Mort de Pie IX

Darras tome 42 p. 673

 

§ IV. — MORT DE PIE IX.


  57. La mort est ici-bas la fin de tout homme et le terme son action sur la terre. Les ennemis de l'Église, depuis plus de vingt ans, avaient fondé, sur la mort du Pape, de hautes et honteuses espérances; pour en hâter l'accomplissement, ils s'essayaient à tuer le pontife par de fausses nouvelles, dont l'a­cidité devait achever, par le fiel et le vinaigre, l'impression fâ­cheuse des violences de la politique. Or, l'heure que les im­pies réservaient à leur triomphe, fut l'heure que choisit Dieu pour se lever. Avant 1870, une vingtaine de ministres piémon-tais avaient été déjà frappés d'en haut; désormais, il semble que Dieu n'a plus d'autre souci que de les exterminer. Le ministre de la guerre du 20 septembre, Govone, meurt fou; Cugia, le premier aide de camp d'IIumbert est frappé d'apoplexie sur l'es-

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p674  PONTIFICAT DE PIE IX  (181G-1878

 

calier du Quirinal; Matteuzi, attaché au même prince, meurt de mort subite; Katazzi, le furieux ennemi des moines, cou­ronne par une mort scandaleuse, une vie pleine de scandales; le général prêtre apostat Sirtori le suit de près dans la tombe; Des Ambrois, un de ces négociateurs qui ont couvert de leur prestige les crimes du Piémont, est frappé au retour d'une visite au Quirinal; Doria, un transfuge de la noblesse romaine, est frappé à son tour; La Marmora, l'introducteur de Victor-Emma­nuel au Quirinal, subit le même châtiment. Le Balthasar subal­pin était venu à Rome pour signer le décret relatif aux funé­railles du Pape; le 5 janvier 1878, il fut touché de la main de Dieu et mourut le 9 : on l'enterra au Panthéon. Napoléon III et Cavour l'avaient précédé au tombeau : Qui habitat in cœlis irridebit eos.

 

Pie IX se montra grand devant l'ennemi tombé : il leva toutes les censures et envoya son chapelain qui fut éconduit. Victor-Emmanuel se confessa au chapelain Anzino, et, pour obtenir l'absolution, rétracta tous ses attentats contre l'Église. Les sec­taires qu'il avait pour ministres, avaient attendu, pour cette con­fession, la dernière extrémité; ils avaient enlevé, de la chambre, papier, plume et encre; le roi ne put pas signer une rétracta­tion écrite; mais, pour obtenir les saintes huiles et la sépulture chrétienne, le chapelain dut affirmer sur l'honneur et sous la foi du serment, la rétractation du roi : le cardinal secrétaire d'État no­tifia cette déclaration aux puissances. Le gouvernement dont la franc-maçonnerie a doté la péninsule, a contredit : si Victor-Emmanuel est mort impénitent, il n'a pu être absous, il a volé les honneurs de la sépulture chrétienne et son cadavre doit dis­paraître de l'Eglise que souille sa présence ; s'il est mort péni­tent, ses ministres et son fils ont menti à l'Europe. C'est, en tout cas, une singulière idée d'enterrer un tel prince dans une église consacrée aux martyrs, surtout de la part de gens qui parlent d'anéantir le Christianisme. La place est mieux choisie au Pan­théon en compagnie de Jupiter, de Vulcain, de Vénus et autres corsaires célébrés par lord Byron, dans Don Juan. Mais, en pré-

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sence de la mort, c'est triste et il faut que les sectaires soient bien dépourvus de sens moral. — Humbert succéda à Victor; Pie IX protesta contre son avènement.

 

  58. Pie IX maintenant pouvait mourir; il le devait même pour rompre le complot des impies et leur ôter le temps de renouer les fils de leur conjuration. Le pape allait atteindre sa 86e année; sa santé faiblissait, ses jambes étaient perdues; il avait cepen­dant des renouveaux de santé, son esprit était ferme et sa voix gardait l'éclat. Le 28 décembre, il avait encore tenu un consistoire ; puis il s'était alité. Le 2 février, il se leva pour l'anniversaire de sa première communion. Quatre jours après, dans la soirée, il fut pris d'une fièvre trop légère pour causer alarme; c'était le pré­lude de complications qui allaient s'aggraver jusqu'à la mort. Dans la journée du 7, les progrès du mal firent voir le péril; le Saint-Sacrement fut exposé dans les églises, et Mgr Marinelli, administra l'Extrême-Onction  au Pape. Pie IX répondait  aux prières; après l'acte de contrition, il ajouta : Col vestro ajuto; puis laissa échapper ce cri : In domum Domini ibimust Après les prières des agonisants, le cardinal Bilio hésitait à dire le Proflciscere : Partez, âme chrétienne. — Si, profîciscere, lui dit le PonLife. Les prières terminées, le grand pénitencier demanda, pour le sacré collège, une bénédiction suprême. Pie IX, qui avait gardé jusque là toute sa présence d'esprit, étendit la main droite et donna sa dernière bénédiction. A quatre heures, il entrait en agonie et mourait un peu avant six heures. Pie IX avait occupé la chaire de saint Pierre, trente et un ans, sept mois et vingt-deux jours.

 

La mort de Pie IX fut, pour Rome, un grand deuil. La toilette funèbre, l'embaumement, l'exposition au Vatican et à Saint-Pierre, les prières solennelles des funérailles : tout se passa comme de coutume. Dans son testament, Pie IX avait dit : « Mon corps devenu cadavre sera enseveli dans l'Église Saint-Laurent hors des murs ; » il avait fixé la dépense du monument et tracé l'in­scription funèbre. Le nom de Pie IX et une demande de prières, c'est tout ce qu'il voulait pour sa cendre.

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p676            pontificat de pie ix (1840-1878)

 

   59. La vie privée de Pie IX était réglée comme celle d'un cénobite. Un lit de fer et un prie-Dieu : voila toute sa chambre à coucher. Pie IX se levait à cinq heures et demie, s'habillait seul et vaquait toujours longuement à l'oraison. A 7 heures et demie, il disait pieusement la Sainte-Messe, puis prenait un peu de nourriture vers 9 heures. Les audiences, une courte récréa­tion et une visite au Saint-Sacrement le conduisaient jusqu'au dîner, composé d'un peu de chair bouillie et de légumes. Le chapelet, le bréviaire et le travail venaient ensuite; puis les audiences, une récréation et une seconde visite au Saint-Sacre­ment avant le souper, borné à une légère collation. Pie IX se mettait au lit vers dix ou onze heures. « Qui vit par la règle vit pour Dieu. »

 

A ses audiences, Pie IX recevait tout le monde, et le recevait de tous les coins du globe. Volontiers il parcourait cette foule, disait un mot aimable à ses visiteurs,  ajoutait quelque  don gracieux et sa bénédiction. Sa conversation, gaie et spirituelle, pieuse et souvent grande, savait se plier à toutes les exigences et toujours pénétrer jusqu'aux profondeurs de l'âme. Avec ses discours, Pie IX gouvernait le monde entier; il savait tout dire et le bien dire; réduit à sa parole, il s'en contentait pour rele­ver toutes les forces de la chrétienté et tenir en respect tous ses ennemis. Sa piété était angélique; sa conversation, ce semble, était toujours dans les cieux. Avec les pauvres, il lui était im­possible de se contenir; il donnait tout. Avec les prêtres il eut des bontés inexprimables; il veilla surtout à la réforme des sé­minaires, à la préconisation du droit pontifical, à la restauration pour tous les prêtres d'un  état juridique, condition néces­saire à la prospérité des diocèses et au triomphe de l'Eglise, parce que, dans cette condition seulement, on a mis de côté, autant que possible, les misères de l'homme et fait valoir la grâce de Dieu. 

 

60. Dans sa vie publique, Pie IX se tint à la hauteur de tous  les événements. En dehors de ses actes, objet particulier de cette histoire, il se préoccupait beaucoup des écoles et de la culture

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p677 § VI.   — LA MORT DE PIE IX   

 

des sciences. L'enseignement à tous les degrés fut l'objet constant de sa sollicitude, comme roi, dans ses états, comme pape dans tous les pays où il eut à négocier des concordats. Ce que les sciences, les lettres et les arts doivent à Pie IX, il faudrait un volume pour le dire. Pie IX appelait autour de lui les savants : les Pitra, les De Luca, les Franzelin, les Tarquini reçurent de lui la pourpre ; les Rossi et les Visconti furent ma­gnifiquement aidés dans leurs travaux. Dans une sphère moins élevée, ayant rétabli le collège des protonotaires, il y appela les plus humbles serviteurs de l'Église, pourvu qu'il les sut dévoués par le travail au service de la vérité. Du reste, pour montrer qu'il n'était pas exclusivement entouré de moines et de cierges, il prit l'initiative des chemins de fer, des lignes télégraphiques et de l'éclairage au gaz.

 

« Cependant, dit Visconti, ce pontificat, tant à cause de sa durée que surtout à cause du génie du Pape, a toute la gran­deur des règnes, qui ont laissé dans l'histoire de l'art, les traces les plus lumineuses. Jamais on n'avait embrassé, avec plus d'en­semble, les grandeurs du Christianisme, depuis les Catacombes jusqu'au dôme de Saint-Pierre. Ce grand pontife, avec une solli­citude égale, a protégé et suivi les arts depuis les plus humbles souvenirs, jusqu'à la glorification de l'Église dans ses plus beaux monuments. Il faudrait de longues pages pour citer les artistes qui, dans les trois branches de l'art, maintiennent, sous son pa­tronage, la supériorité et l'intégrité des traditions romaines. II faudrait encore de longues pages pour énumérer les monuments qu'a élevés Pie IX, tout en s'attachant à ne rien enlever au carac­tère particulier de Rome. Pie IX a su, par ses vastes conceptions, donner non seulement aux arts, mais encore à l'étude histori­que et critique des arts, une unité qui élèvera son nom plus haut qu'on ne pense et vivifiera le talent des artistes futurs. «

 

Au souci des lettres et des arts, Pie IX joignit la sollicitude pour les pauvres. L'agrégation des médecins aux hôpitaux, les services d'infirmerie et l'administration générale attirèrent tour à tour son attention. Des asiles pour les pauvres, les vieillards,

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p478    PONTIFICAT  DE PIE IX ('8 16-1878)

 

les filles repenties, les enfants, les orphelins, les sourds-muets et les fous furent créés à Rome et dans tout l'État pontifical. Il n'y eut pas, sous son règne, une grande misère dans le monde que Pie IX n'eut assistée en digne Vicaire de Jésus-Christ. Sous ce rapport, il était comme l'incarnation de la charité.

 

Depuis longtemps aucun Pape n'avait autant que Pie IX, tra­vaillé à l'accroissement et au renouvellement des séminaires. Pour toutes les grandes nations, il créa, dans Rome un sémi­naire national; il en créa un tout particulièrement pour la France. Dans sa pensée, et sans méconnaître les services rendus, il vou­lait que des sujets envoyés de tous les diocèses et formés à Rome, revinssent plus tard, comme professeurs, pour renouveler, selon la règle romaine, les séminaires de tous les pays. En France, le gallicanisme avait réduit l'enseignement théologique aux proportions d'un catéchisme; il avait altéré la méthode d'ensei­gnement, réduit les programmes, fait baisser le niveau, écarté les auteurs qui pouvaient le contredire, mis la science en discré­dit, réduit la piété aux pratiques mesquines et porté dans la formation cléricale un esprit sans ouverture. Pie IX voulut réagir contre toutes ces aberrations; par l'esprit qu'il insuffla aux con­grégations nouvelles, par les avis sévères qu'il fit parvenir à qui en avait besoin; par la mise à l'index de Bailly, Lequeux, Ber-nier, Guettée, Laborde, il fit savoir qu'il ne supporterait plus cette longue et aveugle obstination de la rébellion gallicane. Le concile du Vatican devait achever son ouvrage. Mais il faut bien remarquer que la définition dogmatique n'a pas amené, en France, une seule rétractation, ni le moindre renouvellement; par l'aveuglement ou l'impéritie des hommes, on n'a pas tiré, des définitions conciliaires, l'esprit vivifiant qui en doit sortir; bien plus, le gallicanisme, habilement transformé en libéralisme, a maintenu ses positions, étendu ses conquêtes et aggravé ses ravages. Le plus grand service que la papauté puisse rendre à ma patrie, c'est de la délivrer de ces restes vraiment infectieux du particularisme.

 

    61. Ce pape, si zélé dans sa vie publique, fut, pour les mis-

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p479  § VI. — LA MORT DE PIE  IX   

 

sions, un puissant promoteur. Avant son avènement, la fonda­tion de la Propagation de la foi et la Sainte Enfance avaient pro­curé des ressources aux missionnaires; le séminaire des mis­sions étrangères et les congrégations religieuses avaient four­ni des ouvriers pour la moisson. De nouveaux séminaires sont fondés. Les capucins en établissent un à Rome; les Irlandais, un à Dublin; les Anglais, un à Maria-Hill; Lyon reçoit le sémi­naire des missions africaines; Louvian,  Vérone, Milan, Naples érigent également des séminaires de mission. Malgré la multi­plication des séminaires apostoliques, les élèves affluent partout. Plus de sept mille missionnaires continuent d'observer la con­signe des Apôtres et répandent sans cesse l'Évangile jusqu'aux extrémités du monde.

 

Si nous récapitulons maintenant les diverses missions établies dans les diverses parties du monde chrétien, nous trouvons, en 1840, 131 évêques, 4,214 prêtres, 4,778,800 catholiques; — en 1878, le nombre des évêques est monté à 285, le nombre des prêtres à 17,087; le nombre des fidèles à 14,559,147. Si l’on ajoute à ces chiffres, les populations anciennement catholiques des deux mondes, on aura environ deux cents millions de catho­liques en communion avec le Saint-Siège. Enfin, si l'on place, en face des missions catholiques, les missions protestantes, on verra que, pendant deux siècles, l'hérésie a négligé complète­ment la mission des Apôtres; en notre siècle, elle s'en est sou­venue et a multiplié, pour la propagation des Bibles, ses efforts financiers; mais active ou inerte, l'hérésie n'a point converti le peuple, parce qu'elle n'a point cette foi que fécondent la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège.

 

62. Pie IX dans sa vie privée et dans sa vie publique, Pie IX Pontife et Souverain, Pie IX gardien et défenseur de la vérité, promoteur et arbitre de la sainteté, propagateur de l'Evangile dans tout l'univers, a laissé au monde des exemples, des leçons et des bienfaits. Tout le détail de ses actes est important; mais, le plus important, c'est le résultat général. Le résultat général, c'est que Pie IX a remis effectivement la papauté à la tête de toutes les nations ; c'est qu'un mot de sa bouche a suscité les

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p680           ro.NTiriCAT de pie ix (181G-187S)

 

pèlerinages et les croisades, c'est que ses actes ont  tenu le monde en suspens, c'est que sa liberté et son indépendance sont devenues la grande affaire des peuples. En 1840, on savait le nom du Pape, on ne s'occupait pas de sa personne; la ques­tion romaine était réléguée au même plan que la question chinoise. Le mal en France remontait beaucoup plus haut; il découlait de cette fausse doctrine qui abaissait le pape dans l'Eglise et l'expulsait de la société civile. Pie IX se lève  et par ses réformes s'attire d'universelles sympathies. Alors la révolu­tion, plus tard le libéralisme, déconcertés par l'action radicale du grand pontife, veulent marcher à rencontre, et, tantôt sépa­rément, tantôt de concert, appliquent à la papauté, les dernières conséquences de la doctrine   qui mettait l'Eglise à la  merci des souverains. Pie IX s'exile, puis revient, enfin est bloqué dans la ville de Rome, siège de Pierre. Pie IX, dont la diplo­matie se réduisait, comme il le disait gaiement, au Pater Nos-
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oppose à ses ennemis, un front intrépide; d'une  main, il gère grandement tous les intérêts de l'Eglise;   de l'autre, il établit la papauté comme foyer de la civilisation, base du monde moral et clef de voûte  de la société politique. Les ennemis triomphent pour un temps; ils ne font que grandir le pape vaincu, toujours intransigeant dans sa défaite et  plus  triom­phant qu'eux par son intransigeance. Quel pape, quel souve­rain se vit entouré d'une obéissance plus unanime, d'une véné­ration plus profonde,  d'un crédit plus vaste,  d'une autorité plus haute, plus méconnue et plus acclamée. Le grand résultat du règne de Pie IX, c'est l'exaltation de la papauté,

   63. Et maintenant quelle est, en histoire, la place de Pie IX? Le rang des hommes dans la société n'est pas toujours déterminé par leur mérite; mais leur place dans l'histoire est nécessairement fixée par la grandeur de la cause qu'ils servent et par la manière dont ils savent la servir. Or, les Pontifes Romains représentent dans le monde la cause de l'Eglise, qui est la cause de Dieu et la cause de l'humanité rachetée par le sacri­fice de Jésus-Christ. Le grand dessein que Dieu a conçu en

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p681  § VI.  — LA MORT DE PIE IX   

 

créant l'humanité et qu'il poursuit à travers les siècles par l'in­carnation et la mort du Sauveur : voilà l'œuvre qu'accomplit, pour la sanctification des hommes et le salut des peuples, la sainte Eglise, sous l'autorité souveraine, infaillible, des succes­seurs de saint Pierre. Pie IX a été appelé à ce grand'oeuvre quand déjà dix-huit siècles avaient passé sur la tête de l'Eglise; quand trois siècles d'erreurs avaient poussé les peuples dans les voies de perdition; quand depuis un siècle, la révolution précipitait les peuples à tous les complots, à tous les attentats contre l'Eglise Romaine, mère et maîtresse de toutes les Eglises. Pie IX était venu lorsque le mal était arrivé à la période des extrêmes conséquences; lorsque s'imposait, sous peine de mort, la nécessité de réagir avec une décision radicale et une force intrépide. Dès son avènement, il entre dans ce dessein, et, pour l'accomplir, n'éprouve jamais ni indécision, ni mollesse. Si vous lisez ses encycliques ou ses discours, si vous prêtez simplement l'oreille à ses conversations, il a toujours l'esprit attentif à dis­cerner le bien et le mal, l'œil ouvert sur les péripéties de leurs combats, la langue levée pour intimer le devoir et dénoncer le péril, la main prête à bénir ou à frapper. Ce pape est un docteur et un soldat, un docteur qui va à l'ennemi la croix à la main, un soldat qui soutient l'effort des batailles et les gagne par sa ferme décision ainsi que par son indomptable résistance. L'Eglise a subi, depuis longtemps, des pertes cruelles; elle a vu arra­cher des royaumes de son sein; elle a vu, en pays catholiques, des souverains, mettre la main à l'encensoir, spolier les tem­ples, violer les cloîtres, démoraliser les peuples; elle a vu enle­ver même le patrimoine de saint Pierre. Pie IX debout sur une motte de terre, tient tête à tous les attentats; il ne cède rien aux circonstances, il ne relâche rien des exigences de la doctrine et des rigueurs du droit; il revendique même, avec une assurance magnifique, tout ce qu'ont ravi l'hérésie, le schis­me et la révolution. Par ses enseignements et par ses actes, il supprime tous les effets de prévarications séculaires. La triste grandeur des événements accomplis sous son règne, l'énergie

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p682  PONTIFICAT DE PIE IX (1810-1878)

 

de la résistance, la droiture des résolutions, la persévérance à les soutenir, une valeur qui n'a connu ni les défaillances, ni les transactions, ni les illusions, assurent, à Pie IX, en histoire, une grande place.

 

Mais Pie IX a été vaincu? Pie IX, par les armes, ne pouvait pas vaincre; il ne pouvait ni ne voulait se défendre, et fugitif, ou prisonnier, il subissait sa condition. Un pape cependant n'est pas vaincu parce qu'il a été surpris par un complot ou écrasé dans un guet-apons. A ce compte, un trop grand nombre de papes perdraient leur auréole. Les grands papes ont été tels, parfois moins par la grandeur de leurs actes que par la gran­deur de leurs infortunes. La plupart ont suivi la voie doulou­reuse, et sont morts aussi sur la croix; leurs épreuves et leur mort sont la marque de leur puissance. Quand les empereurs païens martyrisaient les trente premiers papes, est-ce qu'ils étaient vainqueurs de la papauté? Quand les empereurs héré­tiques envoyaient les papes en exil, est-ce qu'ils triomphaient du Saint-Siège? Saint Léon et saint Grégoire aux prises avec les invasions, saint Grégoire VII mort en exil pour avoir haï l'ini­quité, Boniface VIII mort sous les soufflets d'un valet de cour, et tant d'autres papes, après avoir bu au torrent des tribulations, sont-ils moins grands aux yeux de la postérité? Pie IX a posé et maintenu tous les grands principes; Pie IX a défendu avec doc­trine et courage, toutes les grandes causes; Pie IX a préféré être écrasé, plutôt que de céder aux injonctions de l'erreur et aux crimes de la révolution. Pie IX est grand par l'affirmation entière de la vérité; Pie IX est grand par la revendication absolue de la justice; Pie IX est grand par ce quelque chose d'achevé que le malheur ajoute à la vertu. Je ne dis rien de ses grâces personnelles, rien de son esprit, de son cœur, de cette belle âme qui l'eut fait grand même dans la vie privée. Comme prince et comme pape, il clôt une période de ruine et ouvre une période de restauration. Ses successeurs achèveront son ouvrage; ils ne se départiront ni de ses enseignements, ni de ses vertus. L'Eglise en aura le mérite, les peuples en recueilleront

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p683  § IV. — LA MORT DE PIE IX    

 

les bienfaits. L'intelligente et équitable postérité placera le grand Pape qui a combattu le libéralisme révolutionnaire au niveau des grands papes qui ont combattu victorieusement le schisme et l'hérésie; elle mettra Pie IX sur la même ligne que les Léon et les Grégoire, les Innocent et les Boniface.

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