Darras tome 16 p. 173
24. Du tombeau de saint Benoit sortit comme un souffle religieux qui se répandit sur toute la Gaule, et fit éclore de nouvelles institutions monastiques. La régente Bathilde s'était entourée d'un conseil qui rappelait par la sainteté et les vertus celui de Dagobert I. Saint Landry évêque de Paris, et après sa mort (656) le vénérable Chrodobert son successeur; saint Éloi ; saint Ouen; Annemundus (saint Chaumond) surnommé aussi Delphinus (saint Delphin) métropolitain de Lyon, qui avait reçu au baptême le jeune roi Clotaire III et qui fut lâchement égorgé le 28 septembre 637 près de Châlons-sur-Saône, par une bande de scélérats aux ordres du cruel Ébroïn ; Genesius (saint Genès), successeur du martyr ; le noble leude Lambertus (saint Lambert) qui devait plus tard embrasser la cléricature, succéder à Genesius et ajouter un nouveau saint à la liste des archevêques de Lyon ; Mauronte (saint Mauront), secrétaire des perceptions royales, plus tard fondateur et premier abbé du monastère de Brueil dans le diocèse de Térouanne ; le chancelier saint Ansbert, qui devait lui aussi embrasser la vie monastique à Fontenelle et succéder en 684 à saint Ouen ; le chef
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1 Adrevald., Vila S. Aigulfi; Pair, lat., tom. CXXIV, col. 955.
2. Rocher, Hist. de l'abbaye royale de S. Benoit-sur-Loire, pag. 41.
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des échansons Hermenland (saint Herbland) plus tard moine à Fontenelle et fondateur d'une nouvelle colonie religieuse dans l'île de l'Aindre sur la Loire, à deux lieues de Nantes; le chapelain du palais Léodégar (saint Léger) destiné au martyre ; et à côté de lui le maire du palais, le trop fameux Ébroïn, son futur bourreau, dont la présence rappelle celle de Judas au sein du collège apostolique; tels étaient les principaux conseillers de la pieuse Bathilde. « Par cette grâce de prudence que Dieu lui départit, après s'être montrée, dit son biographe, la servante docile du roi son seigneur, elle fut avec une délicate attention une mère pour les princes, une humble fille des pontifes, une excellente nourricière des jeunes Francs du palais, également agréable à tous, aimant les évêques comme ses pères, les religieux comme ses frères, et comme ses enfants les pauvres qu'elle comblait d'aumônes , conservant l'honneur des leudes et recueillant à propos leurs conseils, exhortant vivement les jeunes Francs aux études religieuses, et déjà, bien que sous le vêtement du siècle, très-désireuse de servir le Christ. Elle ne laissait passer aucun jour sans vaquer à l'oraison, avec grande abondance de larmes1. » Inspirée aux sources pures de la lumière surnaturelle, la politique de sainte Bathilde fut vraiment nationale et chrétienne. « Tout y tendait, dit le cardinal Pitra, à l'exaltation du règne de Dieu par la grandeur de la France. Or, la grandeur de la France était fondée sur trois moyens principaux employés concurremment : la réhabilitation et l'affermissement de la royauté mérovingienne; l'affranchissement et l'éducation sociale du peuple; et surtout la prospérité de l'Église indissolublement lice au bonheur d'un peuple chrétien2. » Bathilde se préoccupa donc tout d'abord de maintenir, en dépit des traditions contraires, l'unité de la monarchie. Elle proclama son fils aîné Clotaire, troisième du nom, seul roi des Neustriens, des Austrasiens et des Burgondes. Les démembrements et les partages antérieurs avaient singulièrement profité à l'ambition des
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1. Vit. S. Bathild., w> 4; Pair, lat., tom. LXXXV1I, col. 668. –
2. D. Pitra, Hist. de S. Léger, pag. 33 et suiv.
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leudes, dont le pouvoir se trouvait grandi dans une mesure à peu près illimitée. Le peuple, opprimé par leurs exactions, foulé littéralement aux pieds, était réduit à un degré d'oppression dont le récit fait frissonner. « La pieuse reine, dit I'hagiographe, ou plutôt le Seigneur par elle, mit fin à une coutume abominable et impie. Dans les campagnes un grand nombre d'habitants étouffaient leurs enfants au berceau, aimant mieux les tuer que les nourrir, tant ils voyaient les impôts croître avec leur nombre, les charges s'aggraver et absorber toutes les ressources 1. » Une autre mesure, prise par la régente, rappelle un souvenir de la captivité dont elle avait porté les chaînes, et excite l'enthousiasme de son biographe. « C'est, dit-il, un décret digne d'une éternelle mémoire et qui porte au comble la gloire de Bathilde. Elle défendit sur tout le territoire du royaume d'emmener des chrétiens en captivité. Elle fit proclamer dans toutes les contrées étrangères que nul ne serait admis à introduire comme captif un homme chrétien sur le sol des Francs -. » Déjà en 630 le concile de Châlons-sur-Saône avait, dans un canon spécial, déclaré que « la fin de la religion et le but proposé à la piété sincère, étaient de racheter tout chrétien du lien de captivité. En conséquence, le saint synode défend à l'avenir d'emmener aucun esclave pour être vendu hors des frontières ou des marches qui appartiennent au royaume du seigneur roi Clovis 3. » Les monastères étaient autant de remparts élevés contre l'esclavage, de centres d'éducation populaire. Sainte Bathilde les multiplia avec une largesse sans bornes. « Qui pourrait dire, reprend I'hagiographe, combien de trésors, de métairies, de châteaux, de forêts elle donna aux maisons de Dieu et des pauvres? Nulle langue ne saurait raconter dignement tout le bien que fit la sainte régente 4. »
23. Ainsi par sa munificence s'éleva entre la Somme et ruisseau de Corbie la grande abbaye de ce nom, le séminaire des savants hommes qui relevèrent les lettres sous Charlemagne,
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1 Vit. S. Bathild., n° 6. — 2. Ibid., n° 9. — 3. Labb-, Concil., tom. VI, col. 392. — 4. Vit. S. Bathild., loc. cit., n» 7.
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le cénacle des apôtres qui évangélisèrent le Nord. Bathilde l'érigea en l'honneur de saint Pierre et saint Paul : elle appela pour premier abbé un homme de Dieu, Théodefrid (saint Théoffroy), formé à la docte école de Luxeuil sous la double règle de saint Benoit et de saint Colomban. Elle en assura l'avenir par une charte de donation où elle abandonnait au monastère de vastes domaines sur les territoires d'Amiens et d'Arras. Elle y ajouta l'immunité de tout tribut, l'exemption des péages et contributions qui auraient pu atteindre soit directement soit indirectement les religieux. A sa demande, l'évêque d'Amiens s'associa à cette oeuvre royale. Voici les premières paroles du diplôme de fondation : «Illuminés d'un secours divin, le très-glorieux seigneur Clotaire et la très-haute dame Bathilde ont fait entendre aux oreilles de Bertefrid, évêque d'Amiens, une pieuse demande qui, remuant ses entrailles paternelles, lui toucha le cœur au point qu'il eût estimé indigne de sa religion de n'y point obtempérer généreusement1. » Il accorda donc un privilège d'immunité ecclésiastique au nouveau monastère en trois articles principaux : inviolabilité des biens du couvent contre toute revendication d'évêque ou de clerc ; inviolabilité de la clôture où nul évêque ne doit pénétrer contre le gré de l'abbé; inviolabilité du gouvernement et de l'administration abbatiale : l'évêque ne doit intervenir que pour l'ordination de l'abbé et des moines, pour la consécration du saint chrême et celle des autels. Les détails de cette fondation, soigneusement conservés par l'histoire, révèlent ce que fit dans le même genre la pieuse reine pour les nombreux monastères érigés, rétablis, ou réformés par elle. La trace de ses bienfaits est marquée dans les archives de toutes les grandes abbayes de son temps, Luxeuil, Jumièges, Fontenelle, Jouarre, Saint-Denys, Saint-Germain et Saint-Vincent de Paris, Saint-Médard de Noyon, Saint-Père de Chartres, Saint-Martin de Tours, Saint-Aignan d'Orléans, Saint-Faron de Meaux. Un jour, à Fontenelle, saint Wandrégisile fut
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1. Privileg. Bertefred. ep. Ambian.; Mabillon., Ann. ord. S. Bened., tom. I, ad append. Cf. D. Pilra, Hist. de S. Léger, pag. 140.
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averti par le cellérier que les provisions étaient épuisées, et que le lendemain les quinze cents travailleurs, enrôlés sous la direction des neuf cents moines de l'abbaye, allaient se trouver sans un morceau de pain. Or, durant la nuit, des chariots pleins de blé, de farine, de provisions de toute sorte arrivaient au monastère. Bathilde, avertie en songe de la détresse des serviteurs de Dieu, leur envoyait ce subside inespéré et se constituait leur providence visible. Saint Frobert, dans son abbaye de Moutier la Celle, à Troyes, reçut fréquemment de pareils subsides. Curbion, ou le Moutier Saint-Lomer, près d'Alençon, fut doté de la grande villa de Nogaret. Bathilde lui donna encore des sommes importantes, des joyaux et jusqu'à son écharpe de reine; « car, dit son biographe, elle abandonnait tout avec un visage aimable et débonnaire, selon le mot de l'Écriture : « Dieu aime qui donne joyeusement1. » Sa charité ne s'arrêtait point aux limites du royaume. Ses aumôniers parcouraient les côtes d'Irlande, d'Italie et d'Espagne pour racheter partout les captifs, victimes malheureuses des guerres de cette époque. Bathilde envoyait de royales offrandes aux basiliques de Rome ; elle venait en aide au trésor pontifical, épuisé lui-même par les secours à distribuer aux malheureux Siciliens dont le territoire était ravagé par les Musulmans 2.
26. Cependant la régente n'aspirait qu'à descendre d'une trône dont elle soutenait si pieusement l'éclat. « L'amour divin, dit un hagiographe, l'embrasait de ses ardeurs ; la gloire des saints la ravissait jusqu'au ciel 3. » D'avance elle se préparait une retraite dans le monastère de Cala (Chelles), fondé autrefois par sainte Clotilde, mais depuis fort déchu de sa première splendeur. Elle le rebâtit sur un plan beaucoup plus vaste, le dota magnifiquement et y établit pour abbesse sainte Bertile, formée à la vertu par sainte Telchide de Jouarre. Deux princesses saxonnes y vinrent prendre l'habit. Les plus nobles et les plus vertueuses filles de la cour mérovingienne suivirent leur exemple. Bathilde elle-
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1. Vit. S. Bathild., tom. cit., n° 9. — 2. Id., Ibid.
3 Vit. S. Serenici, n° 2 ; sœc. n Bénédictin. Cf. Hist. de S. Léger, pag. 146.
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même se promettait, à la majorité de Clotaire III, d'échanger les servitudes de la grandeur contre les joies de l'obéissance vraiment libre du cloître. Saint Éloi, l'évêque thaumaturge de Noyon, lui avait prédit un jour que ses vœux seraient réalisés 1. L'obstacle devait venir de l'affection filiale des Francs pour leur grande reine. Ils se flattaient de la garder toujours à la tête des conseils de Clotaire III, même quand ce prince aurait atteint l'âge de gouverner sans tutelle.
27. Saint Éloi, pour lequel Bathilde professait une vénération sans bornes, ne vit pas l'accomplissement de sa prophétie. « La veille des calendes de décembre (30 novembre 659), dit saint Ouen, Éloi sentit que le moment béni de sa délivrance était proche. Il fit appeler ses prêtres, ses disciples, ses serviteurs qu'il allait bientôt laisser orphelins. Mes bien-aimés, leur dit-il, écoutez les dernières paroles d'un père et d'un ami. Si vous m'aimez comme je vous aime, restez fidèles à Dieu, ne cherchez rien autre chose que Jésus-Christ, ayez sans cesse présents à la pensée les jugements formidables du Seigneur. Pour moi, je vais entrer dans la voie de toute chair : déjà vous m'avez presque perdu ici-bas. Le Seigneur m'appelle et j'ai hâte de goûter, s'il m'en fait la grâce, les joies de l'éternel repos. » Quand il eut ainsi parlé, tous les assistants éclatèrent en sanglots. Père saint, disaient-ils, pourquoi nous abandonner? 0 vous, le plus aimable des pasteurs, pourquoi laisser votre peuple orphelin? Dieu vous exauce toujours; demandez-lui de vivre encore pour nous. Sinon, obtenez que nous vous suivions nous-mêmes. Mieux vaut la mort avec vous que l'existence sans vous. — Au spectacle de leur douleur, l'homme de Dieu ne put retenir ses larmes. Ne vous affligez point de la sorte, dit-il. Si vous aviez la véritable sagesse, il vous conviendrait mieux de vous réjouir de ma délivrance que de pleurer ma mort. Lors même que je ne serai plus de corps au milieu de vous, ma présence par l'esprit sera encore plus efficace. Je cesserai d'être
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1 S. Audoen,, Eligii vita, lib. II, cap. xxxi ; Patr. lat., tom. LXXXVII, col. 560.
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ici, mais Dieu y restera toujours. C'est à lui que je vous recommande. Gardez fidèlement mes conseils, ayez soin des monastères que j'ai construits sous les auspices du Christ. Adieu, mes chères entrailles. — Cependant le mal faisait des progrès, un reste de chaleur tiédissait encore la poitrine. Éloi voulut recevoir de tous un dernier baiser. Et comme chacun pleurait : Soyez plus courageux, dit-il. Laissez-moi partir pour le séjour de la paix. Il est temps de rendre à la terre le corps qu'elle a enfanté. — Puis levant les yeux aux ciel, il pria longtemps en silence. Tout à coup, dans une exclamation qui fut la dernière : Seigneur, dit-il, c'est maintenant que vous laisserez aller votre serviteur en paix. — Et il rendit à Dieu son âme glorieuse ; les saints l'attendaient pour l'escorter au ciel. Or, on était à la première heure de la nuit. Tous les habitants de Noyon, répandus sur les places et dans les rues, virent s'élever de la maison du saint évêque une croix de feu qui pénétra dans les hauteurs du firmament, traversant l'espace avec la rapidité d'une flèche. En même temps, la nouvelle de la mort du bienheureux circulait de bouche en bouche. On put alors se rendre compte de l'immense amour que lui portait son peuple. Les lamentations retentirent jusqu'aux montagnes voisines. La mort d'un seul homme rendait chacun orphelin. Le corps revêtu, selon la coutume, des ornements épiscopaux, fut immédiatement porté à l'église, où tous voulurent passer la nuit, les clercs chantant la psalmodie sainte, le peuple continuant ses lamentations1. »
28. Au matin, la ville se remplit d'une foule innombrable. La sainte reine Bathilde accourût avec ses fils, les grands de sa cour, et une obsèques de magnifique escorte. Les larmes inondaient son visage ; elle exprimait en sanglotant le regret de n'être pas arrivée assez tôt pour revoir avant sa mort le bienheureux évêque. Entrée dans l'église, elle se prosterna devant le cercueil, donnant un libre cours à sa douleur. Se relevant ensuite, elle fit tout préparer pour la translation du corps au monastère de Chelles. Mais quand on
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1 S. Audoen., Eligii vita, lib. II, cap. xxxni-xxxv.
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voulut lever le cercueil, il se trouva si pesant qu'aucune force humaine ne put seulement le remuer. La reine demanda aux prêtres de publier un jeûne de trois jours, afin d'obtenir que le ciel daignât faire connaître sa volonté. Puis, soulevant le voile qui couvrait la figure de l'évêque, elle le contempla une dernière fois, lui baisant les mains et les arrosant de larmes. En ce moment, comme pour récompenser sa foi vive, un flot de sang vermeil s'épancha de la bouche décolorée du saint. Bathilde et les prêtres recueillirent avec des éponges et des linges ce sang miraculeux, conservé depuis comme un trésor inestimable. Cependant toute la ville de Noyon s'agitait, prête à disputer même par la force la possession du corps sacré qu'elle regardait comme son héritage. Bathilde apaisa bientôt ce mouvement populaire. Ce sera, dit-elle, le saint lui-même qui tranchera la question, et qui manifestera sa volonté. — On renouvela donc la première épreuve. Des officiers du palais s'approchèrent du cercueil et essayèrent inutilement de le soulever. A trois reprises différentes, on n'obtint pas d'autre résultat. La reine elle-même, prenant un des angles de la bière, voulut l'ébranler d'un côté ou de l'autre : ce fut comme si elle eût entrepris de remuer une montagne. Maintenant, dit-elle, la volonté du saint est manifeste. Son corps appartient au peuple fidèle de Noyon. — Deux prêtres vinrent alors, prirent le cercueil et le soulevèrent sans aucune difficulté. Un cri d'admiration s'échappa de toutes les bouches, et la parole du psaume retentit dans l'église : «Seigneur, Dieu des prodiges, vous êtes admirable dans vos saints ! » Les funérailles s'accomplirent donc et le corps fut porté hors de la ville au monastère de Saint-Loup. Malgré la pluie qui avait détrempé le chemin et transformé la terre en un vaste marais, Bathilde ne put se décider à monter à cheval ; elle suivit à pied, mêlant ses pleurs à ceux du peuple. Arrivée au lieu de la sépulture, la multitude se précipita une dernière fois pour contempler encore les traits vénérés de l'homme de Dieu. Cette manifestation de tout un peuple, qui semblait disputer au tombeau des dépouilles chéries, dura longtemps : la nuit était déjà avancée quand les évêques présents à la cérémonie purent enfin déposer
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le corps d'Éloi dans son sépulcre. On le recouvrit aussitôt d'une dalle funéraire, pour le dérober aux pieux regards de la foule. » — « 0 mon Éloi bien-aimé, s'écrie saint Ouen en terminant le récit d'une vie si intimement mêlée à la sienne, c'est donc là que votre corps glorieux attend les honneurs de la résurrection ! Mais déjà, couronnée des palmes immortelles, votre âme partage dans les cieux la félicité des élus 1. »
29. Saint Ouen survécut plus de vingt années à son illustre ami. La fécondité de l'église des Gaules était telle, en cet heureux siècle, que la sainteté, au lieu d'être une exception, s'y transmettait comme un héritage. Saint Mummolin, abbé de Sithiu, succédait à saint Êloi sur le siège de Noyon. Saint Déodat évêque de Nevers, puis fondateur de l'abbaye de Saint-Dié en Lorraine ; saint Amat ou Aimé, premier abbé de Saint-Mont, puis évêque de Sion ; saint Érembert, évêque de Toulouse ; Glarus (saint Clair) de Vienne ; saint Théodard, élevé après saint Remaclius sur le siège de Maëstricht, puis martyrisé dans la forêt de Bénalt, près de Spire, le 10 septembre 669, par des leudes qui voulaient usurper les biens de son église ; saint Lambert, son successeur, martyr de la même cause ; saint Aubert et saint Vindicien, successivement évêques de Cambrai et d'Arras 2 ; toute cette phalange de glorieux pontifes illustrait alors la terre des Gaules et de Germanie. Sous leur direction et leur influence s'élevaient partout, comme des phares de science et de sainteté, ces monastères que sainte Bathilde aimait tant, et dont nous n'avons pu citer que les principaux. Il faudrait encore nommer celui de Lonrey, au diocèse de Bourges, fondé par Sigirran (saint Cyran), dont il prit plus tard le nom ; l'abbaye bénédictine de Saint-Vincent, fondée à Besançon par Tévêque Ternatius; le mont de l'Ermitage, entre La Fère et Prémontré, illustré par le martyre d'un anachorète irlandais; saint Gobain, dont le sang
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1. S. Audoen., Vit. S. Eligii, lib. II, cap. xxxvi-xxxviii.
2. Cf. Bollandist. et Martyrolog. Gatlic. Saint Mummolin, 16 octobre ; saint Déodat, ou saint Dié, 19 juin; saint Amat ou Aimé, 13 septembre; saint Érembert, 14 mai; saint Clair de Vienne, 1er janvier; saint Lambert de Magstricht, 17 septembre ; saint Aubert de Cambrai, 18 mai; saint Vindicien, 11 mars.
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versé par des barbares nomades venus de la Germanie, fit éclore un monastère et la ville actuelle qui porte son nom; Saint-Rambert, à huit lieues de Belley, où un autre martyr, Ragnebert, victime de la fureur d'Ébroïn, était venu se consacrer à Dieu, et fut assassiné par le cruel maire du palais ; Sarcing, fondé près de Liège sur le domaine patrimonial d'un leude mérovingien Trudo (saint Tron), lequel érigeait encore un second monastère à Bruges ; Saint-Évroul, abbaye bénédictine, bâtie dans la forêt d'Uticum (Ouche) au diocèse de Lisieux, par un autre seigneur neustrien, Ebrulfus, véritable semeur de monastères, car il en érigea ensuite quinze autres ; ses premiers disciples furent les brigands qui désolaient la contrée ; il les convertissait et les transformait les uns en honnêtes laboureurs, les autres en fervents religieux ; Saint-Josse-sur-Mer, à l'embouchure de la Canche, fondé par un prince breton, Jodocus, frère du saint roi Judicaël 1 ; Sainte-Marie-des-Possés, fondée sur les bords de la Marne, aux portes de Paris, par l'archidiacre Blidégisile, et destinée à prendre en 868 le nom depuis si cher à la science de Saint-Maur-des-Fossés, après que les reliques du disciple de saint Benoit y eurent été transférées de Glanfeuil, pour les soustraire à l'invasion des Normands. Telle était la vitalité chrétienne et monastique de la Gaule sous la régence de sainte Bathilde.