Darras tome 22 p. 1
PONTIFICAT DE S. GRÉGOIRE VII (22 avril 1073-25mai 1085) Deuxième période 1074-1075)
§ I. CONJURATION DE WIBERT DE RAVENNE.
1. Légations apostoliques en France, en Allemagne et en Italie, pour exécuter les décrets du concile. — 2. Hypocrisie de Wibert de Ravenne, son séjour à Rome. Conspiration contre le pape. — 3. Projet d'expédition contre Robert Guiscard. Soulèvement en Lombardie. — 4. Apostasie du cardinal Hugues le Blanc. — 5. Soumission de Robert Guiscard au pape. Echec de Hugues le Blanc à la cour d’Apulie.
§ II. RÉSISTANCE DE L’ALLEMAGNE AUX DÉCRETS DE RÉFORME.
6. Soumission de Henri IV. Sa réconciliation avec le saint siège. — 7. Résistance du clergé aux décrets de réforme. — 8. Révolte de l'épiscopat de Germanie contre les légats apostoliques. — 9. Synode d'Erfurth. Violences sacrilèges. — 10. Synode de Passaw. Tentative d'assassinat contre saint Altmann. — 11. Lettres de Grégoire VII aux fidèles et aux princes de Germanie. —12. Monitoires du pape à Sigefrid de Mayence et à l'évêque de Constance, Othon.
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§ III. RÉSISTANCE DE LA FRANCE AUX DÉCRETS DE RÉFORME
13. Conciliabules de Rouen et de Paris. Saint Gautier de Pontoise. — 14. Encyclique de Grégoire VII aux évêques de France. — 15. Caractère et portée de l'encyclique. Soumission du roi Philippe I. — 16. Lettres de Grégoire VII à saint Hugues de Cluny et à la comtesse Mathilde.
§ IV. CONCILE ROMAIN DE L'AN 1075.
17. Citations individuelles. Lettre de convocation à Wibert de Ravenne.— 18. L'incident de Cencius. Suspense prononcée contre Wibert. Excommunication de Hugues le Blanc. — 19. Diverses sentences de déposition, de suspense et d'anathème. — 20. Décret contre les investitures. — 21. Der-nières décisions et clôture du concile.
§ V. VICTOIRE, CRUAUTÉS ET EXCÈS DE HENRI IV.
22. Campagne de Henri contre les Saxons. Victoire de Hohenbourg. — 23 Dévastation de la Saxe et de la Thuringe. Imposture sacrilège de Sigefrid de Mayence. —24. Ambassade dérisoire envoyée par Henri au pape. — 25. Les schismatiques de Lombardie. Nouvel incendie de Milan. — 26. Martyre de saint Herlembald. — 27. Arrivée d'un ambassadeur royal en Lombardie. Intrusion de Thédald à Milan. — 2S. Hugues le Blanc à la cour de Germanie. — 29. Soumission des Saxons. Perfidie et trahison de Henri IV. — 30. Mort de saint Annon de Cologne. Choix scandaleux de son successeur.
§ VI. attentat de Cencius (25 décembre 1075).
31. La nuit de Noël 1075 à Sainte-Marie-Majeure. Grégoire VII aux mains des sicaires. — 32. Grégoire VII captif de Cencius. Le traître aux pieds de sa victime. Clémence de Grégoire VII. — 33. Délivrance du pape par les Romains. Parjure et excommunication de Cencius.
§ VII. Le pape déposé par le roi (24 janvier 1076).
34. Lettre de Grégoire VII à Henri IV. — 35. Tyranniques exigences de Henri. Expulsion des légats apostoliques. — 36. Conseil royal. Convocation du conciliabule de Worms. —36. Hugues le Blanc à Worms. Discussion tumul-tuaire. — 37. Sentence de déposition contre Grégoire VIL — 38. Servilisme, hypocrisie et lâcheté.
§ 1. Conjuration de Wibert de Ravenne.
1. A la guerre pacifique que Grégoire VII venait d'entamer contre la simonie et les désordres des clercs, Robert Guiscard menaçait d'opposer une diversion à main armée. L'énergique pontife
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se montra prêt à soutenir la lutte des deux côtés à la fois. Le nouvel évêque de Die, Hugues, repartit pour la France avec le titre de légat apostolique et l'injonction expresse de faire exécuter dans toutes les églises des Gaules les quatre décrets du concile romain contre les simoniaques et les clérogames. Une légation plus importante et plus nombreuse, composée du cardinal Girald d'Ostie, des évêques de Palestrina, de Coire et de Côme, auxquels s'adjoignit l'impératrice Agnès, prit la route d'Allemagne avec la double mission d'intervenir près du roi Henri pour la pacification de la Germanie et de faire appliquer dans les églises de ce royaume les décrets disciplinaires. Des lettres pontificales furent directement remises aux légats pour les évêques d'Allemagne. « Le pape les exhortait, dit Lambert d'Hersfeld, à élever leur zèle pastoral au niveau de leur devoir et à briser par un anathème perpétuel le hideux faisceau de la clérogamie 1.» L'impératrice devait représenter au roi son fils l'abîme qu'il creusait sous ses pas s'il persévérait dans sa voie tyrannique, l'engager à se soumettre du fond du cœur aux lois divines, à rentrer vis-à-vis de l'église romaine dans le devoir du respect et de l'obéissance chrétienne, enfin à cesser le scandaleux trafic des évêchés et des monastères 2. Anselme de Lucques, à son retour d'Allemagne et immédiatement après son sacre, fut chargé d'exercer les fonctions de légat apostolique en Lombardie et de travailler à la réforme ecclésiastique de cette province où le schisme avait jeté de si profondes racines.
2. « Or, dit le catalogue pontifical3, pendant que les pères du concile reprenaient le chemin de leurs diocèses, Wibert de Ravenne affecta de rester près du pape. Il lui promettait de mettre à sa disposition un nombreux contingent de troupes, et de l'accompagner après Pâques dans l'expédition qui se préparait contre Robert
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1. Pertz, Monum. kist. germ., tom. X, p. 41Î.
2. Muratori, Scr. rer, Italie, lib. III.
3. Bonizo de Sutri reproduit à peu près textuellement ce curieux épisode dont aucun historien jusqu'à ce jour n'a paru soupçonner l'existence et n'a dit un seul mot. (Boniz., Ad amie, lib. VII; Pair. Lat., tom. CL, col. 887. — Cf. Codex archiv. Vatican., ap. Watterich, tom. I, p. 312 et sq.)
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Guiscard et ses alliés, les comtes de Bagnorea. Par ces démonstrations hypocrites, il s'insinua dans les bonnes grâces du généreux pontife incapable de soupçonner la noirceur de ses desseins. La haine de Wibert était celle d'un fauve qui sait allier la ruse à l'instinct de la cruauté. Durant tout le carême qu'il acheva à Rome, on le voyait chaque jour parcourir les églises sous prétexte de dévotion, mais en réalité pour s'aboucher impunément avec tous les ennemis du pape, les simoniaques et les clérogames. Il les enrôlait dans une ligue secrète et recevait leur serment de fidélité. Il s'attacha ainsi par les liens d'une étroite amitié le criminel Cencius, fils de l'ancien préfet Etienne, le même dont nous avons eu à raconter les attentats à l'époque de Cadaloüs1. A la mort d'Etienne son père et sous le pontificat d'Alexandre II, Cencius avait tout mis en œuvre pour obtenir la préfecture de Rome, mais le peuple qui connaissait la férocité de son caractère le repoussa unanimement et porta ses suffrages sur un autre personnage, son homonyme, fils du préfet Jean, un modèle de noblesse et de vertu. Jamais contraste plus frappant n'exista entre deux hommes portant le même nom, l'un était le miroir de tout bien, l'autre le crime en personne. On vit un jour Cencius le scélérat, à la tête des brigands et des voleurs de grand chemin, dont il était le chef, se ruer sur un de ses oncles, l'égorger et raser jusqu'aux fondements la maison de sa victime. Tous les libertins, les débauchés, les gens perdus d'honneur, les criminels recherchés par la justice étaient sous sa protection et à sa solde ; il espérait avec leur concours réduire la ville de Rome en esclavage. Du haut de la tour qu'il avait construite à l'extrémité du pont Saint-Pierre, il dominait la cité et exigeait un droit de péage qui finit par devenir un véritable tribut. Tel fut l'auxiliaire dont Wibert de Ravenne s'assura le concours dans le complot tramé contre le très-saint pontife Grégoire. Il trouva d'autres recrues en grand nombre parmi les fils et les parents des prêtres et clercs mariés. En montant sur la chaire apostolique, le vénérable pontife avait signifié à tous les clercs
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1 Cf. chapitre précédent, n°' 10 et 28,
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romains d'avoir à opter entre la vie canonique en commun suivant les règles des pères, ou la privation de leurs fonctions et offices. Un grand nombre préférèrent continuer une existence scandaleuse dans leurs familles, plutôt que de se soumettre au joug suave du Seigneur. Ils formaient avec leurs parents un groupe nombreux qui exécrait le saint pontife et attendait l'occasion de se révolter. Un autre noyau de mécontents se groupa aussi autour de Wibert de Ravenne. Grégoire venait de mettre fin à un horrible abus qui s'était longtemps perpétué dans la basilique de Saint-Pierre, dont la garde de nuit et de jour était faite par soixante mansionarii, tous laïques, les uns légitimement mariés, les autres vivant en concubinage. Sauf le maître-autel, cette ignoble valetaille s'était mise en possession de tous les autres ; elle ne permettait aux pèlerins d'y venir prier que moyennant salaire. La barbe rasée comme des clercs, la tête coiffée d'une mitre, ils se faisaient passer aux yeux des étrangers pour des prêtres cardinaux. Le vulgaire et surtout les paysans lombards, dont ils trompaient ainsi la crédulité, se recommandaient à leurs oraisons et déposaient entre leurs mains des offrandes. Durant la nuit, car la basilique ne se fermait jamais, ils se livraient soit dans l'intérieur, soit à l'extérieur de l'église, aux plus infâmes excès, rapines, violences, et parfois même assassinats. Le bienheureux pontife parvint non sans peine à les bannir du lieu saint, dont il confia la garde à des prêtres et à des clercs de mœurs irréprochables. Il fit désormais fermer la basilique durant la nuit, ordonnant qu'elle ne serait ouverte aux pèlerins qu'au lever du soleil. On évitait ainsi les veilles nocturnes qui avaient si souvent occasionné des scènes scandaleuses ; de plus on coupait court à un autre abus introduit par l'avarice de quelques prêtres cardinaux, qui commençaient dès minuit à célébrer sur le maître-autel de Saint-Pierre des messes dont les honoraires leur étaient largement payés. Par un décret apostolique, Grégoire ordonna qu'à l'avenir aucune messe ne pourrait être dite au maître-autel avant l'heure de tierce. Cette mesure provoqua une irritation extrême et multiplia le nombre des mécontents que Wibert put enrôler dans sa conjuration ; nouveau Catilina, tous les scélérats
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devinrent ses alliés. Quand il eut ainsi noué à Rome même le fil de ses ténébreuses intrigues, comme la fête de Pâques était proche (20 avril 1074), il demanda hypocritement au seigneur apostolique et obtint sans difficulté la permission de retourner à Ravenne, promettant de revenir après le temps pascal avec des troupes auxiliaires, pour l'expédition projetée contre Robert Guiscard et ses alliés1. »
3. « Mais, ajoute le catalogue pontifical, l'intention de ce parjure était fort différente. En s'éloignant d'un pape que, sous les apparences d'une soumission absolue et d'un filial respect, il venait de tromper si indignement, son dessein n'était autre que d'aller lui recruter de nouveaux ennemis. Aussitôt son retour à Ravenne, au mépris du serment prêté le jour de son sacre entre les mains d'Alexandre II2, il se mit en rapport avec l'intrus de Milan (Gothfred) et les autres évêques simoniaques de Lombardier les fit entrer dans sa ligue contre le pape et prit avec leur concours les moyens d'empêcher l'expédition contre le duc d'Apulie 3. » Au moment où le traître Wibert intervenait avec tant de perfidie près des schismatiques lombards, Gothfred, du haut de sa forteresse de Brebbia, continuait à opprimer les malheureux habitants dont il se disait l'évêque4. Il ne réussissait point cependant à triompher du chevalier Herlembald, qui lui défendait l'entrée de la métropole ambrosienne. La lutte persévérait avec un courage héroïque de la part des fidèles milanais et un incroyable acharnement de la part
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1 Codex archiv. Vatican., ap. Watterich, tom. I, p. 313-315; Boniz. Sutn, loc. cit.
2. Cf. tom. XXI de cette HisL, n° 78.
3. Codex Vatic, loc. cit. Le docteur Héfélé a cru devoir rejeter la chronologie de Bonizo de Sutri et reporter à l'an 1075 l'expédition projetée par Grégoire VII contre Robert Guiscard. Mais, outre que le catalogue pontifical, dont M. Héfélé ne connaissait point alors la valeur authentique, confirme sur ce point la donnée de Bonizo, une lettre de Grégoire VII lui-même tranche absolument la question et nous apprend que le 16 mai 1074 le pape était au camp de San-Fabiano, commençant son expédition : in expéditions [Ep. lxxxy, lib. I, col. 358. — Héfélé. HUt. des concilia, tom. VI, p. 518.)
4 Cf. lum. XXI de c;;Uc ///.>/., chap. v, n° 12.
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de la faction schismatique. On peut en juger par le trait suivant raconté par la chronique contemporaine d'Arnulf: « Le samedi saint (19 avril 1074), comme on devait procéder suivant la coutume au baptême des catéchumènes, il se trouva que le chrême dont on allait se servir avait été secrètement envoyé par Gothfred et apporté à la basilique par les partisans de cet intrus. Aussitôt les fidèles catholiques, Herlembald à leur tête, prirent le vase du chrême, en renversèrent le contenu sur le sol du baptistère, et empêchèrent de continuer la cérémonie. Le baptême solennel n'eut lieu que le vendredi in albis avec du chrême consacré par un évêque catholique 1. » L'incident faillit amener une collision sanglante. Les évêques simoniaques prenaient tous le parti de l'intrus, ne demandant qu'à secouer le joug de l'autorité apostolique et à faire annuler les décrets disciplinaires du concile romain. Ils entrèrent donc avec enthousiasme dans la conjuration de Wibert de Ravenne. Le plan consistait à faire soulever les vavasseurs et autres capitanei lombards ; ils devaient simultanément prendre les armes et envahir les états de la duchesse de Toscane, Béatrix:, laquelle avait promis au pape de l'aider dans son expédition contre les Normands. Le soulèvement eut lieu à jour fixe (juin 1074). «Lorsqu'il éclata, dit Bonizo, le vénérable pontife s'était déjà rendu avec sa petite armée au camp de San-Fabiano, pour y recevoir les troupes auxiliaires que Béatrix et sa fille, la comtesse Muthilde, venaient de lui amener. Le duc Godefroi, époux de l'illustre comtesse, et grand nombre d'autres nobles seigneurs devaient également prendre part à l'expédition et concourir à la délivrance de l'Église. La révolte des vavasseurs lombards fit échouer tous les projets ; Béatrix et Mathilde retournèrent précipitamment en Toscane ; le pape dut abandonner son entreprise et revenir à Rome 2. »
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1 Ad. S. Herlembala; Patr. Lat., tom. CXLIII, col. 1495.
2. Boniz. Sutr, Ad. amie, lib. VII, Patr. Lat, tom. CL, col. 838. Ces détails, ignorés de Muratori lui-même et de tous les historiens précédents, sont confirmés par Aimé du Mont-Cassin dans son Ystoire de li Normand (éd. Champollion-Figeoc, Paris, 1835). Voici dans son style naïf le récit du chroniqueur :
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4. Wibert triomphait donc. Grâce à ses machinations diaboliques la Lombardie tout entière était à feu et à sang ; Robert Guiscard pouvait impunément poursuivre ses agressions contre les états de l'Église ; Grégoire VII isolé dans Rome, sans secours de l'extérieur, était environné d'ennemis prêts à lever contre lui une main parricide. Une défection éclatante au sein du collège des cardinaux vint encore aggraver la situation du pape et redoubler les sacrilèges espérances du parjure de Ravenne. Le doyen des cardinaux, celui-là même qui avait pris l'initiative dans la promotion de Grégoire VII, Hugues le Blanc, se sépara ouvertement du pontife et alla offrir son appui à Wibert. Par quels motifs fut-il déterminé à cette nouvelle apostasie1, les chroniqueurs nous l'apprennent d'une manière générale sans faire connaître les incidents particuliers qui servirent de prétexte à la rupture. « Lors de l'élection de Grégoire VII, disent-ils, Hugues le Blanc aspirait lui-même au trône pontifical. Surpris de l'acclamation spontanée qui fit retentir les voûtes de la basilique constantinienne du nom d'Hildebrand, il se hâta de prendre l'initiative et de proclamer les mérites exceptionnels de l'élu du peuple. Mais il conservait l'espoir
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« Mes que non trova home à son aide, le pape cercha adjutoire de fame, et manda adonc message à Béatrix et sa fiile Mathilde. Et ceste, pour la foi parfaite de saint Pierre et pour l'amour de carité qu'elle avoit en lo vicaire de Dieu, non targèrent de venir à lui et promisrent de amener trente mille chevaliers. Et lo pape respondi : « Le petit vilissime Normant avec seulement vingt mille homes poons assaillier et vaincre si Dieu plait, et si « serons deffendu de l'ajutoire de Dieu et de li apostole. » — Et li nobles lames respondirent : 1 Et se nostre gent que nouz vouz avons promis foyent « devant li anemis, nouz seroit grant vergoingne, quar diroient la gente :Li famés cerchent les cosez qui non apartienent à elles : digne choze est c qu'elles aient vitupère, quar vouloient faire comme li princes font par c diverses pars de lo monde. Adonc à ce que aions victoire come home t à confondre li Normant, la vostre Santité laissera à nous mener tant « homes que aions honor de victoire, et que nous puissons délivrer de la main de li anemis les coses de lo prince de li apostole. » — Et quant lo pape vit la sapience de li deux dames vouloit estre à lor providence et ù lor conseil, et comit ceste chose à lor arbitre et à lor volenté. » (Cf. "Wattericb, tom. I, p. 359.)
1 Cf. tôm. XXI de cette Hist. chap. îv.
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que l'élection ne serait point ratifiée par le collège cardinalice. Le contraire étant arrivé, il dissimula le mieux possible sa déception et affecta vis-à-vis du nouveau pape un dévouement d'autant plus démonstratif qu'il était moins sincère, n'attendant qu'une occasion favorable pour jeter le masque1. » Sans doute l'opportunité pour laquelle il se réservait lui parut aussi heureuse que possible après l'échec de San-Fabiano. Il n'ignorait pas cependant que Wibert de Ravenne travaillait au profit de son ambition personnelle, mais il se flattait sans doute de le supplanter quand le moment serait venu. Nous verrons donc ces deux parjures lutter de perversité et d'intrigues pour assouvir leur commune vengeance et servir leurs convoitises particulières. Bonizo de Sutri, trop laconique en cet endroit, se borne à nous dire que la défection de Hugues le Blanc fut le résultat d'un pacte conclu entre ce cardinal indigne et le criminel Cencius 2. Le catalogue pontifical l'attribue à Wibert de Ravenne qui se servit immédiatement de son nouvel allié pour négocier avec Robert Guiscard et le roi de Germanie3.
5. Ce fut près du duc d'Apulie que se rendit d'abord le cardinal parjure, dans l'espoir de le trouver tout prêt à entrer dans ses ressentiments. Il n'y rencontra qu'une amère déception. Robert Guiscard aussitôt après la sentence d'excommunication qui l'avait frappé était entré en négociations avec le pape et avait levé le siège de Bénévent. Informé d'une part que le jeune roi Henri IV venait de faire sa paix avec le saint-siége 4, de l'autre, préoccupé d'une nouvelle expédition en Sicile et de la conquête de Palerme, qu'il acheva en effet dans le cours de l'année 1074 5, il avait besoin du concours de tous les princes de l'Italie méridionale, dont un grand nombre aurait refusé de combattre sous ses drapeaux, s'il ne
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1.Act. S. Greg. VII; Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 158.
2. Pestiferi Cencii consilio Hugo Candidus secundo ad apostasiam versus est. (Boniz. Ad amie, loc. cit.)
3. Codex arckiv. Vatican., ap. Watterich, tom. ï, p. 316.
4. Cf. le numéro suivant de ce chapitre.
5. Muratori, Annal. liai., 1074.
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se fût d'abord réconcilié avec le pape. Cette considération, plus puissante sur l'esprit du Normand que tous les scrupules religieux, le détermina à une soumission complète. « Les légats de Rome étant venus le trouver de la part du pontife, dit le chroniqueur, Robert répondit humblement : « Je n'ai jamais eu volonté ni conscience de me rendre coupable envers le prince des apôtres, et le pape, mon seigneur. Je ne tarderai pas de venir là où il me commande, afin que mon innocence soit reconnue par son autorité apostolique. » Et de fait, comme le pape tardait à venir, Robert qui moult humble était lui alla à rencontre et donna toute satisfaction 1» Une lettre de Grégoire VII à Béatrix de Toscane, datée du 15 octobre 1074, confirme le récit du chroniqueur et nous apprend en même temps avec quelle circonspection le pape avait accueilli les avances du rusé Normand. «Robert Guiscard, dit-il, continue à nous envoyer les ambassades les plus suppliantes. Il offre de remettre entre nos mains des garanties de fidélité telles que nul seigneur n'en a jamais exigé de son vassal. Mais il nous a paru bon, à nous et aux conseillers de ce siège apostolique, d'attendre encore avant de nous fier entièrement à sa parole 2. » Dans l'intervalle, Hugues le Blanc s'était présenté à la cour de Robert. Il n'omit rien, dit Bonizo, pour exciter sa colère et celle des Normands contre le pape. L'excommunication lancée contre vous, disait-il au duc, est absolument anticanonique et nulle. Grégoire n'est point un pontife légitime ; c'est un intrus qui a sacrilégement envahi l'église romaine. Venez avec votre armée chasser cet usurpateur ; je vous promets, au nom de mes partisans, de vous donner la couronne impériale. » Mais le très-prudent prince ne goûtait point ces raisons. « Tant qu'il vous plaira de rester à ma cour, répondit-il, vous y trouverez une cordiale hospitalité ; je mets à votre disposition or, argent, chevaux, mulets, tout ce dont vous pouvez avoir besoin. Mais vous ne réussirez point à me faire prendre les armes contre le pontife de Rome.
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1 Aimé, Ystoire de H Normant, ap. Watterick, tom. I, p. îGO.
2. Greg. VII, Ep. x, lib. II, col. 36a.
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p11 CHAP. I. RÉSISTANCE DE L'ALLEMAGNE AUX DÉCRETS DE RÉFORME.
« Quelle que soit contre lui votre inimitié et celle de vos partisans, elle demeurera impuissante. On ne saurait sans crime déposer un pape dont l'élection acclamée par le clergé et par le peuple a été canonique, dont l'intronisation et le sacre à l'autel de saint Pierre furent l'œuvre de tous les évêques cardinaux.—Ainsi repoussé avec grande honte, ajoute Bonizo, Hugues le Blanc quitta l'Apulie et se rendit à Ravenne, près de Wibert son complice1. » L'effort des deux apostats conjurés se porta dès lors sur la Lombardie et sur l'Allemagne, où ils trouvèrent près du jeune roi Henri et des évêques simoniaques l'appui que Robert Guiscard venait de leur refuser (septembre 1074).