Darras tome 17 p. 590
§ VIII. VIIe Concile général, IIe de Nicée
Cependant à Constantinople l’impératrice Irène poursuivait la réalisation des promesses dont le projet d’alliance entre
-----------------
1 M. Dentier, Les monastères bénédictins d'Italie, tom. I, pag. 223. Le texte du diplôme de Charlemagne se trouve aux pièces justificatives, pag. 493.
=============================
p591 CHAP. VI. — VIIe CONCILE ŒCUMÉNIQUE.
son fils Constantin VI Porphyrogénète et la princesse Rotrude, fille de Charlemagne, avait été l’occasion. Il s’agissait de rompre avec trente années de persécution iconoclaste, de ramener l’Orient au culte des images, de rétablir enfin la communion avec Rome. Personnellement l’impératrice était attachée à l’orthodoxie ; elle en avait donné la preuve lorsque, du vivant de Léon IV son époux, elle avait noblement affronté le péril d’une répudiation légale pour rester fidèle à la foi catholique. Ses premiers actes comme régente, quand il n’était encore nullement question d’une alliance de famille entre la dynastie carlovingienne et l’empire, avaient eu la même signification. Elle rendit à la basilique de Sainte-Sophie le riche diadème enlevé par son époux; elle fit solennellement rapporter, de l’ile de Lemnos où les flots l’avaient jetée, la châsse de sainte Euphémie et la ramena en grande pompe dans l’église qui lui était dédiée à Chalcédoine. «Dès lors, dit Théophane, les pieux fidèles eurent toute liberté de vénérer les reliques et les images des saints. Les monastères se rouvrirent: celui de Studium aux portes de Constantinople, sous la direction de saint Plato et de saint Théodore Studite, devint le centre de la réaction catholique. Les circonstances extérieures se présentaient sous un jour favorable. Irène venait d’acheter la paix avec le calife Mohammed-al-Mahdi, au prix d’un tribut annuel de soixante-dix mille nummi d’or. Cette condition était léonine, mais la présence en vue du Bosphore d’Haroun-al-Raschid, fils du calife, à la tête d’une armée victorieuse, ne laissait pas d’autre alternative (782). Une expédition contre les Slaves (Esclavons) qui avaient envahi tout le territoire de l’ancienne Grèce, eut un dénoûment plus glorieux. Les barbares furent refoulés au delà des frontières de l’empire. Irène voulut en personne visiter l’Hellade jadis si florissante, alors si désolée. Elle essaya d’y relever quelques ruines, celles de Bérée entre autres; l’antique cité fut rebâtie et prit le nom d’Irénopolis (784). La défaite des Slaves contint l’élan des Bulgares, ce peuple toujours en armes, qui était pour l’empire byzantin ce que les Saxons étaient pour le royaume de Charlemagne. La Providence ménageait ainsi une paix inespérée, afin que l’Orient tant de fois rebelle à l’Eglise pût avec calme
=================================
p592 PONTIFICAT DE SAINT ADRIEN I (772-795).
réfléchir sur le passé et rentrer dans une meilleure voie. Ces éclaircies providentielles se rencontrent toutes les fois que l’Église a besoin de se rassembler, sous la direction de l’Esprit-Saint, dans les grandes assises de ses conciles généraux. Parfois le calme ne dure que juste le temps de proclamer la vérité, de définir le dogme et de trancher les controverses. Il en devai têtre ainsi pour le VIIe concile œcuménique. L’erreur iconoclaste s’était surtout propagée dans la classe militaire, parmi les soldats qui avaient fait toutes les guerres précédentes sous Copronyme et Léon l’Isaurien. Vraisemblablement le pillage des statues, des vases d’or et d’argent, que les césars briseurs d’images abandonnaient à la cupidité de la soldatesque, comptait pour beaucoup dans les sympathies doctrinales de l’armée. Irène eut donc sérieusement à se préoccuper de la disposition des troupes : à ce point de vue encore la paix lui offrit des facilités inattendues.
91. Mais l’incident qui entraîna l’opinion byzantine dans le sens du retour à l’orthodoxie fut d’une autre nature. On se rappelle que le patriarche Paul, ce vieillard d’ailleurs si vénérable, avait eu la faiblesse de jurer entre les mains de Léon IV une profession de foi iconoclaste. Cet acte pesait sur sa conscience de tout le poids d’un sacrilège. « Le 31 août 784, sans avoir mis personne dans sa confidence, dit Théophane, le patriarche quitta son palais, se rendit au monastère de Florus, y prit l’habit religieux, déclarant qu’il renonçait à toutes les dignités de ce monde. L’impératrice et son fils le jeune Constantin Porphyrogénète accoururent. Quel motif a pu vous faire prendre une telle résolution? demanda Irène. — Plût à Dieu, répondit le patriarche, que jamais je n’eusse siégé sur le trône épiscopal de Constantinople ! Notre malheureuse église a subi une effroyable tyrannie, et maintenant elle est excommuniée dans toutes les autres chrétientés de l’univers.—Les patrices et les sénateurs mandés par Irène vinrent en foule conjurer le patriarche de revenir sur sa décision. Le vieillard, loin de se laisser fléchir, leur parlait de la nécessité pour eux-mêmes de pourvoir à leur salut et de faire cesser le schisme. Si vous ne réunissez bientôt un concile universel qui condamnera l’erreur, disait-il, la
============================
p593 CHAP. VI. — VIIs CONCILE ŒCUMÉNIQUE.
main de Dieu s’appesantira sur vous et sur l’empire. — Pourquoi donc, lui obiectaient-ils, avez-vous, le jour de votre intronisation, souscrit vous-même le décret d’anathème porté contre le culte des images ?—Hélas! s’écriait Paul, c’est précisément cet acte d’apostasie qui fait aujourd’hui couler mes larmes. Voilà pourquoi je viens faire pénitence dans ce monastère, et prier Dieu de me pardonner d’avoir été, comme parle l’Écriture, semblable au chien muet qui ne défend pas le troupeau, ou plutôt de m’être laissé intimider par le troupeau lui-même au point de n’oser plus élever la voix pour faire entendre la vérité. — Il persista dans ces sentiments le peu de jours qu’il vécut encore , et s’endormit en paix dans le Seigneur, pleuré de l’impératrice et de tous les grands personnages de l’empire. A partir de ce moment, la question du culte des images préoccupa tous les esprits. Irène convoqua le sénat et le peuple au palais de Magnaura. « Frères, dit-elle, vous savez ce qu’a fait avant de mourir le vénérable patriarche Paul. Bien qu’il eût revêtu l’habit monastique, jamais si le Seigneur nous l’eût conservé je n’aurais accepté sa démission. Maintenant que Dieu l’a rappelé à lui, il nous faut lui choisir un successeur qui prenne la charge pastorale et dirige cette église dans la vérité et la saine doctrine. — D’une voix unanime les assistants désignèrent un secrétaire impérial nommé Taraise, lequel n’était encore que simple laïque. Nous n’en connaissons pas de plus digne, s’écria la foule. — C’est aussi ma pensée, reprit l’impératrice. Voici Taraise, mais il refuse le fardeau du patriarcat; priez-le de vous donner ses raisons et de vous dire pourquoi il veut se dérober à une élection qui réunit les suffrages de l’empereur et les vôtres. — Taraise. prit alors la parole : Je ne puis, dit-il, que reproduire publiquement ici les observations que j’ai déjà soumises à l’impératrice et à l’empereur. Ma conscience ne me permet pas, à moi laïque, d’accepter l’élection dont je suis l’indigne objet; si j’avais la témérité de le faire, je craindrais d’exposer à la fois votre salut et le mien. Nourri dans le monde, ayant vécu jusqu’ici soit dans les charges militaires, soit dans les fonctions de la chancellerie impériale,
=============================
p594 PONTIFICAT DE SAINT ADRIEN I (77:2-705).
comment pourrais-je sans examen, sans études préalables, me laisser élever au pontificat? et cela dans un temps où la sainte église de Dieu, cette église fondée sur la pierre immuable qui est le Christ, est misérablement déchirée par le schisme! Les querelles religieuses nous divisent ici même ; nos frères dans le reste de l’Orient sont également divisés sur la question de foi : les uns ont adopté le système qui a triomphé à Constantinople, les autres restent fidèles à la communion des occidentaux ; mais en définitive nous restons séparés du reste de la catholicité, et chaque jour qui s’écoule aggrave sur nous l’anathème. La loi de l’Église, sa divine constitution, ne souffrent point de schismes ni de divisions doctrinales. Comme il n’y a qu'une foi et qu’un baptême, il doit y avoir unité dans la discipline ecclésiastique. Voilà pourquoi j’ai supplié les très-pieux empereurs de convoquer un concile général qui rétablira l'unité rompue. Joignez vos prières aux miennes. Si cette grâce nous est accordée, je consentirai, malgré mon insuffisance et ma faiblesse, à subir le fardeau dont vous voulez charger mes épaules, sinon jamais je ne m’exposerai à la damnation qui m’attendrait au jour du jugement solennel de Jésus-Christ, parce que ni empereur, ni pontifes, ni princes, ni peuple, ne sauraient me soustraire à la terrible sentence. — A ces mots, tous s’écrièrent qu’il fallait convoquer un concile œcuménique. L’impératrice sanctionna ce vœu et jura d’y donner satisfaction. Taraise reprenant alors la parole : Je veux, dit-il, préciser nettement la question que le concile devra résoudre. L’empereur Léon l’Isaurien a renversé les images, puis il a réuni un synode qui a sanctionné le fait accompli: Mais la volonté de l’empereur ne pouvait à elle seule renverser l’antique tradition de l’Église; les évêques eux-mêmes, ceux qui ont osé s'associer à cette œuvre, n’en avaient pas le droit, et pour me servir du la parole le l’apôtre : « On ne saurait enchaîner la vérité qui est de Dieu.» — Cette énergique protestation fut accueillie par des transports d’enthousiasme, et le 25 décembre, jour de Noël 781, Taraise prit solennellement possession du trône patriarcal1 . »
----------------
1 Theophan.,, Chronogrvph.; Patr. grœc. lova. CVIII, col. 922-927.
==============================
p595 CHAP. VI. — VII° CONCILE OECUMÉNIQUE.
Dans l’intervalle qui s’écoula entre l’élection et le sacre du nouveau patriarche, des négociations s’établirent entre l’impératrice Irène et le pape. Nous n’avons plus qu’une seule des lettres impériales écrites en cette circonstance. Elle s’exprime en ces termes : « Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre vrai Dieu, a voulu qu’une parfaite harmonie régnât entre l’empire et le sacerdoce pour le salut du peuple chrétien. C’est donc notre devoir, chef très-saint de l’église catholique, de recourir à vous, de même que vous avez l’obligation de nous venir en aide, afin d’effacer toute trace de discorde entre le principat sacerdotal et la dignité de l’empire. Votre béatitude paternelle n’ignore pas ce qui s’est passé à Constantinople relativement aux saintes images : les princes nos prédécesseurs les ont détruites et profanées. Plaise à Dieu de ne pas leur imputer ce péché ! car ils auraient dû ne jamais porter leur main contre l’Église. Tout le peuple de cette capitale s’est laissé entraîner à leur exemple ; une grande partie des provinces orientales ont suivi le torrent ; telle était la situation lorsqu’enfin Dieu nous a appelés au trône. Nous ne cherchons que sa gloire, nous voulons maintenir dans leur intégrité la tradition apostolique ; l’enseignement des pères et des docteurs. Nous supplions donc votre paternelle béatitude, ou plutôt par notre voix le Seigneur lui-même, ce Dieu qui « veut sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité 1, » vous demande à vous qui êtes le chef véritable du sacerdoce , verus primus sacerdos, le successeur au rang et au siège du bienheureux Pierre, is qui in loco et sede sancti et superlaudabilis apostoli Petri prœsidet, de venir présider le concile de tous les évêques d’Orient. Votre sainte et paternelle béatitude sera accueillie par nous avec tout honneur et gloire, et après la décision solennelle sera de même reconduite à Rome. S’il vous était impossible de faire en personne ce voyage, daignez choisir des hommes sages et savants auxquels vous confierez vos instructions et qui seront vos représentants au concile2. » —Une autre missive impériale suivit de près celle-
------------
1. Timath., n, 4. — - Labbe. ConciU, tom, Vil, col. 32,
==============================
p596 PONTIFICAT DE SAINT ADRIEN I (772-793).
ci; elle informait le pape que Taraise venait d’etre élu « patriarche universel de Constantinople. » Enfin Taraise lui-même adressait au souverain pontife une lettre synodique où il protestait de son orthodoxie et de sa vénération pour les saintes images. Nous n’avons plus ces deux documents, mais nous possédons la réponse que fit saint Adrien à l’un et à l’autre. Elle se trouve reproduite dans les actes de la session IIe du concile œcuménique de Nicée où nous la retrouverons. Le souverain pontife ne jugeait point à propos de se rendre en personne à Byzance, mais il annonçait le choix des légats qui devaient l’y représenter, savoir Pierre archiprêtre de la basilique vaticane, et l’abbé du monastère romain de Saint-Sabas également nommé Pierre. Le pape priait l’impératrice Irène et son fils de les accueillir avec les égards dûs aux légats du siège apostolique; il faisait les vœux les plus ardents pour le succès de leur mission, mais il protestait contre le titre de « patriarche universel » donné à Taraise dans les lettres impériales; il stipulait des réserves canoniques au sujet de l’élection d’un laïque à l’épiscopat; il rappelait la loi des interstices et la nécessité d’une dispense régulière accordée par le saint-siège 1.
93. Les deux légats arrivèrent à Constantinople au printemps de l’an 786. «Déjà, disent les actes, les patriarches d’Orient soit en personne, soit par leurs syncelles munis de pleins pouvoirs, et un grand nombre de métropolitains et d’évêques étaient réunis dans la capitale. L’impératrice Irène et son fils Constantin VI Porphyrogénète étaient alors en Thrace, et leur absence se prolongea , quelques mois. Ce délai fut mis à profit par la faction iconoclaste: elle redoubla de violences, accusant les catholiques d’idolâtrie, déclarant qu’on ne pouvait sans apostasie laisser se réunir le concile, à moins que ce ne fût pour renouveler les anathèmes précédemment portés contre les images. Mille calomnies se répandaient dans le public contre le patriarche Taraise ; des évêques circonvenus par les iconoclastes ou partageant de bonne foi leurs erreurs
-------------
1. Labbe, Concil., tom. VII, col. 99-119, 122-127. La Patrotogie latine, loin. XCV1, col. 1213-1234, cite un fragment considérable de la lettre de saint Adrien à l'impératrice Irène, mais ne donne pas ce document en entier.
=============================
p597 CHAP. VI. — VIIe CONCILE ŒCUMÉNIQUE.
prirent l’initiative et tinrent des conventicales ouvertement schismatiques. Taraise leur envoya dire : Je suis évêque de Constantinople; il ne vous est point permis de vous réunir sans ma permission : en le faisant vous tombez sous l’anathème canonique. — Cette communication effraya les rebelles, qui se dispersèrent prudemment. Cependant l’impératrice et son fils revinrent de Thrace escortés par tous les ordres de l’état, les scholaires, les excubiteurs et toute la milice. Un décret impérial fixa l’ouverture du concile au 17 août 786, dans la basilique des Saints-Apôtres. Mais la veille de ce jour, vers midi, les soldats furieux envahirent le baptisterium de l’église, vociférant et blasphémant contre les images et contre les idolâtres qui voulaient en rétablir le culte. Au milieu des clameurs qui se croisaient en tout sens, dominait celle- ci : Point de concile ! Un concile serait un sacrilège ! — Malgré cette démonstration séditieuse, l’impératrice ordonna au patriarche de procéder le lendemain à l’ouverture de l’assemblée. Les évêques se réunirent donc et prirent séance dans la basilique. Une allocution fut faite par le vénérable Taraise ; quelques pères prirent ensuite la parole; on donna lecture des diverses lettres synodiques émanées des patriarches d’Orient, contenant leur adhésion à la tenue du concile général. En ce moment des soldats payés, comme on le sut plus tard, par certains évêques de la faction iconoclaste pénétrèrent dans la basilique , hurlant des cris de mort, menaçant d’égorger le patriarche, les évêques et les prêtres catholiques. Irène et son fils assistaient à la séance. Par leur ordre, un cubiculaire dit aux évêques : Sortez tous, afin que nous puissions réprimer l’émeute. — Les évêques iconoclastes ne purent dissimuler leur joie : Le ciel nous donne la victoire ! s’écrièrent-ils en chœur, et le concile fut dissous. Cependant les soldats ne voulaient point évacuer la basilique tant que l’empereur ne jurerait pas de rester fidèle à la doctrine iconoclaste. Cette émeute militaire fut longue et opiniâtre. Enfin Irène fit répandre le bruit que les Agaréniens (Sarrasins) venaient d’envahir l’Asie-Mineure. Les légions rebelles durent quitter Constantinople pour aller à leur rencontre. On les promena longtemps de ville en ville, et quand
============================
p598 PONTIFICAT DE SAINT ADRIEN I (772-705).
on crut le moment opportun, un décret impérial les remerciait de leur zèle et licenciait chaque soldat en lui permettant de retourner dans ses foyers 1. » Cet expédient réussit à merveille. Cependant les évêques étaient retournés dans leurs églises; les légats apostoliques eux-mêmes s’étaient embarqués pour l'Italie, et avaient déjà abordé les côtes de Sicile. Tout était donc à recommencer. De nouvelles lettres de convocation furent adressées par la chancellerie impériale, mais cette fois au lieu de se réunir à Constantinople où le parti iconoclaste était encore si puissant, l’assemblée devait se tenir à Nicée, déjà célèbre par la tenue du premier concile œcuménique. Dans cette ville paisible et calme, la sécurité des pères et la tranquillité nécessaire à leurs délibérations ne devaient point être troublées.
94. « Le VIII des calendes d’octobre indiction XIe (24 septembre 787), disent les actes, sous l’empire des très-pieux et amis du Christ nos augustes souverains Constantin VI Porphyrogénète et Irène sa mère, la VIIIe année de leur consulat, le saint et œcuménique synode convoqué par la grâce de Dieu et la pieuse sanction des empereurs s’ouvrit à Nicée, métropole de la province de Bithynie, sous la présidence du révérendissime Pierre, archiprêtre de la très-sainte église vaticane de Rome, et du révérendissime Pierre, prêtre, moine et abbé du monastère romain de Saint- Sabas, tous deux légats du siège apostolique et représentants du très-saint Adrien archevêque (archiepiscopo) de l’ancienne Rome. Venait ensuite le très-saint et très-vénérable Taraise, archevêque de Constantinople, la Rome nouvelle, et les révérendissimes prêtres et abbés Jean et Thomas, vicaires et représentants des sièges apostoliques d’Orient envahis par les Sarrasins2.» Après ces illustres personnages, on comptait trois cent cinquante évêques ou délégués épiscopaux appartenant à toutes les provinces de l’empire, et parmi eux les titulaires ou représentants de Reggio, Catane, Taormina, Messine, Palerme, Crotone, Lilybée, Syracuse.» Tous ses pères prirent place autour de l’ambon dans la basilique de
-------------------------
1 Labbe, Concih, tom. VI!, col. 38-40. — 2. Ibid., col. 40-42.'
===============================
p599 CHAP. VI. — VII0 CONCILE ŒCUMÉNIQUE.
Sainte-Sophie, en présence des très-glorieux et magnifiques princes l’ex-consul, patrice et comte des offices impériaux, Petrona, avec le comte Jean, ostiarius et logothète de l’empire, chargés par les augustes de remplir la fonction d'auditeurs près du concile 1. » Ce titre d'auditeurs était parfaitement canonique ; il prévenait l’ingérence des fonctionnaires laïques dont on avait eu si fort à se plaindre au Vie concile général. « Le livre des saints Évangiles fut placé sur un trône au milieu de l’assemblée, continuent les actes, et les évêques siciliens prenant les premiers la parole dirent : Nous croyons opportun, avant de procéder à l’examen des questions qui seront soumises au saint et œcuménique concile, de prier l’illustre pasteur et pontife de Constantinople de vouloir bien nous donner d’abord un court expose de la situation, et proposer les mesures qu’il jugera convenables. — Le saint synode répondit : Qu’il soit fait selon la requête des très-saints évêques de Sicile. — Taraise se levant alors prit la parole : Nous pouvons aujourd’hui, dit-il, répéter le mot d’Isaïe et de l’Évangile : Erunt prava in directa, et aspera in vias planas 2. Quand Dieu prépare une œuvre, il en fait disparaître tous les obstacles, il en facilite lui-même l’exécution parce que rien ne peut résister à sa volonté. L’année dernière, au commencement du mois d’août, nous étions réunis à Constantinople dans la basilique des Apôtres, lorsqu’une multitude furieuse se précipita pour nous massacrer. Elle était apostée par quelques évêques en petit nombre, que je ne nommerai point car ils ne sont que trop connus, et ainsi la parole de vérité fut arrêtée sur nos lèvres. Cependant la main du Seigneur nous protégea contre ces violences, et les très-doux empereurs comme jadis le roi-prophète « ne voulurent accorder ni sommeil à leurs yeux ni repos à leurs paupières, » tant que le tabernacle de Dieu, c’est-à-dire l’Eglise, n’aurait pas retrouvé son unité divine. Leur zèle sera récompense par Jésus-Christ, notre empereur à tous, et le rémunérateur suprême. C’est maintenant à nous, vénérables frères, collège sacré de l’épiscopat, ministres et coopérateurs de
------------------------------
1. Labbc, ConciL, lom. VII, col. 4G. — 2. Luc, m, 5 ; Is., xt, 3,
============================
p600 PONTIFICAT DE SAINT ADRIEN I (772-7U3).
Jésus-Christ, d’armer nos cœurs de force, de ceindre les reins de notre conscience pour le combat de la vérité, de nous tenir vigilants et fermes, rejetant toutes les nouveautés de paroles, écartant le vain bruit de l’ambition ou des passions humaines, ivraie mêlée par la main de l’ennemi au pur froment semé par la main du père de famille. Tout d’abord il semble convenable de soumettre à un interrogatoire les évêques qui ont pris une part active à l’émeute séditieuse dont l’assemblée fut victime à Constantinople.—L’évêque de Chypre, le très-vénérable Constantin, appuya la motion. S’il plaît au saint et œcuménique synode, dit-il, on introduira les évêques auxquels le très-saint et bienheureux patriarche Taraise vient de faire allusion, et il sera procédé à leur interrogatoire. —Qu’ils soient introduits, répondirent les pères, — et il fut fait ainsi 1. Cependant les très-glorieux patrices, délégués des augustes césars, prirent la parole et dirent : Nos très-bien-aimés maîtres et empereurs nous ont donné ordre de présenter à votre sainte assemblée une sacra (lettre) dont voici l’original. Veuillez en écouter la lecture. — Le saint synode répondit : C’est l’ordre de Dieu lui-même qui nous prescrit la fidélité et l’obéissance aux magnanimes empereurs. » — Le secrétaire Leontius reçut la missive impériale des mains des deux patrices et en donna lecture. La suscription en était ainsi conçue : « Constantin et Irène, fidèles empereurs des Romains, aux très-saints évêques réunis par la grâce et la volonté de Dieu ainsi que par l’ordre de notre piété impériale en un synode œcuménique à Nicée. » Ce message , prolixe comme tous les documents émanés de la chancellerie byzantine, après avoir rappelé tous les détails de la mort du patriarche Paul et de l’élection de son successeur Taraise, les persévérants efforts déjà tentés pour rendre la paix à l’Église, insistait sur la nécessité pour chacun des pères de concourir énergiquement à la définition de la foi orthodoxe. « Comme autrefois Pierre tranchait de son épée l’oreille du judaïsme réprouvé, disait le document impérial, ainsi armez-vous du glaive de l’esprit pour abattre l’erreur et les nouveautés impies. Le très-saint pape de l’ancienne Rome, le pontife
--------------
1 Lahbe. Concil,. tom, VII, col. 47.
==============================
p601 CHAP. VI. — VIIe CONCILE ŒCUMÉNIQUE.
Adrien, nous a adressé ses lettres par l’intermédiaire des légats choisis pour le représenter au concile. Selon le droit canonique qu’il nous a rappelé lui-même, nous ordonnons que tous ceux qui voudront prendre la parole soient entendus pacifiquement, et qu’ensuite en toute liberté la décision soit rendue et la vérité promulguée 1 » —- Cette lecture fut suivie d’une acclamation unanime : « Que Dieu conserve les empereurs ! qu’il leur accorde de longues années, que leur règne ici-bas soit prospère ! » — On procéda ensuite à l’interrogatoire des évêques accusés d’avoir tenu l’année précédente des conciliabules schismatiques à Constantinople, et soudoyé l’émeute militaire dont la basilique de Sainte-Sophie avait été le théâtre. Chacun d’eux comparut successivement, avoua sa faute et sollicita l’indulgence des pères. C’étaient Basile d’Ancyre, Théodose d’Amorium, Théodore de Myre, Hypatius de Nicée, Léon de Rhodes, Grégoire de Pessinunte, Léon d’iconium, Georges de Pisidie, Nicolas d’Hiérapolis et Léon de Carpathie, en tout dix inculpés. Leurs aveux furent spontanés et leurs paroles indiquaient un repentir sincère. Il n’y eut qu’une voix pour proclamer qu’on leur pardonnait le passé, mais on hésita longtemps sur la question de savoir si on les maintiendrait sur leurs sièges. On produisit pour et contre les décisions des précédents conciles, les textes des saints pères et des lois canoniques. Taraise conclut, de l’examen des textes, à une complète indulgence. En ce moment, de tous les points de l’assemblée, un même cri se fit entendre : « Tous nous sommes coupables, tous nous avons favorisé l’erreur iconoclaste, nous demandons qu’on pardonne à tous ! » Sous le coup de l’émotion générale, on convint de remettre la décision à l’une des sessions suivantes, quand le calme serait rétabli dans les esprits.