaincu par la mort de l'auteur de la vie. Vainqueur du premier Adam, et tenant le genre humain captif, il a été vaincu par le second Adam et a vu échapper de ses mains le peuple chrétien, qu'a sauvé de la perte du genre humain occasionnée par le crime de l'homme celui qui était étranger au péché, bien qu'il ne le fût point au genre humain lui‑même, et ainsi le trompeur du genre humain a été vaincu par le genre qu'il avait vaincu par le péché. Il en a été fait ainsi pour que l'homme ne s'enorgueillit point, mais pour que « s'il se glorifie il le fasse dans le Seigneur. » (II Cor., X, 17.) Car celui qui a été vaincu n'était qu'un simple homme, et il ne fut vaincu que parce qu'il voulut dans son orgueil être Dieu; au contraire celui qui a vaincu était Dieu et homme, et s'il remporta la victoire, bien que né d'une vierge, c'est parce que Dieu, au lieu de conduire l'homme qu'il s'était uni, comme il conduit les autres saints, se conduisit lui‑même humblement en homme. Or, tous ces dons de Dieu, et tous les autres qu'il serait trop long de rechercher et d'exposer maintenant dans le sujet qui nous occupe, n'existeraient pas si le Verbe ne s'était point fait chair.